Chapitre 24
La maison des Bengo est encore plus impressionnante que ce que j'imaginais. Les moulures décoratives parcourent l'ensemble du plafond blanc qui est trois fois plus haut que celui de chez moi. L'espace dans les pièces est à couper le souffle et, dans presque chacune d'elles on retrouve de grands et magnifiques tableaux accrochés aux murs, ainsi que des horloges tout aussi éclatantes. Le noir perçant du gigantesque écran plat dans le salon contraste avec le blanc immaculé des murs et du plafond. Les carreaux gris brillent comme du verre en projetant la lumière du jour que laissent entrer les larges fenêtres. À l'opposé de la télévision, se dresse fièrement une bibliothèque qui me fascine : une centaine de livres disposés sur une étagère en bois vernis encastrée dans le mur. En voyant ça je me suis rappelée une fois de plus qu'il fallait absolument que je sois riche dans l'avenir, sans quoi je ne pourrais jamais m'offrir un tel bonheur.
D'énormes vases aux motifs bantous sont posés dans tous les coins de la pièce à vivre, contenant des plantes exotiques. Tout semble trois fois plus grand que nature dans cette maison, et ne manque pas de m'impressionner.
La chambre de Marine se trouve à l'étage. Tout comme le reste du logis, elle est d'un charme que je n'ai vu auparavant, sauf à la télé. La demoiselle a même un lit queen size. La chance là, on n'a pas.
J'ai débarqué beaucoup plus tôt que prévu car ma tante et William ne m'auraient jamais laissé sortir la nuit. À mon arrivée, ma camarade est venue me chercher devant le portail où le gardien, habillé d'une combinaison jaune, me demandait la raison de ma présence sur place. Après être passées par le salon immense, elle m'a ensuite emmenée rencontrer sa mère dans la cuisine. La dame avait l'aspect d'une personne qui ne souffre de rien, naturellement. Elle portait des vêtements de maison simples mais paraissait tout aussi soignée qu'une femme dont le mariage était le lendemain ; avec sa peau parfaite, ses rondeurs élégantes et le collier en or autour de son cou. Une autre femme que j'ai deviné être la femme de ménage faisait du repassage non loin de là.
Puis, après être montées dans sa chambre, Marine m'a montré sa collection de bracelets de perles ainsi que ses disques d'Ariana Grande. Ensuite on a parlé du travail de sa mère et, pendant qu'elle me racontait comment celle-ci a failli se faire assassiner par une de ses collègues banquière l'année dernière, une petite fille est entrée, cinq ans par là... Elle tenait dans sa main droite un lapin en peluche.
— Mika, je t'ai déjà dit de frapper avant d'entrer, s'est plaint sa grande sœur.
— Oui, mais j'ai quelque chose à te montrer et ça ne peut pas attendre.
Elle a avancé de quelques pas et, une fois devant nous, a ouvert grand sa bouche pour nous montrer une dent qui bougeait.
— T'as vu ? Hein ? T'as vu ?
— Oui, Mika... Tiens, va montrer à maman.
Sans se faire prier, la petite a couru vers la porte ; mais en posant sa main sur la poignée, elle s'est arrêtée net comme si elle avait oublié quelque chose, a fait un quart de tour pour me regarder et a déclaré :
— T'es trop belle.
Puis elle s'est enfuie.
Marine et moi avons échangé un sourire attendri avant de reprendre notre discussion là où elle en était.
À peu près deux heures plus tard, sont arrivées Sarah et une autre fille que je ne connaissais pas. De leurs sacs elles ont fait sortir des guimauves et du popcorn ; je me suis sentie bizarrement bête d'être venue les mains vides, moi.
L'autre fille s'appelle Lolita, c'est leur amie et elle est dans la même classe que Sarah. Ce n'est qu'alors que je fais ce constat étrange : Marine ne traîne pas beaucoup avec des filles de notre lycée.
Le temps passe. Trois albums d'Ariana Grande aussi. Nous mettons nos pyjamas et commençons à grignoter, Sarah assise par terre, les deux autres et moi sur le lit.
Et tel que je devais m'y attendre, les potins commencent. Elles parlent de la concurrente de Sarah au concours de miss de leur école qui selon elles, ne méritait pas le titre.
— Physiquement, déjà, elle ne t'arrive pas à la cheville, dit Lolita. En plus, même son discours et la présentation de son projet étaient nuls.
— C'est clairement toi qui aurait dû gagner, renchérit Marine, mais comme l'argent achète tout, ses parents diplomates ne se sont certainement pas gênés.
J'aurais pu lui faire remarquer qu'elle n'était pas vraiment en position de juger les riches, mais j'ai mieux fait de la fermer, au risque de me faire expulser de son palace.
— Ses parents ont de l'influence, c'est vrai, a répliqué Sarah, cependant je ne pense pas qu'ils en auraient usé pour un simple concours de beauté auquel leur fille a participé. À mon avis ils n'ont pas que ça à faire, quoi. Si elle a gagné, c'est probablement qu'il y a une raison, que seul le jury connaît.
Cette fille a bon cœur. Ce n'est pas top pour ma conscience. Vraiment pas top.
— Hé, Kelly, tu n'as rien dit depuis tout à l'heure. Ça va ?
J'ai légèrement étiré mes lèvres en secouant la tête :
— Oui, très bien.
— Alors pourquoi tu es si silencieuse ? Tu n'es pas mal à l'aise, au moins ?
— Non... Ne t'inquiète pas.
— Raconte nous quelque chose, dans ce cas, quelque chose qui te fait plaisir.
J'ai fait mine de réfléchir, et je réfléchissais vraiment. J'ai cherché dans mon esprit un souvenir agréable que je pourrais partager avec elles mais rien ne faisait surface.
— Ta première fois, par exemple ? a suggéré Lolita.
J'ai soufflé d'exaspération à l'intérieur de moi. Cette fille ne me connaissait même pas, et elle n'était pas gênée de demander que je lui parle de mes ébats sexuels. N'a-t-on donc rien d'autre à se dire entre filles ? Soit on médit sur d'autres filles, soit on parle de garçons ? Ah, mince !
— Euh... C'est que... Je... Em...
— Tu es vierge ? a supposé Sarah.
Je me suis pincée la lèvre, totalement ébranlée que ce soit elle qui croie cela.
— Oui, ai-je lâchement menti.
— Je le savais. Ça se voit un peu.
Elles ont toutes gentiment rigolé. J'ai souri timidement, écrasée par le poids du mensonge et de la culpabilité.
— Moi je me souviens de ma première fois, a-t-elle poursuivi. C'était il y a deux ans, à Ebolowa...
— Ah bon ? l'ai-je interrompue sans réfléchir, ce n'était pas avec Jordan ?
— Oh, non ! a-t-elle assuré en riant, lorsque lui et moi nous sommes mis ensemble j'étais déjà une pro dans le domaine. Lui, par contre...
— Jure ! s'est exclamée Lolita, il était puceau ?
— Mouf, tu le savais pas ?
— Non ! Tu croyais peut-être me l'avoir dit mais je n'en savais rien. C'est très étonnant, hein !
— C'est vrai, a soutenu Marine. À voir Jordan on dirait qu'il se tape des filles depuis l'âge de huit ans.
Nouvel éclat de rire.
Eh ben...!
— Il n'avait jamais touché personne. Je lui ai tout appris, en quelque sorte. Et il a fini par bien se débrouiller, au point d'être devenu un expert même.
Ça, je le confirme.
— Ça suffit, a plaisanté Marine, épargne nous les détails s'il te plaît.
Personnellement j'aurais préféré ne même pas être au courant des grandes lignes ; mais bon, puisque le mal était fait, il fallait maintenant que je trouve un moyen de libérer ma frustration, ainsi que les effets de ma jalousie fleurissante envers Sarah.
— Il faut que j'aille aux toilettes, ai-je déclaré après m'être discrètement raclé la gorge.
— OK. Tu veux que je t'accompagne ?
— Non, merci Marine ; je crois être capable de pisser toute seule. Mais si je ne suis pas revenue d'ici dix minutes, c'est que je me suis perdue.
Elles ont toutes ri. Rien de mieux que l'humour pour pallier un embarras presque palpable.
Au bout du couloir se trouvent les toilettes de l'étage : somptueuses, sans grande surprise. Si Laeticia était là, elle prendrait sans doute des dizaines de photos devant le grand miroir entouré de lumière.
Je fixe mon reflet, blême et flasque. Qu'est-ce que je fais là ? Est-ce vraiment le seul moyen que j'aurais pu trouver pour échapper à mon quotidien pendant un moment ? Ai-je vraiment envie de me lier d'amitié avec ces filles ?
Je fais ma petite commission, en profite pour verser quelques larmes, puis essuie le tout avant de retourner dans la chambre de Marine. Quelques minutes plus tard, au moment où les filles décrètent « l'instant selfie », je réalise que j'ai laissé mon téléphone posé sur le lavabo de la salle de bains. J'y retourne donc pour le chercher.
J'ouvre brusquement la porte et mes yeux s'écarquillent lorsqu'ils se posent sur une paire de fesses ronde et menue. Je viens d'interrompre un garçon en train de s'astiquer l'asticot.
— Mon Dieu ! je m'écrie en couvrant ma face.
Malgré tout, j'entre complètement dans la pièce et récupère mon portable en vitesse tout en m'excusant :
— Je suis vraiment désolée, je... Je venais juste prendre mon téléphone. Je ne voulais pas déranger, par... pardon. Continuez. Faites comme si je n'avais jamais été là.
Ou du moins, en essayant de m'excuser...
Je referme lentement la porte comme si de cette façon le jeune homme éprouverait moins de honte, et je file sans avoir le temps de décider si c'était une envie de suicide ou plutôt une envie de meurtre que je voyais sur son visage.
— MARINE ! POURQUOI TU NE M'AS PAS DIT QUE TU AVAIS AUSSI UN FRÈRE ?
— Qui, Lévy ? Merde... (elle soupire) Cet idiot est vraiment incorrigible. On se demande ce qu'il apprend à l'université, si ce n'est de devenir plus immature chaque jour.
— Il pourrait au moins fermer la porte à clé, quand il fait son affaire, je sais pas !
Sarah et Lolita s'esclaffent à en pleurer.
— Ma pauvre, se moque Lolita, elle est traumatisée, l'enfant d'autrui.
— En plus une vierge de son état...
Les rires ne s'arrêtent plus, et cela empire lorsque Marine va hurler à travers la porte entrouverte de sa chambre :
— C'EST QUAND JE VAIS TOMBER ENCEINTE DE TOI DANS CETTE MAISON QUE TU ARRÊTERAS DE TE MASTURBER DANS LES TOILETTES QU'ON A EN COMMUN. ESPÈCE DE MALADE !
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