La nuit commence à pointer le bout de son nez, recouvrant la route d'une immense masse sombre. Bientôt, on y verra plus rien.

Cela doit bien faire deux heures que nous voyageons, mais je ne m'en lasse pas. Tout à l'heure, en sortant de cette immense forêt, nous avons fait une petite pause. Arthur m'a emmenée dans une petite auberge au bord de la route, où nous avons bu et mangé un peu. J'étais un peu étonnée de voir une auberge au milieu de nulle part. Mais ce n'est pas grave.

Nous avons aussi acheté des montures, ou... Arthur, plutôt. J'ai été surprise au début, elles sont grandes, et ressemblent à des lions, trapus mais étonnamment souples, et très élégants. Il s'agit apparemment de " lions des forêts",  donc des lions qui vivent dans la forêt, logiquement. On en apprend tous les jours.

Quand je pense qu'Arthur a le même âge que moi... Il est tellement autonome, et à l'air de voyager seul, toujours. Je ne lui connaît aucune famille, je n'ose pas lui en parler. D'ailleurs, la révélation qu'il m'a faite tout à l'heure m'a tellement...Bouleversée. Mais je m'en suis déjà à moitié remise, je pense. Je me suis convaincue que de toute façon, je commence une nouvelle vie, que je suis dans un nouveau monde... Il fallait que je laisse tout cela derrière moi, aussi difficile que cela puisse être.

La route où nous cheminons depuis maintenant une demi-heure est déserte, et, du dos de nos lions des forêts, (moyen de transport qui m'est peu commun, mais je m'y habitue) nous surplombons la bruyère, dont une partie est éclairée par le soleil couchant. Etonnant contraste avec cette forêt si profonde. Les odeurs de fleurs séchées parviennent à mes narines... cela me rappelle mon enfance, quand on partait dans le sud de la France avec mon frère et mes parents. Mes parents... Quand je pense que ce n'était pas eux. Je veux dire pas vraiment, car ils l'ont toujours été, au fond de moi. Il ne faut plus que j'y pense, de toute façon.

Mes véritables parents, on ne les rencontrera que demain, au lever du jour. Nous allons dormir dans une autre petite auberge, qui, selon Arthur, n'est plus très loin et bien réputée. Comme je n'y connaît rien je suis bien obligée de le croire, je le fait volontiers. Il dit qu'ici, nous n'avons aucun risque de croiser les "blancs", mais qu'arrivés en ville il faudra redoubler de prudence. La ville... Je me demande à quoi elle ressemble, dans ce monde. Est-elle semblable à celle que je connais si bien, après y avoir passé toutes ces années?

En tout cas, rien ne vaut le magnifique paysage, maintenant presque effacé par la nuit, qui s'offre à nous. Les cigales chantent, et le chemin de terre sur lequel nous voyageons semble s'étirer vers l'infini. Je me demande combien ce monde est différent de celui dans lequel j'ai vécu toutes ces années...