2. Eden (1)
Huit mois plus tard
J'enfile mon T-shirt et fonce vers la salle de bains en tentant l'exploit ultime de planter ma jambe gauche dans mon jean. Tout ça en marchant, bien entendu !
Merde, je suis vraiment en retard.
Je m'arrête quelques secondes face au miroir, et le reflet qu'il me renvoie n'est pas brillant. Je souffle exagérément, et envoie par la même occasion valser une boucle blonde, qui retombe mollement sur ma joue.
Ma course reprend après m'être rafraichi le visage sous l'eau froide – j'ai toujours bon espoir que l'eau glacée ravivera mes traits chiffonnés –, mais je manque de m'étaler sur le tapis du salon.
Une main se tend vers moi pour m'aider à reprendre l'équilibre, seulement je l'ignore royalement, ravale ma dignité, et m'écrase lamentablement sur le sol sous le rire gras d'Alex.
— T'es quand même incroyable ! Tu ne peux pas m'en vouloir d'être en retard quand même, sérieusement Eden !
— C'est ta faute oui ! C'est toi qui as voulu sortir hier alors que j'étais naze !
Je boude comme une gamine de cinq ans, le mal de crâne en supplément. Tout ça sans aucun scrupule !
— Ne fais pas l'enfant !
J'époussette mon jean et plante mon regard dans ses iris marron aux reflets noisette. Son ton moralisateur a le don de m'agacer. Parce que monsieur a six ans de plus que moi, il se sent dans l'obligation de m'infantiliser.
— Pousse-toi de mon chemin !
Je le heurte volontairement pour passer, froissant au passage sa splendide chemise Guess, mais je ne peux retenir le petit sourire qui pointe lorsqu'il la lisse machinalement.
— T'es chiante Eden !
— Et c'est moi l'enfant ?
Radoucie, je claque un baiser bruyant contre sa joue et respire l'odeur rassurante de son après rasage, tout en m'attachant vulgairement les cheveux en une queue lâche à l'aide d'un vieux chouchou qui traînait sur la table basse. Puis je me précipite vers la sortie, non sans avoir lancé un « je t'aime » à tue tête.
— Je t'aime aussi, on se voit ce soir !
Le son étouffé de sa voix me parvient à peine alors que je dévale les escaliers au pas de course. Je regarde l'heure pour la dixième fois. Bryan va me tuer, c'est la troisième fois que je suis en retard cette semaine.
Arrivée devant les studios Everwood, je marque un temps d'arrêt, comme chaque jour depuis six mois. Parce que les émotions sont intactes, et que l'impression reste la même : complètement surréaliste. Je sors mon badge pour passer la sécurité, lorsque j'entends deux jeunes filles m'interpeler.
— Oh mon Dieu, c'est Gabrielle Sawyer !
— S'il vous plaît s'il vous plaît, un autographe !
Je jette un œil anxieux au-delà de la grille, m'attendant à voir surgir un Bryan fulminant, avant de me recentrer vers les deux adolescentes. Un peu gauche, je sors un stylo et leur griffonne un petit mot, suivi de ma signature. Je crois que je ne m'habituerai jamais à cette partie de mon « travail ».
J'ai signé en septembre dernier un contrat exclusif de deux ans avec le producteur hollywoodien Bryan Snood, alors que je ne devais tourner que deux des derniers épisodes de première saison de « Déviants », la série dystopique la plus adulée de cette décennie. La prod m'a rappelée après la diffusion des épisodes, que les fans ont littéralement adorés. Il paraît que l'alchimie entre Cameron et moi crève l'écran. Pourtant, moi, ce sont ses deux yeux que je rêve de crever. Il est insupportable !
Mais bon, pour la première fois, je gère ma vie de manière indépendante, sans me crever à la tache, avec un job incroyable et une ambiance famille, et surtout sans rien devoir à mon père ! Complètement inespéré !
La série que nous tournons est destinée aux adolescents et jeunes adultes, ce qui fait que le public est très présent, passionné, et la plupart du temps, adorable.
Je relève la tête vers le ciel avec un petit sourire. La brume tarde à se dissiper, ma respiration haletante commence à se régulariser, mais laisse tout de même quelques buées s'échapper de mes lèvres entrouvertes. Il doit faire à peine cinq degrés. Pas étonnant à Vancouver pour un début de printemps. J'adore cette ville, et tout ce qui s'y rapporte, pour moi, c'est le dépaysement total. On aurait pu croire que de par mon rang et ma position, j'aurais voyagé à travers le monde. Mais pas du tout. J'ai l'impression que toute mon existence, on m'a enfermée à double tour. Depuis que je vis au Canada, je revis ! Ici tout est immense, brut, et rude, aussi. Pour le peu qu'on s'éloigne un peu de la ville, la nature est sauvagement éblouissante, les couleurs chatoyantes se transforment en infini. Rien d'autre à l'horizon que le parfum de la liberté.
Je frissonne et me dandine sur place dans le vain espoir de parer au froid glacial qui s'insinue au travers de ma parka. OK, la fine bruine qui me tombe sur le coin du nez ne fait pas partie des choses que je préfère au Canada, mais quand même, je m'y plais suffisamment pour imaginer y vivre définitivement.
— Est-ce que Gaby et Matt vont sortir ensemble avant la fin de la saison ?
La voix de crécelle d'une des jeunes filles me sort de mes songes. Elle triture ses deux mains, et me regarde avec un espoir non feint, comme si sa vie en dépendait.
J'ai envie de lui dire de s'en trouver une, de vie, avant de me rappeler comme je me languissais il n'y a pas si longtemps, devant mes héros de série télé. Malgré tout, je ne peux m'empêcher de grimacer. Gabrielle est mon personnage dans la série, Matthew, son professeur. Pour le moment, rien n'est prévu, et j'en suis ravie. Parce que Gabrielle et Matthew ensemble signifierait que je doive poser mes lèvres sur celles de Cameron Williams, et là, je mets mon véto. Purement fictionnelle vu que je n'ai pas mon mot à dire. Mais disons que malgré notre pseudo alchimie, ça risquerait en effet de faire des étincelles, mais pas dans le bon sens du terme : dire qu'on n'a pas d'atome crochu est un véritable euphémisme. Lui et moi dans la même pièce, c'est déjà invivable, alors s'il devait me toucher... beurk. Enfin, pas beurk dans le sens où il est repoussant. Non, l'extérieur est plutôt attrayant, c'est tout le reste qui cloche.
Les jeunes filles semblent attendre désespérément une réponse. J'affiche un faux sourire et leur répond en riant :
— Désolée, je n'ai pas le droit d'en parler !
Je parviens à m'échapper tandis qu'elles continuent de m'assaillir de questions, mais je m'arrête quelques secondes avant de pousser la porte fatidique, histoire de reprendre un peu mon souffle. Je pénètre enfin dans les studios, et me retrouve face à une bonne dizaine de paires d'yeux qui me scannent, dans un silence assourdissant. Je viens visiblement d'interrompre une scène. Ma main se perd nerveusement dans ma chevelure bouclée que je n'ai pas eu le temps d'apprivoiser, et je lâche un :
— Désolée...
— Mais je t'en prie Eden, c'est très gentil de nous faire profiter de ta présence, il ne fallait pas, vraiment !
OK, c'est plutôt mal parti, Brian a l'air furax.
— Brian, elle se met juste dans la peau de son personnage ! Gaby est toujours en retard, se marre Eliott, un autre des acteurs de la série.
Je pouffe et lui lance un regard de connivence, jusqu'au moment où mon producteur me fusille de ses prunelles incandescentes.
Oups...
Je me fais toute petite et me faufile jusque la loge de la maquilleuse, sous le regard désabusé de Cameron.
— Personne n'a voulu de mon avis quand il a fallu embaucher la nouvelle actrice principale, bougonne-t-il.
Je me retourne avant d'atteindre la loge, lui décoche un sourire éblouissant, et au passage, un joli doigt d'honneur.
C'est peut être exagéré vu que je suis un tout petit peu en faute, mais j'adore le voir lever les yeux au ciel d'un air exaspéré.
Cameron est le parfait prototype du tombeur arrogant et sûr de lui. Alors oui, il peut paraître attractif aux yeux de la gent féminine : des cheveux à peine trop longs, légèrement ondulés qui lui confèrent un air angélique, un nez droit saupoudré de tache de rousseur, un regard aussi pétillant que ténébreux assorti à sa chevelure, et ce sourire en coin – qui pourrait être sexy s'il ne paraissait pas systématiquement sarcastique. Sans oublier ses origines latino très lointaines, et la petite fossette sur le menton pour le côté faux romantique. Oui, il est craquant, mais insupportable. Et il adore me pousser à bout.
Et puis le chaume de barbe, pourtant à la mode, je ne trouve pas ça attirant !
La maquilleuse grimace lorsqu'elle voit les auréoles qui s'étendent sous mes yeux ravagés par les cernes. Et je sens poindre la crise cardiaque lorsque ses prunelles se posent sur ma chevelure, qu'elle va devoir dompter parce que le coiffeur a déjà pris la poudre d'escampette. Trente minutes plus tard, et une maquilleuse en nage, je me présente sur le plateau.
— Tu es prête pour ta scène avec Cameron ? demande Brian sans relever la tête.
— Oui !
Je me fais docile. Aujourd'hui, je veux bien dire amen à tout !
— Alors on commence par cette scène, puis Cameron reprendra cet après midi, vu qu'il a déjà bien bossé, lui !
Je baisse la tête et mes joues prennent une teinte cramoisie.
— Je... suis désolée Brian, vraiment, je...
— Bon Eden, le bureau des plaintes, c'est pas ici ! nous coupe le tombeur du dimanche.
Je serre les dents, retiens la réplique que j'ai au bout de la langue et lâche un profond soupir. Je dois rester professionnelle...
— Je t'emmerde !
Mais je n'y arrive pas...
Il se marre, pas vexé du tout. Je crois même voir l'ombre d'un sourire avant qu'il opère un demi-tour théâtral.
On s'agace, on s'insupporte, mais on sait tous les deux que ce n'est pas vraiment méchant. Sinon c'est certain, sa sœur le tuerait !
— Ça suffit !
Je ravale mon sarcasme – et accessoirement l'envie de faire l'enfant –, puis je passe le reste de la matinée à me montrer irréprochable, même si je finis dans une pièce sombre où Matt le prof est censé me cacher pour protéger la jeune Gaby des méchants.
Au bout d'environ deux heures – une éternité – mes scènes d'aujourd'hui avec Cameron sont terminées. Il ne m'en reste plus qu'une avec Lewis, qui joue le rôle de mon père, et je pourrai rentrer...
Lewis est la définition même de l'acteur avec qui tout le monde aimerait tourner. Toujours souriant, les cheveux grisonnants, c'est le premier à arriver le matin, le dernier à partir le soir. Il prodigue ses conseils avec la bonté d'un type qui a passé sa vie à œuvrer pour les autres. Un vrai papa poule avec nous, la joie de vivre incarné. L'antagonisme même de la star. Ou de Cameron. Bon, j'abuse, le frère d'Hailey n'est désagréable qu'avec moi. Si j'étais honnête, je concéderais qu'il n'a pas la grosse tête malgré la foule de nanas qui l'attend chaque jour après le tournage...
Néanmoins, avec lui, je suis de mauvaise foi, donc je garderai ce pseudo compliment verrouillé à double tour.
— On coupe ! hurle Brian en sautant sur ses pieds. Géniale cette scène, tellement émouvante !
Je réprime un bâillement, à moitié concentrée. Je n'ai saisis que le « Géniale ». Au moins, on ne va pas la refaire.
À la pause, je me traîne péniblement jusqu'à ma loge, mais mes doigts s'immobilisent sur la poignée, tétanisés. Des petits gémissements me parviennent plutôt très distinctement, et je vois rouge. Je pousse brutalement la porte, qui rebondit contre le mur, et passe instantanément une main sur mes yeux devant le spectacle qui s'offre à moi. J'ai une vue – enfin j'avais – plongeante sur les fesses rebondies de Cameron, tandis que sa cruche de service se dandine sous lui, plaquée contre la mini table. Errrrkkkk.
Je gesticule, fais de grands gestes de la main, et hurle à plein poumon tandis que j'entends la greluche se dégager.
— Putain Williams ! Qu'est-ce que tu fiches dans ma loge !
J'explose littéralement de colère et laisse retomber ma main pour toiser le lapin en rut devant mes yeux. Enfin, j'essaie de me concentrer sur son regard, ce qui me semble compliqué vu qu'il est toujours nu comme un ver ! Je sens le rouge me monter aux joues, de rage, de gêne, je ne sais plus vraiment. Mais Cameron éclate soudain de rire, et me laisse paralysée.
— Je t'en prie, ne te gêne pas princesse, rince toi la vue en toute impunité !
— Fiche le camp d'ici, abruti !
Ses lèvres forment une moue moqueuse tandis qu'il croise les bras sur son torse.
— Tant d'amour me rend tout chose ! Ah, et sinon, tu es dans MA loge. Si tu tiens tant que ça à finir dans mon lit, il va falloir être un peu plus douce, murmure-t-il en se rapprochant de moi.
J'ouvre la bouche pour répliquer, puis la referme, en proie au doute.
Qu'est-ce qu'il raconte ?
Sa conquête s'étant rhabillée, elle me contourne en me dévisageant d'un air hostile, puis s'adresse au jeune homme :
— On remet ça à plus tard, Cam ?
L'acteur reste figé, sans détacher ses yeux des miens, et d'un seul coup, j'ai l'impression que de nous deux, la personne nue, c'est moi.
Je le dévisage, confuse. Comment ai-je pu me tromper de loge ? Il faut vraiment que j'arrête mes conneries, j'ai cruellement besoin de sommeil !
Je mordille ma lèvre, résiste à l'envie de détourner mon regard, puis me pétrifie lorsque je me rends compte qu'il a raison.
Eh merde !
— Je savais que tu cachais bien ton jeu, Eden ! Si tu crois que je vais croire en la coïncidence !
Cameron fait un pas de plus vers moi, envahissant mon espace personnel. Si son ton est toujours moqueur, je peux distinguer les flammes se déchainer dans ses prunelles alors qu'il me toise de toute sa hauteur, à peine à un souffle de mon visage. Je bredouille sans même songer à m'éloigner. Je sais qu'il ne cherche qu'à me provoquer, mais je ne me sens pas à l'aise. C'est quand je prends conscience de sa proximité, et que j'ai tout loisir de scruter ses pectoraux, que je fais un bond en arrière.
Il manque tellement d'élégance qu'il n'a même pas remarqué que la fille qui l'accompagnait n'avait pas bougé et attendait toujours à la porte de la loge.
Je fais claquer ma langue et me tourne vers elle... oh... mais... super, c'est Daphné, un second rôle récurrent de la série. Je lève les yeux au ciel, l'image de Cameron et Daphné gravée sur mes pupilles. Je la regarde sortir en le traitant de salaud – ce que je ne peux qu'approuver – et me recentre sur lui.
— Pour ça, il faudrait que tu puisses me satisfaire, Williams ! Mais à part ton égo, je ne vois rien qui vaille le coup de m'attarder, le provoqué-je en désignant ses attributs.
Il éclate de rire, il faut dire que ce crétin est plutôt bien loti, alors ma répartie ne tient pas vraiment la route.
Pitié, que cette journée s'achève rapidement...
J'inspire profondément, me drape dans le peu de dignité qu'il me reste, et me fais violence pour éviter de quitter la pièce au pas de course. Le seuil de la loge franchi, je lui refais un joli doigt d'honneur.
OK, aujourd'hui, j'ai très peu d'imagination !
Une fois à l'extérieur, je prends soin de vérifier le nom inscrit sur la porte, même si je n'ai plus aucun doute.
« Cameron Williams ».
Fait chier, il va me chambrer pendant des semaines !
****
Hello !
On rentre plus dans le quotidien d'Eden et Cameron, et on découvre la série. J'espère que ça vous plaît !
Passez un bon week-end !
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