Chapitre 20 : La vie sur le camp - Lapine
Les journées de Lapine étaient ternes et monotones. Elle devait remplir toutes les tâches les plus ingrates. Cuisine, nettoyage, lessive, raccommodage... Elle avait l'impression d'avoir fait un bond d'un siècle en arrière.
La vie de Renard semblait bien plus palpitante. Il sortait du camp, vivait de l'action, ressentait de l'adrénaline. Ils se croisaient peu, leurs emplois du temps étaient incompatibles. En revanche, il était sans cesse collé à Justine. Chacune de ses missions était partagée avec la belle blonde.
Un midi, alors que l'hiver continuait de geler les thermomètres, Charlotte était de service pour la énième fois. C'est alors qu'elle les vit arriver. Accrochée au bras du beau brun, Justine riait aux éclats. Renard aussi semblait s'amuser. Son regard restait terne, mais son sourire ne pouvait pas mentir. Il se passait forcément quelque chose entre ces deux-là. Et, aussi détestable que cela puisse paraître, Charlotte en ressentit de l'agacement.
— Salut ! lança Renard en s'approchant de sa colocataire avec un plateau prêt à être rempli de nourriture fade mais consistante. Tu vas bien ?
— Bonjour, répondit plutôt froidement Charlotte. Je vais bien, merci. Je te sers quoi ?
— Un peu de tout, j'ai une faim monstrueuse. On a marché une dizaine de kilomètres avant de devoir rester planqués dans une vieille grange en attendant que le chargement russe passe, puis revenir ici. Rien qu'en une matinée, c'est épuisant.
— J'imagine que c'était exaltant, comme d'habitude.
Renard ne releva pas. Il se doutait que Charlotte s'ennuyait profondément sur le camp. Mais ils ne devraient plus en avoir pour longtemps. Justine avait été claire, ils ne pouvaient pas rester indéfiniment sur place. Juste le temps qu'il règle leur dette. L'ex-militaire remercia la jeune femme qui venait de remplir son plateau, et il alla s'asseoir à table.
— Bonjour Justine, se força Charlotte. Qu'est-ce que je te sers ?
— Pareil que Renard.
Aucune formule de politesse. C'était définitif, le courant ne passait pas entre les deux femmes.
S'étirant exagérément devant Charlotte, Justine lâcha dans un soupir tout aussi théâtral :
— J'ai les muscles en charpie. On a dû se cacher dans un espace très restreint pour ne pas se faire repérer, corps contre corps sans trop bouger, ça m'a encore plus achevée que la marche.
Elle s'en alla, son plateau à la main, laissant Charlotte la bouche grande ouverte derrière son comptoir. La jeune femme était stupéfaite. Pourquoi Justine lui racontait-elle ça si ce n'était pas pour la rendre jalouse ?
L'esprit en colère, elle regarda la belle blonde s'éloigner et s'asseoir juste à côté de Renard. Tout au long de leur repas, Charlotte leur lançait des œillades agacées. Ils semblaient vraiment s'amuser à rire autant entre eux, de délires qu'ils ne lui partageraient pas.
Seule, dans la cuisine sous les ordres d'un cuistot peu commode, Charlotte eut envie de tout envoyer valser et de prendre ses jambes à son cou pour partir loin de ce camp. C'était injuste. Elle était réduite à l'état d'esclave pendant que celui qui était censé payer leur dette passait du bon temps.
La jeune femme essayait de cacher son émotion, mais cela ne sembla pas suffire puisque Ruby, qui passait avec son plateau, la remarqua :
— Bonjour Lapine, tu vas bien ? Tu as l'air d'être contrariée.
— Bonjour Ruby, je vais bien, merci. C'est juste que je trouve le temps long ici. Ma place n'est pas dans ce camp.
— Je veux bien te croire. C'est pas cool ce que font Justine et Renard. Tu leur en as parlé ? Ils ne s'en rendent peut-être pas compte.
— Je suis sûre qu'elle, elle s'en rend compte.
Charlotte désigna la belle blonde du menton avec un air dégoûté.
— Justine est... commença Ruby qui cherchait ses mots. Particulière. Oui, Justine est particulière. Elle n'aime pas trop la concurrence. Quand Garance et moi sommes arrivées, elle nous a tout de suite prises en grippe. Heureusement pour nous, elle a très vite compris qu'on ne lui ferait pas de l'ombre. À l'époque, elle était éprise d'un homme qui est reparti depuis. Ça lui a brisé le cœur. J'imagine que maintenant, elle a mis le grappin sur Renard. Et je l'en plains autant que toi.
— J'en ai rien à faire de leur relation. Ils font bien ce qu'ils veulent.
Un sourire au coin des lèvres, Ruby se pencha sur le comptoir pour parler tout bas à Charlotte afin que personne ne puisse entendre leur échange :
— J'ai l'impression que tu te mens à toi-même ma grande.
— Comment ça ? chuchotait aussi Charlotte. Bien sûr que non ! Je n'ai aucun sentiment pour Renard. Il est si détestable avec son humour lourd et son absence de compassion.
— Tu m'en diras tant ! Bon, allez, je vais manger. Je vais me faire une petite place près de Justine pour casser son tête-à-tête avec votre beau brun. Tu me remercieras plus tard.
Ruby fit un clin d'oeil à Charlotte avant de partir avec son plateau sans lui laisser le temps de répondre quoi que ce soit. La jeune femme regarda donc la militaire aller s'asseoir près de Renard et Justine. Le visage de cette dernière se décomposa, ce qui rendit son sourire à Charlotte. C'était comme une balance mal équilibrée. Il fallait que l'une aille mal pour que l'autre se sente bien.
Un autre soir, tandis que Charlotte venait de terminer son service à la cantine collective et qu'elle rentrait à son préfabriqué, elle entendit la porte du logement de Justine s'ouvrir. C'est alors qu'elle tomba nez à nez avec Renard.
Ce dernier se figea, ses yeux s'arrondissant sous la surprise. Il ne semblait toutefois ressentir aucune gêne, comme si tout était normal. Il était tard, il faisait nuit depuis bien longtemps, et il ressortait de chez Justine dans le plus grand des calmes.
La coup de massue fut l'apparition de la belle blonde qui venait saluer son visiteur. Sa main se posa sur le pectoral de l'ex-militaire, et elle commençait à lui susurrer de passer une bonne nuit, lorsque son regard se posa sur Charlotte qui n'avait toujours pas bougé, figée par la stupeur. Alors, le sourire de la hyène s'agrandit encore davantage, et son corps se colla à celui de Renard qui se décala à peine.
— Bonsoir Lapine ! envoya Justine avec joie. Tu as l'air d'être fatiguée après ta journée de travail. Repose-toi bien ! Moi aussi je suis rincée avec tout ce qu'on vient de faire, hein Renard ?
— Ouais, se contenta de répondre le beau brun complètement paumé.
Habilement, il se détacha de Justine pour aller rejoindre Charlotte.
— On rentre ensemble ? demanda-t-il avec sympathie.
— Oui, si tu veux, réussit à articuler la jeune femme qui sentait sa bouche s'assécher à cause de sa respiration qui s'était accélérée.
— Bon bah, salut Justine !
La belle blonde salua poliment les deux colocataires avant de rentrer dans son logement, fière de cette petite scène imprévue. Elle n'aimait pas Charlotte, elle voulait Renard pour elle toute seule, ça tombait parfaitement bien cette rencontre impromptue.
— Il fait plus doux en ce moment, lança Renard qui ne souhaitait pas qu'un silence gênant s'installe entre la jeune femme et lui.
— On a si peu de choses à se dire qu'on en est rendus à se parler de météo ?
Son ton était, encore une fois, plus sec qu'elle ne l'aurait souhaité. Elle se sentait à nouveau jalouse, et elle détestait ça. Pourquoi la relation entre Justine et Renard la mettait aussi mal à l'aise ? Elle n'était pas amoureuse de lui, pas même légèrement attirée par son charme naturel. Non, c'était un compagnon d'infortune, rien de plus. Pourquoi se mettre dans cet état pour ça ? Et, surtout, pour qui allait-il la prendre si elle se mettait à faire des scènes inutilement ? Il se ferait des idées, et ce serait affreusement gênant. Il fallait qu'elle se reprenne, et vite.
— Désolée, se rattrapa maladroitement la jeune femme. Je suis à cran en ce moment. Mes journées sont longues, déprimantes et épuisantes.
— Je comprends. Je n'aimerais pas être à ta place. Et je le vois bien que tu t'ennuies ici. J'en suis désolé. Je ne pensais pas que ça se passerait ainsi.
— Sais-tu quand on va enfin repartir ?
— Aucune idée. Pour le moment, Justine a encore besoin de moi. Je ne suis finalement pas si rouillé que ça.
Renard avait voulu faire un trait d'humour pour détendre l'atmosphère, mais il tomba très mal.
— Enfin, militairement parlant je veux dire ! se rattrapa-t-il en voyant Charlotte lever les yeux au ciel.
— Oui, oui, c'est bon, j'ai compris.
— Tu sais, même si c'est dur, tu es en sécurité ici.
— Je ne sais pas si c'est sous le coup de l'émotion que je dis ça, mais je préférais quand on risquait notre vie dans la technopole. Au moins, j'avais une vraie utilité, et j'étais autre chose qu'un larbin ambulant qui se reçoit des mains aux fesses quand j'ai le dos tourné.
— Tu quoi ?!
— Ne fais pas l'innocent. Tu te doutes que, parmi tous ces hommes, il y a des vieux pervers qui ne savent pas se tenir.
— Je ne savais pas que tu vivais tout ça ! Tu aurais dû me le dire plus tôt ! Donne-moi les noms, je vais régler ça.
— Non, je suis assez grande pour me défendre toute seule. Bonne nuit Renard.
Ils étaient arrivés devant leur logement. Sans jeter un seul regard à son colocataire, Charlotte alla se coucher, lasse. Son épuisement avait toutefois du bon, elle réussit à s'endormir sans ruminer.
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