J'avais perdu la notion du temps. Je ne savais plus si nous étions encore en août ou si la rentrée était déjà passée. Nous nous étions acclimatés à notre situation. Dès que le jour se levait, nous nous réveillions. A l'inverse, dès qu'il commençait à faire sombre, nous retournions dans notre grotte. Cela nous faisait de grandes journées. Le temps me paraissait interminable et pourtant les jours se succédaient les uns après les autres. Je me surpris à imaginer la réaction de nos proches en apprenant le drame, ne nous voyant pas revenir. Il doit forcément y avoir des recherches bon sang !

Mais cela faisait déjà un moment que les autorités cherchaient les jeunes disparus. Alors pourquoi les trouveraient-ils ? Mon regard glissa doucement un contrebas. Il faisait sombre mais je distinguais sans mal la plage et l'océan au loin. La croisière commençait à me paraître lointaine à présent.

- Tu es bien songeur ce soir.

La voix grave de Nathan me sortit de mes pensées.

- J'arrive pas à dormir, avouai-je les yeux rivés sur l'horizon.

Le métis prit place à côté de moi et contempla le ciel noir avec moi.

- Stressé ?

Je secouais négativement de la tête. Même si dans quelques jours, ça allait être le jour tant attendu et que j'avais de quoi être nerveux, ce n'était pas ma première préoccupation.

- Je vois.

Je perçus un air triste dans sa voix. Je me tournai vers lui, surpris.

- C'est Kim, n'est-ce pas ?

Ce n'était pas question mais je finis tout de même par acquiescer.

- Elle est encore partie, soufflais-je le coeur lourd.

Depuis que nous étions rentrés du laboratoire du scientifique, Kim n'avait plus donné un signe de vie. Mon coeur souffrait terriblement de cette absence, surtout après l'échange particulier que nous avions le soir-même. Je voyais bien qu'elle ressentait la même chose que moi, du moins j'en avais l'impression. Alors pourquoi me fuyait-elle ?

- C'est nécessaire malheureusement. Plus le temps s'écoule et plus l'animal prend de la place.

- J'ai du mal à le concevoir mais je te crois, murmurai-je les yeux dans le vague.

Nathan soupira à côté de moi.

- Ca fait une emprise sur tout ce que tu veux et ce que tu es à l'origine. C'est très compliqué de lutter quand le sérum est bien ancré.

Du coin de l'œil, je le vis triturer un de ses bracelets. Il semblait y tenir particulièrement. Peut-être ont-ils un lien avec cette personne qui l'attend.

- Ce n'est pas douloureux, me rassura-t-il. La première transformation oui, mais ensuite c'est un peu comme si c'était instinctif, tu vois.

Non, je ne voyais pas. Mais je ne voulais pas le contredire. Le fait qu'il me partage ses ressentis me permettaient un peu de saisir ce qu'endurait Kim.

- Elle va revenir.

- Mais c'est dur...

Mon ton fut un peu plus implorant que prévu mais je gardais ces sentiments depuis plusieurs jours déjà. Et parler avec Nathan me faisait étonnamment du bien.

- Je sais. Crois-moi.

Son visage se ferma douloureusement.

- Ne pas être avec la personne qu'on aime, sans qu'on puisse rien n'y faire, c'est...

Il croisa mon regard.

- ...déchirant, complétais-je la gorge nouée.

Nathan approuva mes dires en hochant la tête péniblement.

- Je n'aurai pas dit mieux.

Nous restâmes encore de longues minutes à observer le ciel noircir davantage. Un léger vent venait secouer les arbres de la forêt qui se trouvait en contrebas. Je frémis un peu en sentant l'air frais effleurer ma peau. Il était tard, et je devais rentrer pour me reposer. Mais je n'avais pas sommeil.

- Je crois qu'elle a peur.

Nathan me regardait gentiment. Mon coeur se serra. Je ne voulais pas qu'elle aie peur. Au contraire, je voulais la rassurer et qu'elle soit sereine pour toujours.

- Peur de quoi ? je l'interrogeai, même si je connaissais déjà la réponse.

- De s'ouvrir entièrement à toi, lâcha-t-il finalement. Elle est peut être anxieuse à l'idée que l'antidote ne fonctionne pas et ne veut pas te faire souffrir.

Je posais mes coudes sur mes genoux pour caler ma tête entre mes mains. Je me sentais épuisé, mais pas de fatigue. J'étais épuisé de toute cette histoire, et ça ne faisait qu'empirer.

- Elle t'en a parlé ?

Nathan esquissa un petit sourire indulgent avant de hausser les épaules. Alors que j'allais lui demander davantage d'explications, il changea complètement de sujet.

- Je me transforme en lion.

Je le dévisageai bouche-bée. Hein ? C'est possible déjà ? Puis je me rappelais où je me trouvais.

- Waw, m'exclamais-je impressionné.

- Ouais, il est pas mal honnêtement.

Je fronçai les sourcils en l'entendant appeler son animal ainsi.

- Tu ne le considères pas comme faisant partie de toi ?

Il me dévisagea consterné, comme si j'avais dis une bêtise.

- Bien sûr que non, nous sommes deux êtres distincts. Et c'est bien ça le problème. L'un veut prendre la place de l'autre, le Professeur n'a pas encore trouvé d'équilibre à (il grimaça de dégoût)... à toute cette merde.

Mais alors comment ça se fait que j'ai pu voir Kim se transformer sans qu'elle m'attaque ? Elle avait l'air tellement elle-même... J'ai même pu monter sur son dos bordel !

- Et s'il trouvait cet équilibre, tu le garderais ? je m'enquis de manière curieuse.

Il secoua la tête par la négative.

- Jamais de la vie ! s'écria-t-il l'air écoeuré. Enfin sauf si ça m'évite de finir en lion toute ma vie oui.

Je me concentrai à nouveau sur l'horizon. Le ciel se dégageait rapidement, les étoiles étaient de plus en plus visibles. Je ne savais que penser de cette histoire d'équilibre des gènes. C'était fou.

- Mais bon, reprit Nathan. Partager ma vie et tout ce que je ressens avec un animal, non merci.

J'haussai les épaules. Honnêtement ça ne me faisait ni chaud ni froid tant que l'hôte était conscient et allait bien. Tout à coup une traînée lumineuse traversa le ciel avant de s'estomper dans la nuit noire.

- Tu l'as vue ? soufflais-je.

Il me dévisagea inquisiteur.

- De quoi ?

Je restai interdit, l'ignorant totalement. Je l'ai imaginée ou quoi ? Je fermai les yeux. Depuis que j'étais petit, j'avais la coutume de faire un vœu dès que je voyais une étoile filante. Je n'y croyais pas spécialement mais c'était devenu un peu comme une habitude maintenant. Et c'est ce que je fis. Pourvu que Kim garde son humanité.