– Monsieur Raffaelo ! Cria Gabriella.

Elle s'agenouilla et laissa tomber son bloc-note, préoccupée par l'état de son employeur.

– Continuez l'expérience... Ce n'est que le début...

Pierre se recroquevilla et continua de trembler. Gabriella Monverdit lui tendit le tube annulateur.

– Vite, prenez-le !

– Non... Attendez un peu...

Peu à peu, les effets physiques de la solution commencèrent à disparaître. Raffaelo se releva péniblement. Il avait le regard un peu perdu.

– C'est ma plus grande trouvaille... C'est merveilleux !

– Monsieur ? C'est le Remède ?

– Non, mais c'est l'un de ses composants. S'émerveilla-t-il. La compréhension.

– Quoi ?

– Gabriella, je vous comprends ! Tout ce que vous avez fait pour arriver là où vous êtes aujourd'hui, tout vos sacrifices, vos décisions, je les ressens dans chaque partie de mon corps ! Je ne pourrais pas décrire cela... C'est de l'empathie... Mais à un niveau que l'humain n'a jamais pu atteindre ! Je ne pourrais pas me mettre en colère contre vous, car je comprendrais, je comprendrais ! chacun de vos actes, chaque pensée, chaque geste ! C'est d'une évidence incroyable !

– Prenez le tube, nous en savons assez. Commença à perdre patience la jeune femme.

– Gabriella, je comprends que vous ne voulez pas que j'en sache trop sur vous en vous comprenant, parce que vous ressentez cela comme une violation de votre vie privée, alors sachez que je suis désolé. Je ressens votre honte et vos doutes, mais j'ai foi en vous, vous avez tant accompli...

– Avec tout le respect que je vous dois, taisez-vous et prenez ce fichu tube.

Pierre finit par faire ce que Gabriella Monverdit lui ordonnait. Aussitôt, sa perception de monde redevint banale et terne. Il regretta. La compréhension universelle, c'était une découverte si fascinante... Bien sûr, ça ne voulait pas dire que sa pensée était annihilée par celle des autres, non, au contraire ! Elle ne pouvait qu'augmenter, comme un fleuve grossit après avoir reçu l'aide de petits ruisseaux. Et pouvoir comprendre son prochain, n'est-ce pas un noble but ? S'il avait fait cette découverte plus tôt, aurait-il pu comprendre Sandra ? Oui, évidemment. Et peut-être même... peut-être même que leur couple aurait survécut à tous ces orages. Où en serait-il aujourd'hui ? Aurait-il des enfants ? Mais comment aurait-il pu s'en occuper ? Il ne savait pas s'y prendre avec les enfants. Peut-être que Sandra et lui étaient trop différents, après tout. Enfin, c'était surtout lui qui était différent des autres. Alors que leur vie était simple, sans soucis autres que l'argent ou le bonheur, lui, il souffrait de la solitude et de la peur de l'infini. Le vide intersidéral le terrifiait. Comment les étoiles font-elles pour vivre dans une telle solitude ? Rien que du vide, à des années-lumière de distance. C'est peut-être pour cela qu'elles tournent sans fin autour de quelque-chose de plus grand. Une planète immobile est une planète morte.

– Monsieur Raffaelo ? Vous allez bien ?

La voix de Gabriella Monverdit le ramena à la réalité. Pierre était un homme, et comme tout homme il se devait de chercher un but à son existence et de s'y cramponner jusqu'à ce que la mort vienne le prendre. Il en était ainsi depuis des millénaires, et Pierre ne ferait pas exception à cette fatalité. Il fallait faire de son mieux, pour le meilleur... comme pour le pire. Et c'est ainsi que l'Homme se leva et marcha.

– Poursuivons l'expérience. Murmura-t-il.

– C'est à mon tour, alors. Votre corps doit se reposer, vous en avez déjà beaucoup fait.

– Il est hors de question que vous soyez un cobaye.

– Pourquoi ? Vous l'avez bien fait deux fois, vous. S'indigna Gabriella.

– C'est moi qui dirige les opérations, vous vous contentez de m'assister. J'ai décidé qu'il était plus judicieux que ce soit moi qui boive les solutions, alors c'est moi qui vais les boire.

– Vous avez fait la moitié, laissez-moi faire l'autre.

– Non.

La jeune femme comprit qu'elle ne pourrait pas convaincre Pierre par la raison. Elle décida donc de prendre les tubes en otage.

– Très bien. Si vous ne voulez pas que je les boive, personne ne les boira.

Gabriella un prit un et commença à le faire pivoter à l'horizontal. Première loi de la physique : la surface de l'eau (ici une solution liquide) est toujours parallèle au sol. Raffaelo prit un air si surpris qu'il en paraissait comique. Les couleurs se retirèrent de son visage, puis revinrent avec une teinte cramoisie. Comment garder son sang froid dans une telle situation ?

– Si vous faites cela, je vous renvoie sur le champ !

– Je préfère être renvoyée que de vous laisser vous mettre en danger. Le monde a besoin d'un génie comme vous. Je ne sais pas quand vous avez débuté vos recherches, mais je suis partie deux jours, et quand je suis revenue, vous aviez créé quatre échantillons aux facultés incroyables ! Si vous mourrez, qui trouvera le Remède ?

Pierre Raffaelo fut obligé de réfléchir une seconde.

– D'accord. Vous avez raison. Trouver le Remède est ma mission, car je suis le seul à pouvoir y arriver. Il vaut mieux éviter qu'il m'arrive quelque-chose de fâcheux. Faisons les derniers tests sur vous, comme vous le souhaitez.

Gabriella Monverdit ne put s'empêcher de sourire et avala le contenu du tube numéro trois. Aussitôt, son cœur s'affola. Tout son corps se réchauffa puis devint glacial. Le monde commença à tourner et elle dut s'asseoir par terre. Elle cru entendre Raffaelo l'appeler, mais les sons qui lui parvenaient n'étaient plus qu'une bouillie.