Chapitre 13 : Le chemin continue
À peine Renard eut-il repris son souffle qu'il se remit en route. Peu à peu, Charlotte se détendit. Tout son corps était douloureux. Elle n'avait jamais autant stressé de sa vie. Ses doigts tremblaient toujours sur les perles de sa mère. Ses yeux pleuraient pour se nettoyer de la fumée qui venait de les agresser, et ses poumons la trahissaient en la faisant souffrir à chaque inspiration.
— Je peux savoir ce qu'il s'est passé ? demanda-t-elle d'une petite voix encore sonnée.
— J'ai fait exploser un camion plein de fioul chargé de réapprovisionner le camp russe qu'on a aperçu un peu plus loin.
— Pourquoi ?
— Pour embraser la forêt.
— Dans quel but ?
— C'est le seul chemin d'accès vers leur camp. Ils vont mettre plusieurs jours à éteindre l'incendie, et ils n'auront plus de fioul. Ça devrait bien les affaiblir. Et avec un peu de chance, le feu se propagera jusqu'à eux. Il faut que le vent soit avec nous.
— Pourquoi le faire de la forêt ? Je veux dire, pourquoi avions-nous besoin d'y être ?
— Tu vois un autre endroit plus efficace où te cacher ?
Charlotte ne répondit pas. Il avait raison.
— Qui es-tu à la fin ?! demanda-t-elle, complètement déboussolée. Un espion ? Un agent secret ?
— C'est bien moins romanesque.
— Alors c'est quoi ?
— Je suis un résistant.
— Qui t'envoie ?
— Désolé, j'ai déjà été suffisamment généreux en informations pour l'instant. Rappelle-toi que tu ne me connais pas, mais je ne te connais pas non plus.
Nouveau silence de Charlotte. Il était diablement agaçant.
— Quel âge as-tu ? lui demanda-t-elle. Tu viens d'où ? Pourquoi étais-tu dans le même camp que nous ?
— As-tu aussi besoin de mon numéro de sécu par hasard ?
Renard rit tout seul de sa blague. Charlotte le détailla un peu plus, et elle se rendit compte qu'il était plutôt bel homme. Des dents parfaitement droites et blanches, des traits fins et harmonieux. Une aura de bienveillance cachée par une carapace encore incassable et mettant toute émotion à distance. Voilà ce qu'elle pensait de lui. Et cela la troubla.
— Tu sais que c'est désagréable quand tu fixes les gens ? lui demanda-t-il sans le moindre ton de reproche dans la voix.
Aussitôt, Charlotte détourna le regard en marmonnant des excuses. Son visage était devenu rouge pivoine. Gênée, elle se remit à triturer son collier de perles.
Les kilomètres continuaient à s'enchaîner. Ils réussirent à faire de l'essence dans un ancien centre commercial maintenant réquisitionné par l'armée française. Renard était allé lui-même négocier avec les militaires, Charlotte ne put donc pas entendre la conversation. Elle réussit toutefois à saisir quelques bribes intéressantes :
— ...étape ? demanda une voix inconnue d'homme.
— Poitiers, répondit Renard.
— Et la fille ?
Au comble de la frustration, Charlotte ne saisit pas la réponse.
— ...trop risqué, poursuivit l'homme. On a un camp... ...mieux là-bas.
— Le dernier camp que nous avons fréquenté a terminé bombardé.
— C'était un coup de malchance.
— ...avantage... ...binôme... ...tué.
— Comme tu le sens... ...fragile... ... dangereux.
— Je gère.
Renard réapparut soudain, accompagné d'un géant militaire, sûrement la personne avec laquelle il échangeait jusqu'à présent. Il respirait la confiance en lui. C'était avec un sourire malicieux qu'il se réinstalla aux côtés de Charlotte dans la voiture, après avoir mis un chargement dans le coffre. Il salua le militaire qui leur souhaita bonne route, puis ils quittèrent l'ancienne zone commerciale.
— On... commença Charlotte avant d'être coupée par le beau brun.
— Poitiers, anticipa ce dernier avec bonne humeur.
— Faire qu...
— Moins tu en sais, mieux tu te portes.
Charlotte se contenta de soupirer. Il était si détestable. Et pourtant, il semblait si sympa. En plus, il lui avait sauvé la vie. Et il ne l'avait pas abandonnée dans un camp, loin de chez elle qui n'avait jamais quitté sa Normandie natale jusqu'alors. Au fond d'elle-même, elle lui était reconnaissante pour tout ce qu'il faisait.
La route continua à défiler encore un moment. Assise sur son siège, Charlotte s'ennuyait. Elle voyait les paysages se succéder. Il faisait si beau dehors, et tout était si calme, qu'elle avait du mal à garder en tête qu'elle était en pleine guerre aux côtés d'un résistant qui risquait leurs vies pour la liberté.
— Tu faisais quoi avant ? tenta-t-elle en guettant ses réactions du coin de l'œil.
— Dis-moi, esquiva Renard, t'étais flic dans ton autre vie d'avant-guerre ?
— Pas du tout. Je venais d'être éducatrice de jeunes enfants, et je travaillais en pouponnière.
— Passionnant, se moqua gentiment le beau brun.
— C'était vraiment bien, poursuivit Charlotte, trop contente d'avoir enfin un peu d'attention. J'ai été embauchée avec ma meilleure amie Margaux. On se connaît depuis le premier jour de maternelle et...
Sa voix se brisa. Renard jeta un coup d'œil dans sa direction, mais il respecta son silence et sa douleur apparente.
—...et aujourd'hui elle est morte, réussit à articuler Charlotte en pleurant. Elle prenait la fuite vers l'Afrique du Sud, mais son avion s'est fait bombarder au-dessus de la Méditerranée.
— Je suis désolé pour toi.
— Tu n'en as pas l'air.
— Pense ce que tu veux.
Charlotte s'en voulut d'avoir été soudainement si agressive avec lui alors qu'il ne cherchait qu'à être un peu gentil. Elle était à fleur de peau, perdue. En même temps, il semblait ne ressentir aucune émotion, et encore moins de l'empathie.
Après un court silence, Renard lâcha finalement :
— J'étais militaire.
— Pourquoi tu ne combats pas avec eux ?
— Je ne peux plus.
C'était tout ce qu'il dira. S'il s'était un peu confié, le mystère restait encore presque entier. Charlotte fut prise d'un élan de sympathie pour cet homme dont elle ne connaissait même pas le prénom. Elle voulait l'aider. Elle ignorait tout de ses problèmes, mais elle voulait l'aider à son tour.
Les kilomètres continuèrent de s'enchaîner, jusqu'à ce que la ville de Poitiers soit atteinte. Plus précisément, ils étaient arrivés au technopole du Futuroscope.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro