La maison de Raffaelo était grande et vide. Elle était composée de trois étages et d'une cave. Le jardin était immense, et comme la maison était reculée au fond d'une forêt, on n'entendait que le chant des oiseaux. Le rez-de-chaussé était tapissé de moquette sombre qui étouffait le bruit des pas. Des fenêtres vitrées sur un pan de mur entier devaient habituellement délivrer un lumineux éclairage, mais d'épais rideaux en velours pourpre dissimulaient les rayons du soleil. Le mobilier était maigre. Il n'y avait pas une trace de poussière. La maison était à l'image de son propriétaire : recluse, froide, impeccable en extérieur, mais vide à l'intérieur. Elle respirait la solitude.

– Je ne pensais pas venir un jour ici.

– Je ne pensais pas non plus un jour vous y emmener. Rétorqua Pierre.

– Bon, ne perdons pas de temps, dites-moi tout.

– Attendez un peu, je vais nous servir une collation.

Pierre appela un homme resté en retrait dans l'ombre de la pièce. Il lui dit quelques mots et le majordome partit. Il revint avec deux flûtes en verre remplies d'un liquide vermillon. Gabriella fixa Raffaelo et haussa les sourcils.

– Ce n'est pas empoisonné. La rassura Pierre.

– J'évite l'alcool.

– Ce n'est pas du vin.

– Alors vous êtes un vampire ? Tenta Gabriella.

– C'est du jus de tomate. Le goût n'est pas terrible, mais au moins, c'est bon pour la santé.

La jeune femme ne put retenir un éclat de rire.

– Vous, le grand Raffaelo, scientifique de génie, décrit par les journaux comme étant un alcoolique de haut niveau, boit du jus de tomate ? Rit-elle.

– Je sais, c'est hilarant, mais que voulez-vous ? On se fait tellement d'idées sur les gens qu'au moins la moitié de ce que l'on pense est faux.

– Je n'ai jamais pensé que vous étiez un alcoolique, mais j'ai toujours été convaincue que vous étiez un génie. Quelle est la moitié fausse ?

– Quand je ne travaille pas, de mauvais souvenirs me reviennent. Et dans ces moments-là, il m'arrive d'ouvrir une bouteille ou deux pour embrumer mon esprit. Car parfois, mes pensées et ma mémoire tant admirées sont plus un fardeau qu'autre-chose. Soupira Pierre.

Gabriella ne sut que répondre. C'est vrai qu'elle pensait que Raffaelo était invincible et sûr de lui, voir un peu imbus de son intelligence supérieure, mais elle s'était totalement trompée. Elle l'avait jugé trop vite, et maintenant elle se rendait compte qu'il était humain.

– Il me semble que je ne vous ai pas invitée chez moi pour parler de mes problèmes, alors concentrons-nous sur cette foutue clé USB.

– Je suis désolée de m'être emportée, s'excusa la jeune femme, j'aurais dû vous faire confiance.

– Dans le fond, vous aviez raison, Gabriella. Si nous ne nous faisons pas mutuellement confiance, nous n'arriverons pas à trouver le Remède. De plus, une personne vous étant chère est impliquée. C'était donc égoïste de ma part de vous cacher des informations. Alors je vais tout vous raconter, mais je vous demanderais en retour le plus grand silence.

– Je comprends.

– Gabriella, une dernière chose... Si possible, j'aimerais qu'après avoir entendu mon histoire vous ne me haïssiez pas.

– Je ne pourrais jamais vous détester car vous êtes mon modèle depuis toujours. Répondit la jeune femme.

– Mais peut-être qu'après ça je ne serais plus un exemple pour vous.

Pierre but une gorgée de jus de tomate et se lança :

– Il y a quatorze mois, Bernard, Sandra et moi avons été contactés par Alexander. Après tant d'années, ils voulait que nous soyons de nouveau réunis. Tous les quatre, nous nous connaissions depuis longtemps, car nous étions dans la même université d'Angleterre. Nous étions amis, et à l'époque nous avions un projet fou, que nous avions abandonné, faute de moyens. Nous voulions créer une arme biologique qui serait capable de décupler les capacités physiques humaines. Et Alex a ravivé ce souvenir et a réussi à nous convaincre de l'aider. Il avait trouvé des gens prêt à investir, en échange du fruit de nos travaux, évidemment.

Au début, tout ce passait bien, les tests étaient concluants et nous donnaient l'espoir d'une réussite prochaine. Quand nous nous sommes rendus compte que nous avions fait une erreur, il était trop tard. Malgré cela, nous ne pouvions nous résoudre à abandonner le projet. Nous étions heureux de nous retrouver, de pouvoir travailler ensemble. Et nous étions surtout avides. Nous voulions de la reconnaissance, nous voulions devenir les génies scientifiques de ce siècle, nous voulions être plus que riches. Nous avons alors continué les expériences. Mais c'était devenu dangereux et incontrôlable. Les sujets souffraient. Et aucun ne survivait. Nous courions vers la catastrophe. Je ne voulais plus participer à ce projet désastreux. J'avais la conviction que nous avions tort. Il fallait que je corrige notre erreur.

Un soir, j'ai volé les données de nos expériences, grâce à cette clé USB que vous m'avez... dérobée. Malheureusement, une alarme s'est déclenchée et dans la panique, un sujet a réussi à s'évader. Je ne sais pas avec précision ce qu'il s'est passé ensuite, mais je pense qu'ils ont finit par le retrouver. Mais entre-temps, le Némésis 4 avait contaminé quelqu'un. Plus personne ne pouvait le contrôler. Quant à moi, je me suis fait discret en espérant que mes amis ne pourraient pas retrouver ma trace. J'ai même changé de pays pour m'en assurer. Mais j'ai bien peur qu'ils sachent exactement où je suis et qu'un jour, il me retrouvent et me tuent pour me faire taire.

Voilà pourquoi je ne voulais pas vous en parler, Gabriella. Maintenant que vous aussi vous savez, votre vie pourrait être en danger. J'ai renforcé la sécurité chez moi, mais je ne peux rien vous garantir. Je vous ai d'ailleurs amenée ici car je suis persuadé que mon lieux de travail est surveillé. Et ces mystérieux et généreux donateurs... Je ne sais pas quel est leur but ou leur identité, mais une chose est sûre : ils vont tout faire pour que le Némésis 4 leur rapporte de l'argent. Ils sont prêts à tout.

Gabriella prit la grande main de Pierre dans les siennes et plongea ses yeux sombres dans le regard bleu glace du scientifique.

– Vous avez aidé à créer le Némésis 4, mais vous avez eu le courage de vous opposer à cette création. En volant les données, vous avez offert au monde une chance de survie. Vous êtes le seul à pouvoir trouver le Remède, et vous allez y arriver. J'ai confiance en votre génie.

– Vous vous trompez. Seul, je ne serais pas assez rapide. J'ai besoin de vous pour trouver le Remède en seulement deux semaines.

Gabriella sourit et replaça ses lunettes sur le bout de son nez.

– Je vous aiderai.