Chapitre 14
Ce mercredi, je ne saurais nommer l'étrange émotion qui a irradié mon être tout entier quand je l'ai aperçu sur le parking du lycée. Debout derrière la portière ouverte d'une SUV Volvo grise, il me faisait de grands signes de la main en souriant comme le plus gâté des gamins. Et son sourire produisait des reflets de printemps, faisant éclore dans mon ventre les plus belles fleurs et résonner dans ma poitrine de doux gazouillis. C'est quoi, ça ? Quel est donc ce sentiment qui semble mêler stress et bonheur incommensurable à la simple vue d'une tête ? — Sa tête.
Évidemment, c'est une question rhétorique car tout comme vous, je vois, j'entends, je lis — et pas qu'un peu. Évidemment, je me doute de ce que cela pourrait être mais, encore plus évident, je ne peux l'accepter.
— On t'emmène ? m'a proposé Jordan alors que je me rapprochais, éblouie soit par le soleil de l'après-midi, soit par autre chose que je ne révélerai pas afin de préserver un minimum de fierté.
Je me suis penchée pour saluer le chauffeur qui, sans surprise, n'était nul autre que Boris, et qui me souriait également.
— Quelle chance d'être tombée sur vous ! ai-je reconnu. Le hasard m'est favorable pour une fois.
C'est vrai : mon budget hebdomadaire ne me permettait pas vraiment de faire en toute insouciance le tour de la ville en taxi ; alors le mercredi après les cours, c'est souvent à pieds que j'allais chez les Efua car au final, ça ne faisait que trente minutes de marche depuis le lycée.
— Si ce hasard porte un prénom qui commence par J, a répliqué Boris, alors oui il t'est favorable.
Mon regard curieux est passé de Boris à son frère, que j'ai surpris entrain d'exiger discrètement le silence à son aîné.
— Ben quoi ? a-t-il fulminé en soulevant les épaules. Je me suis dit que ce serait plus simple si on t'attendait directement, c'est logique.
— Pourquoi tu sembles te défendre ? me suis-je marrée. Il n'y a rien de mal à être gentil.
— C'est bon, ta gueule...
Je suis montée à l'arrière de la voiture avec Jordan, et Boris a démarré, hilare.
Je regardais à travers la vitre et faisais mine de m'intéresser aux bâtiments, aux rues et aux gens qu'on dépassait, or tout mon être était inéluctablement attiré vers le garçon assis près de moi. Une odeur agréable de neuf associée à un parfum semblable à de la pierre d'Alun envahissait mes narines, c'était apaisant ; j'ai voulu rester dans cette voiture pendant des heures. Dommage pour moi, en moins de dix minutes nous étions déjà arrivés.
— Il travaille pas aujourd'hui ? ai-je demandé à Jordan alors que Boris s'éclipsait derrière le rideau de cauris.
— Ça fait trois jours qu'il a pas bougé, peut-être il a été viré, qu'est-ce que j'en sais ?
— Comment ça ? Tu veux dire que la communication est si mauvaise entre vous ?
— Mauvaise ? Non. Elle est totalement inexistante.
Alors que je restais un peu déboussolée, à me demander comment deux frères faisaient pour vivre ensemble dans une telle mésentente, Jordan a entrepris de me prendre mon sac à dos des mains. J'ai trouvé que pour une action qui ne nécessite normalement pas plus d'une seconde, ses doigts se sont un peu trop attardés sur ma paume. En plus de m'avoir surprise, ce contact m'a légèrement fait frémir — ce que Jordan a dû sentir, puisqu'il a esquissé un sourire taquin avant de s'éloigner et balancer négligemment nos deux sacs sur une chaise.
— Tu veux boire quelque chose ?
— De l'eau s'il te plaît, ai-je réclamé alors qu'il se dirigeait vers la cuisine.
J'ai regardé autour de moi : près de trois semaines que je passais plusieurs de mes après-midis dans cet endroit, mais je ne m'étais toujours pas familiarisée à ces murs austères, et encore moins aux meubles dont le comportement inspirait encore plus de respect et de crainte que leur propriétaire-même. Jordan a ramené à boire et nous avons papoté un peu. Après quoi nous nous sommes mis au travail.
Lorsque je lui ai demandé comment il appréhendait le contrôle, s'il se sentait capable d'atteindre l'objectif fixé, il m'a répondu très désinvolte qu'il n'en savait rien, qu'on verrait. Je ne comprenais pas que quelqu'un puisse se montrer aussi peu déterminé à remporter une victoire, et ainsi clouer le bec aux gens qui ont tant proclamé son incompétence.
Il avait la tête baissée, le menton enfoui dans les paumes de ses mains, les yeux perdus entre les lignes du manuel de littérature et son cahier de notes. Son front luisait au-dessous du dégradé dont les contours venaient d'être refaits. J'avais envie d'y déposer un baiser, sur son front ; lui souffler en prenant sa main avec tendresse que s'il en avait vraiment envie, il pouvait décrocher des notes frôlant l'excellence. Honnêtement, je l'en croyais capable.
— Faisons un marché, ai-je lancé presque sans réfléchir.
Mon compagnon s'est redressé, prêt à m'écouter.
— Si tu obtiens un douze à cette évaluation, je t'invite à manger ce que tu veux, où tu veux, selon ta disponibilité. Sinon tu devras faire le ménage dans ta chambre et promettre de la ranger minimum une fois par semaine.
Ma proposition l'a laissé pantois pendant un instant. Puis, rigolant en silence, il s'est penché en avant sur la table jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que quelques centimètres entre nos deux visages. Interdite, je n'ai osé bouger ou dire quoi que ce soit avant qu'il ne prononce :
— Tu es remplie de vice, toi.
— Hein ? me suis-je indignée. Mais pourquoi tu dis ça ?
Il a délibérément ignoré ma demande d'explication et s'est rassis convenablement.
— Marché conclu, Maîtresse.
Le sourire n'a pas quitté ses fines lèvres délicatement ourlées du reste de la soirée. Ses pupilles ébène se décrochaient de temps à autre des bouquins, pour s'agripper aux miennes et captiver l'ensemble de mes sens tel le plus beau tableau offert par la nature.
Je ferais d'ailleurs mieux de me mettre à réviser, moi-même. Ce sera certainement une meilleure occupation pour mon cerveau que de faire paraître Jordan sous l'aspect d'un spectacle aphrodisiaque.
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