Chapitre 2 : Envahissants
Cela faisait déjà trois semaines que Charlotte avait commencé son travail d'éducatrice de jeunes enfants en pouponnière. Elle s'y sentait épanouie. Comble du bonheur, sa meilleure amie Margaux avait réussi à se faire embaucher aussi. Tout irait forcément bien tant qu'elles seraient ensemble.
Après avoir travaillé plusieurs nuits d'affilée, Charlotte avait maintenant droit à quelques jours de repos. Elle en profita pour se promener dans le Square des Poètes, parc boisé traversé par une petite rivière en plein centre-ville, où elle avait des habitudes.
Le temps était toujours aussi agréable, mais peut-être plus pour longtemps. L'été avançait et les chaleurs étaient de plus en plus difficiles à supporter. Par chance ce jour, un léger vent doux faisait remuer paresseusement la queue-de-cheval toujours très serrée de Charlotte. Pas un cheveu n'en dépassait.
Alors qu'elle errait sans but entre les saules pleureurs, la jeune femme entendit une voix d'homme, qu'elle connaissait très bien, l'appeler :
— Hé Charlotte !
L'intéressée se retourna lentement et, sans surprise, se retrouva face à Gabriel. Son ex.
— Salut ! lança ce dernier d'un ton enjoué. Comment tu vas ? Ça fait longtemps ! Quel heureux hasard !
— Bonjour Gabriel. Je vais très bien, merci. Et toi ?
— Ça va, ça va. J'ai appris que tu as décroché un boulot qui te plaît. Félicitations !
— Tu es toujours en contact avec Margaux c'est ça ? Et c'est elle « l'heureux hasard » ?
Gêné, le beau métis se mit à rire en se frottant la nuque.
— C'est peut-être bien ce qu'il s'est passé, lâcha-t-il toujours en riant.
— Elle est incorrigible... s'amusa Charlotte.
— En fait, je lui ai demandé de tes nouvelles, parce que je savais que tu passais très bientôt ton diplôme. Elle m'en a donné quelques-unes et, hier soir, elle m'a informé de ton projet de promenade ici.
Gabriel marqua une pause durant laquelle il prit une grande inspiration. C'est gonflé d'air et de courage qu'il se lança :
— En fait, j'aimerais savoir si... Si maintenant que tu as terminé tes études, tu ne voudrais pas... Tu ne voudrais pas qu'on se laisse une seconde chance ?
Prise de court, Charlotte ne sut d'abord pas quoi répondre. Elle se remit aussitôt à triturer son collier de perles, les yeux faisant des allers-retours sur le sol à toute vitesse. C'était évident qu'il chercherait à revenir, mais elle avait préféré rester dans le déni. Elle ne savait pas encore très bien où elle en était de sa vie, et tout particulièrement de sa vie sentimentale.
— C'est que... commença-t-elle avant de finalement s'arrêter.
— Oui ? l'encouragea Gabriel avec appréhension.
— Je n'y ai pas vraiment réfléchi. J'ai besoin d'un peu de temps supplémentaire avant de te donner une réponse.
— Bien sûr ! Je comprends ! On pourrait peut-être essayer de redémarrer de zéro ? Si tu veux, on se voit samedi soir, on va se boire un verre, on se fait un ciné, ou ce que tu veux d'autre ?
— Je travaille ce week-end, désolée.
— Ou n'importe quel autre jour.
— Je vais y réfléchir, et je reviendrai vers toi pour te donner ma réponse.
Les deux exs se sourirent affectueusement. Leur relation avait commencé sur les bancs du lycée. Tous les deux élèves en terminale, ils étaient les timides de leurs groupes respectifs. Aidés par des amis communs, ils commencèrent à passer du temps ensemble, comme les deux adolescents qu'ils étaient.
Puis, par un beau samedi, lendemain d'épreuve de bac blanc, ils se retrouvèrent au Square des Poètes et, assis sur un banc vert, ils échangèrent leur premier baiser. L'été qui suivit, alors qu'ils venaient d'avoir leur baccalauréat et qu'ils se préparaient à entamer leurs études supérieures, ils se retrouvèrent seuls dans l'immense domaine des parents de Gabriel partis en vacances, et ils partagèrent bien plus qu'un simple bisou.
Les semaines et les mois passèrent. Si les sentiments étaient encore là, le temps leur manquait. Les études devenaient trop chronophages. Les premières tensions s'installaient. La rupture devint inévitable.
Pourtant, les deux exs ne s'oubliaient pas, au grand dam de Margaux qui détestait stagner. Elle avait besoin d'être en mouvement. Pourquoi Charlotte se complaisait tant dans l'immobilité ?!
— Arrête de ressasser inutilement ! avait-elle ordonné à son amie dont l'indécision l'insupportait. Ou tu y retournes, ou tu coupes définitivement les ponts. Mais tu ne peux pas te morfondre comme ça tous les jours, en plus pour un gars qui partage les mêmes sentiments que toi !
Mais Charlotte ne s'était pas lancée. La peur peut-être ? Peur de quoi ? Que Gabriel la rejette ? Certainement pas, il était fou d'elle. La peur d'une relation durable avec d'effrayants projets d'adultes ? Probablement.
— Bon bah du coup, la sortit Gabriel de ses pensées, j'attends ton message.
— Oui, c'est moi qui te relance. Et, s'il te plaît, arrête de manigancer avec Margaux. Je suis assez grande pour gérer ma vie comme je l'entends.
— Pas de problème, j'ignore les appels et sms incessants de Margaux, et je prends une garde rapprochée pour le jour où elle me tombera dessus.
Les deux exs pouffèrent avant de repartir chacun dans une direction opposée. Charlotte continua sa balade encore quelques instants avant de finalement rebrousser chemin et rentrer chez elle. Il fallait qu'elle appelle Margaux.
Comme connectées par un étrange lien imperceptible, lorsque Charlotte eut franchi la porte de son appartement, elle reçut un message de sa meilleure amie :
FaceTime quand t'es dispo
Charlotte leva les yeux au ciel d'amusement, se déchaussa, et appela Margaux en visio. Elle avait parfaitement identifié la motivation de sa meilleure amie.
— Alooors ? minauda théâtralement la très extravertie jeune femme. La promenade a été bonne ?
— Bof, répondit Charlotte avec détachement.
— Comment ça ? pâlit Margaux.
— Pour une fois, rit la timide, c'est toi qui es tombée dans le panneau.
— Très drôle, très drôle. Allez, raconte !
— J'ai croisé Gabriel.
— Non ?! C'est pas vrai ?! Mais quel hasard inattendu ! J'en tombe des nues tellement la coïncidence que vous vous trouviez au même endroit au même moment est forte ! C'est forcément un signe du destin. Vous devez vous remettre ensemble. Pas le choix, il ne faut pas contrarier le destin si tu ne veux pas avoir un karma de merde pour le restant de tes jours.
— Il m'a dit que vous êtes en contact.
— Ah le chacal, il a vendu la mèche.
— Non, j'ai grillé le coup fourré.
— Bon allez quoi ! Vous êtes fous amoureux l'un et l'autre. J'en ai marre de votre passivité. J'ai juste voulu donner un petit coup de pouce à votre histoire d'amour.
— C'est gentil, mais c'est notre histoire, répondit Charlotte avec bienveillance. C'est à nous de gérer ça.
— Puisque nous nous connaissons depuis la maternelle, j'estime que c'est aussi un peu mon histoire. Et je suis frustrée que vous jouiez les vierges effarouchées.
— Et toi ? Trouve-toi un mec stable si tu veux vivre une belle histoire d'amour.
— Me connais-tu vraiment ? Penses-tu vraiment que j'aie les épaules pour supporter un train-train quotidien ? Non, je préfère un coup d'un soir par-ci par-là, et qui vivra verra.
Toujours amusée, Charlotte leva une nouvelle fois les yeux au ciel.
— Et donc ? réattaqua Margaux. Ça a donné quoi cette petite promenade avec Gabriel ?
— Ça a donné que j'ai besoin de réfléchir.
D'un geste exagéré, l'exubérante amie alla se coller la main droite sur son front.
— Mais qu'ai-je fait pour mériter ça ? Pourquoi tant de haine de votre part ? N'aimez-vous point me voir épanouie ?
— Margaux...
— Cesse donc avec ta pseudo empathie. Laisse-moi m'étouffer avec ma frustration. Tu ne mérites pas mon amitié.
— Margaux...
— Bon, bon, ça va. Mais pas plus d'une semaine ok ?
Pour toute réponse, Charlotte eut un rire amusé. Puis la conversation dévia, et la soirée passa rapidement.
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