L'extrême dualité en elle, c'est ce qui interpelle le plus. Dove c'est un prénom comme un autre. Dove qui évoque la blancheur, Dove qui évoque la pureté, peut-être même la liberté. Dove, on se souvient d'elle pour son incroyable bonté, pour ses sourires honnêtes et la douceur de ses mains. Dove, c'est pourtant la fille d'une des plus grandes terreurs des contes de fées, c'est la fille de la légendaire maléfique et c'est aussi son plus grand fardeau. Dreamers, qui marque l'ironie de sa naissance, celle qui rêve et incite les autres à rêver, celle qui est prise au piège au cœur de ses songes et qui pousse les autres à se questionner sur les leurs, à rêver à mieux. Dove c'est surtout une erreur, une incohérence scénaristique, la blancheur extrême quand tout devrait être ténèbre. 

Douceur depuis 16 ans, douceur innocente qui lève les yeux sur un monde qu'elle voudrait différent. Perle des terres maléfiques qui portent le funeste nom de sa mère, on la veut forte, on la veut brave, on la veut machiavélique et mauvaise, on la veut digne de son héritage mais Dove ne l'est pas. Elle ne rentre pas dans les cases qu'il faudrait, elle est tamponnée déficiente, erreur de plus d'un destin cruel, d'une plume ironique. Elle est fragile, de santé et d'esprit, elle n'a pas la prestance de sa mère, elle n'est que le reflet de la gamine, celle qui existait avant, celle qui a été tuée après. Dove est douce, Dove est gentille, Dove est serviable et Dove n'a rien de terrifiant, quand bien même elle l'a si souvent souhaité. 

Cache, qu'on lui a plus d'une fois répété. Cache qui tu es vraiment, d'autres le font si bien, pourquoi tu n'y arriverais pas ? Elle laisse un regard envieux s'égarer sur sa jumelle, sur sa sœur, sa moitié. Elle, elle y arrive. Elle, elle a la prestance qu'on exige. Elle, c'est l'aînée. L'aînée de deux minutes à peine, mais l'aînée qui semble digne de l'héritage maternel. L'aînée qui ouvre des perspectives différentes et qui la laisse rêver à plus grand, à plus beau, à d'autres horizons. Quel genre d'héritière elle aurait fait, elle et ses cheveux dépigmentés, blancs comme neige ? Elle qui est si différente de sa mère jusque dans sa nature profonde. Dove se change en Opalin aux écailles d'ors, aux reflets arc-en-ciel. Majestueux dragon qui la trahit, qui trahit un cœur différent de celui d'une Jamais.  

Toujours, elle s'est alors proclamée. Elle envoie valser les convenances quitte à décevoir, quitte à perdre l'amour de celles qui l'ont toujours soutenue malgré ses différences, malgré ce qu'on pouvait bien penser d'elle. Elle a trahi elle aussi, elle a blessé, profondément entaillé la seconde moitié de son âme en la laissant entrer seule dans la cour des méchants. La colombe donne un coup de pied dédaigneux au corbeau et se rend compte que sans lui, elle n'est plus rien. Pas de blanc sans un peu de noir, pas de noir sans une touche de blanc. Raven était la personne qui la comprenait le mieux, la personne qu'elle avait promis de soutenir et qu'elle a laissé seule pour vivre ses rêves. Le nez en l'air, la tête ailleurs, la rêveuse s'est mis à dos les mauvais en devenant Toujours pensant naïvement que les bons, les vertueux l'accepteraient. Qu'elle se sentirait enfin complète, à sa place, qu'elle redresserait alors le tort que la nature lui avait fait. Elle s'est trompée, lourdement trompée. Les héros crachent leur venin à sa figure opaline, elle ne sera jamais comme eux. Finalement, en abandonnant sa jumelle, c'est elle qui se retrouve la plus démunie. 

Une punition, sans aucun doute. Comme si naître ainsi dans une telle famille n'était pas suffisant. Parfois, Dove se surprend à vouloir réduire en cendres ce monde entier pour en reconstruire un nouveau, un meilleur, un plus juste. Détruire pour mieux reconstruire. Et quelle importance que d'autres périssent pour qu'une telle chose arrive, puisqu'ils semblent tous corrompus, pourris jusqu'à la moelle ? La souffrance de quelques uns n'est-elle pas simplement le prix à payer pour changer définitivement les choses ? Et puis elle se reprend, elle se rappelle qu'elle est une Toujours, que les Toujours n'ont pas ce genre de pensées. Qu'elle est douce, qu'elle est serviable et que la bonté fait partie d'elle. En un sens, c'est la vérité. Dans l'autre, l'amour qu'elle souhaite à tout prix recevoir et inspirer la rend dangereuse. À trop vouloir être aimée, elle en est détestée, elle en est changée, elle n'est jamais elle-même. À trop vouloir plaire, elle en devient mauvaise. 

Sorte de malédiction que celle des Dreamers, de la mère jusqu'aux filles. Jamais acceptées pour ce qu'elles sont, toujours dénigrées par la masse grouillante qui s'empresse de les désigner coupables pour chaque méfait commis. Si Dove aimerait rester optimiste quant à l'avenir, elle a compris que sa rentrée à Never Ever ne serait jamais aussi idyllique qu'elle se l'était imaginée, ça pèse dans sa poitrine. Comme une sorte de gros caillou qui empoisonne ses pensées, qui enlève à ses rêves leurs couleurs. Sa mère la dit égoïste d'avoir osé trahir l'héritage familial, pire encore, d'avoir abandonné sa sœur pour poursuivre des chimères à travers le brouillard. Ses yeux dorés se sont fermés, pour empêcher les larmes de couler, pour empêcher la faiblesse d'apparaître sur ses traits.  

De facto, Dove se sent démunie, abandonnée par sa propre famille et rejetée par celle dont elle s'imaginait pouvoir gagner le cœur. On la dit menteuse, que son bon cœur ne serait finalement qu'une façade, qu'un rôle qu'elle se plait à jouer. On la fait douter alors qu'elle se répète sans cesse que sa volonté de faire le bien est pure, qu'elle est simplement née ainsi ou bien que son enfance en est l'une des cause principale. Cette enfance qui ferait rougir de nombreux Toujours par les moments joyeux et d'une douceur incomparable dont elle fut rythmée. Cette enfance heureuse au beau milieu de terres désolées, enfermée dans une tour avec celle que l'on décrivait monstre, terreur et sans cœur. Sa sœur en est sans aucun doute l'une des causes, son absence creuse un vide dans la poitrine de la cadette. Elle détourne pourtant le regard, se persuade de la pureté de son cœur et ignore son identique poignardé qui bat fébrilement dans la cage thoracique de sa sœur. 

Mensonge qui ne cesse de la poursuivre, qui lui colle à la peau. Elle finira par s'en rendre compte et qui sait alors quelle sorte de créature ces illusions brisées laisseront derrières elles une fois envolées.