Chapitre 13
Assise sur la cuvette des toilettes, la scène précédente commençait à peine à paraître réelle et à me faire paniquer. Que s'est-il passé ? Bon sang ! Pourquoi j'ai agi de la sorte ? Avec quel degré de colère monsieur Ondoa l'a-t-il pris ? Est-ce qu'il me mettra un zéro sans se poser poser de questions ou alors...
Des hoquètements saccadés ont soudain attiré mon attention à l'extérieur de la cabine. J'ai terminé mon affaire, tiré la chasse et suis sortie de la pièce étroite, non sans une pointe de curiosité. Là, dans l'espace commun des toilettes des filles, où se trouvent lavabos et miroirs, je suis tombée sur Marine Bengo, adossée à un mur et reniflant. Il m'a semblé qu'elle pleurait, et dès qu'elle m'a vue, elle s'est rapidement essuyé le visage.
Après m'être lavée les mains, je me suis dirigée vers elle en hésitant un peu.
— Ça va ? ai-je demandé.
Elle s'est pincé les lèvres et a fui mon regard. Ses grands yeux mouillés brillaient de tristesse sous le battement de longs cils collés entre eux à cause des larmes. C'était étrange de la voir paraître si vulnérable, elle qui d'habitude était la personnification même de l'intimidation. Son grain de peau faisait penser aux airs du soleil pendant l'agonie de la matinée, ses nattes parfaitement tissées achevaient leur course à la l'extrême limite de sa nuque, laissant ainsi place à un long cou doré digne de toutes les louanges. Elle adoptait toujours une posture de vainqueuse, le menton levé, les épaules bien droites et la poitrine en avant. Son regard ne se posait sur les élèves dans mon genre qu'avec dédain, voire dégoût. Il fallait avoir une sacrée confiance en soi pour ne pas se sentir rabaissé.e face à elle. Pourtant, c'était tout sauf cette Marine-là que j'avais sous les yeux à cet instant.
Elle ne faisait que renifler, les bras croisés sur sa poitrine. J'ai coupé un bout de papier hygiénique que j'ai soigneusement plié avant de lui donner. Elle l'a pris sans un mot et s'est disgracieusement mouchée.
Nous sommes restées un petit moment sans rien dire, même si je mourais d'envie qu'elle explique pourquoi elle était dans cet état.
Une élève de Première D est entrée et nous a jeté un regard intrigué avant d'aller s'enfermer dans l'un des six cabinets.
— On devrait peut-être... sortir d'ici, a suggéré Marine.
J'ai opiné et nous nous sommes mises en marche pour regagner les classes de Terminales A qui étaient à l'autre bout de l'étage. Nous marchions sans se précipiter, sans se regarder non plus, jusqu'à ce que Marine décide de briser le silence :
— Tu étais très bien habillée à l'anniversaire de Didier.
J'ai tourné la tête vers elle, plus que surprise.
— Ça donnait un effet old rich un peu moderne, a-t-elle poursuivi. J'aime bien. Surtout chez les filles.
Je n'ai pu m'empêcher de sourire.
— C'est gentil, merci.
Je me suis retenue de lui retourner le compliment en ajoutant que c'est tout le temps que moi je la trouvais belle. De toute manière elle devait forcément en être au courant. Tout le monde la trouve belle. Ce ne sont pas les compliments qui doivent lui manquer...
— Par contre ton comportement hautain m'a bien fait chier, et c'est le cas de le dire : tout le monde en a fait la remarque dès que tu es partie.
— Quoi ? Moi, hautaine ?
— Bien sûr ! T'as vu comment tu restais en retrait et prenais tout de haut ? T'as rien mangé, rien bu... et même refusé de participer au karaoke.
Ah... C'est vrai que vu sous cet angle, ça semble logique.
— Mais je ne suis pas vraiment comme ça, c'est juste... que je ne me sentais pas à ma place.
— Mmh... Ça se comprend aussi, peut-être.
Nous étions presque arrivées devant ma salle de classe où une foule d'élèves attendait déjà, agitée, la prochaine épreuve de cette première journée d'évaluations séquentielles. C'était l'épreuve de langue et automatiquement, sans raison apparente, mes pensées se sont dirigées vers Jordan. L'épreuve de littérature était dans trois jours et on avait une dernière séance de répétition la veille. Je ne sais pas pourquoi à cette pensée j'avais l'impression de sentir mon cœur se crisper.
— En tout cas, a lâché Marine une fois que j'ai rejoint mes camarades, je te remercie de t'être souciée. À plus.
Elle m'a souri puis a continué son chemin en dandinant ses hanches de gauche à droite, toute gracieuse.
— C'est donc officiel, hein ? a pesté Laeticia dans mon dos. Tu traines déjà avec ces gens-là ?
J'ai soupiré en levant les yeux au ciel avant de lui répondre :
— J'étais aux toilettes. Et puis, je peux encore décider de traîner avec qui je veux, non ?
— Bien sûr ! Mais d'abord évite de cracher sur ces personnes et les traiter de tous les noms d'oiseaux, comme ça au moins tu ne parais pas hypocrite après.
J'ai secoué la tête, agacée.
— Tes commentaires sont très puérils, Laeticia.
— C'est ça. C'est toi qui te comportes comme une gamine, à courir derrière eux comme un petit toutou en quête désespérée d'attention.
— Je te demande pardon ? Tu m'as vue courir derrière qui ? Ça va pas ?
— J'ai dit ce que j'ai dit.
— Ouais ben faut souvent réfléchir avant de dire certaines conneries. Et d'ailleurs, de nous deux, il est bien évident que c'est toi la gaga d'attention, la preuve était encore visible sur ta jupe il y a quelques jours.
— Pourquoi tu parles de ma jupe ? Tu es cinglée ?
Les voix s'étaient inconsciemment élevées, attirant l'attention des autres autour de nous. J'ai directement voulu mettre un terme à la dispute, de peur qu'elle n'aille trop loin et nous place dans une situation délicate. Le Lycée Leclerc est certes loin d'être la référence en terme de discipline et sanctions correctives, mais je tenais personnellement à ne pas tacher mon image de bonne élève.
— En tout cas, abstiens-toi de parler de mes affaires et je ferai pareil, ai-je tranché.
Bien que ravalant sa fierté ainsi que la frustration de ne pas avoir le dernier mot, Laeticia a approuvé en hochant insolemment la tête.
En sortant de ma classe en fin de journée, la fatigue et la chaleur roulaient déjà sur moi avec la lourdeur du plomb. L'idée d'aller poireauter en route jusqu'à ce qu'un taxi veuille bien de moi m'exténuait davantage. Les balcons et la cour du lycée grouillaient d'élèves qui semblaient aussi pressés que moi de rentrer chez eux. Tout ce blanc et bleu mélangés se mouvait énergiquement, dégageant des sons et des odeurs moribondes. Une formidable cohue dont se soulevaient des voix qui racontent tout et rien.
Je me frayais un chemin dans cette jungle juvénile, slalomant entre les groupes de commérages et les amoureux collés-serrés, lorsque devant moi est apparue une silhouette que j'aurais tout sauf eu envie de voir.
— Samba ! s'est enchantée madame Bafandi. Ça va ?
Si ça c'est pas être sadique...
— Oui madame, ai-je feint. Et vous ?
— Beaucoup mieux quand on en aura fini avec ces évaluations et qu'il sera enfin temps d'aller en vacances.
Sur ce point on est d'accord.
— Malheureusement nous n'en sommes qu'au premier jour, ai-je rappelé avec dépit.
— En effet. Sinon dites-moi, vous êtes parvenue à quelque chose de positif avec Efua ? Vous êtes plutôt confiante ou non ?
Évidemment, ce n'est que là qu'elle voulait en venir. Chaque fois qu'on se voyait depuis deux semaines, ma professeure de français me posait les mêmes questions au sujet de Jordan. Je lui répondais vaguement, sans vraiment donner d'information précise. La vérité étant que j'étais moi-même sceptique en ce qui concernait l'évolution de son neveu en littérature. Il lui manquait encore quelques notions importantes d'esthétique, quoiqu'il m'ait souvent servi d'étonnants argumentaires. Aussi, j'ai été très agréablement surprise par sa faculté à retenir, par contre je faisais moins confiance à sa maîtrise de la stylistique.
— Ça le fera, ai-je néanmoins déclaré. Vous ne pensez quand même pas qu'avec la moitié de ma note en jeu, j'aurais pu lui laisser le choix ?
Elle m'a souri d'un air complice, subtilement saupoudré d'admiration, puis avec une petite tape dans l'épaule, m'a soufflé un « ok » avant de poursuivre son chemin. J'ai alors foncé hors de l'énorme portail de l'établissement en ayant non seulement encore plus chaud, mais faim aussi.
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