Sweet Potatoes
Xavier m'a interdit de boire pendant trente-six heures en tout.
Pierre m'a obligée à venir courir avec lui durant une heure dans la forêt de Brocéliande.
J'arrive à répondre à un appel sur trois de Nico. J'essaye de ne pas m'écrouler à chaque fois que je raccroche mais en général j'ai Pierre ou Xavier dans le coin pour m'aider à ramasser mon moral par terre.
La fin janvier est rude en Bretagne. Le givre et la glace recouvrent tout le matin et le soleil ne chauffe pas assez longtemps l'après-midi pour que l'hiver relâche un peu de verdure. Ce samedi nous faisons des allers-retours incessants vers la bouilloire. Xavier corrige sur son écran et moi j'écris sur mon PC des chapitres qu'il devra corriger plus tard. J'écris les nouvelles aventures de Clément et Kilian. Clément observe l'amour de sa vie embrasser un acteur qui joue son propre rôle. Clément est jaloux une fois de plus.
Clément va déconner.
— Et si on tuait Clément ? Dans un accident de voiture ? Même que ce serait Dylan/Kilian qui conduirait. Ça ferait un bon moment "drama" tu crois pas ?
— Effectivement, ce serait tout à fait "drama", surtout qu'avec une focalisation interne et un "Je" narratif ça m'évite d'avoir à trouver une chute et une conclusion. Il me restera juste à écrire un épilogue de trois lignes "Kilian/Dylan est seul comme les pierres, il pleure. Il finit par se remettre avec Bridget/Brittany". Ils vont être contents les lecteurs. Non. Faut qu'on trouve autre chose là.
Le grand blond qui bouquine sur le canapé finit par se lever en début d'après-midi et dit qu'il va aller faire les courses pour pouvoir préparer le dîner de ce soir. Il nous dit qu'il mangerait bien une raclette ou une fondue. Je bats des mains comme un personnage de la Comtesse de Ségur et mon acolyte lève les yeux au ciel en se pinçant les bourrelets. Pierre se rapproche de lui et l'embrasse sur le front.
— Je t'aime bien comme ça, et j'aime aussi le fromage fondu. Raclette ce sera parfait, dit-il avant de nous quitter la maison un cabas sous le bras.
— S'il n'était pas gay je crois que je te piquerais ton mec, tu sais ?
— Oui, j'imagine. Mais il est gay, donc tu l'as dans le cul... et moi aussi.
— La roue tourne. Je t'ai inventé un Dylan quand tu étais seul et lorsque l'histoire prend vie tu trouves celui qu'il te fallait. Il est chouette Pierre, tu as de la chance. Moi aussi j'aimerais trouver mon Dylan.
https://youtu.be/KnFCNQUTgaU
— Ton Pierre ! Corrige Xavier.
— Pardon ?
— Ton Pierre, pourquoi "Dylan"? Dylan n'existe plus que je sache ? Il s'appelle Kilian maintenant. Tu voudrais trouver ton Pierre ou ton Kilian.
— C'est pareil. Tu m'as très bien comprise.
— Ce n'est pas pareil Jeune Padawan ! Je te vois venir avec tes yeux de Bambi. Oublie. Des mecs il y en a des pelles dans ce monde, tu viens enfin de te sortir d'une relation de merde ce n'est pas pour en construire une autre. Reste seule, c'est très bien, ça te fera les pieds. Et quand tu seras calmée tu pourras rencontrer un homme. Un vrai. Pas un garçonnet fétichiste.
Comme je n'ai pas envie de lui répondre et que je ferais bien un peu la gueule quelques instants je pars avec ma tasse pour aller fumer dans le jardinet sous le regard excédé de Xavier.
— On ne va tout de même pas l'écouter ton pote homo à lunettes ? On va aller faire la fête au Hyatt le mois prochain, hein ?
—Non. Déjà rien n'est fait pour New-York tant que les chiffres ne sont pas tombés et ensuite Xavier a raison : faut que j'arrête mes conneries. La prochaine séance de dédicace c'est eau pétillante et coucher à vingt et une heure. Je dors là où on me dit de dormir, je ne fais pas de caprices et je serai même sympa et souriante avec Anastasia, tiens. Le monde entier a raison : faut que je grandisse.
— Je viendrai peut-être pas alors. Je risque de me faire chier.
— De toutes façons tu prends trop de place et trop de mauvaises décisions : on avait prévu de ne plus t'inviter.
Le Dragon disparaît comme une bulle de savon. Je tire les trois dernières taffes de mon mégot avant de le jeter dans un vieux pot de confiture que mes hôtes ont mis à ma disposition près de la porte fenêtre et rentre en frissonnant.
Pendant que Xavier bosse je lance "Ascenseur pour l'Échafaud" sur la chaîne Hi-Fi et mets de l'eau à chauffer pour les patates. Je me suis remise sous le plaid sur le canapé lorsque Pierre rentre les bras chargés de cabas. Pas le choix, je dois lâcher mon fil Twitter absorbée et parfois flattée par la multiplication des #Dylaah et #Dylan&Saah.
C'est une bonne soirée qui se déroule une fois que je décide d'arrêter de bouder parce que mon ami m'a dit la vérité. Pierre a même été chez le fromager et il y a de la raclette nature, fumée, au vin blanc et du Morbier. Je remplis mon verre de vin à deux reprises. Le mélange des pommes de terre, du fromage et de la charcuterie me fait un bien fou au corps : depuis quelques jours je m'alimente moins bien, rongée par mes obsessions. Le vin qui accompagne le repas me tourne un peu la tête mais Pierre profite de ce que son amant tourne la tête pour me resservir un troisième ballon de rouge. Je sirote avec un sourire ravi sur les lèvres. C'est bon un repas chaud avec des gens qu'on aime bien.
On badine en ricanant autour de vieilles histoires de fesses où nous avons tour à tour le beau rôle ou au contraire l'ego en berne et il est vingt et une heure passée lorsque mon téléphone vibre. Je maudis Nico à voix basse, quel talent pour tout gâcher! C'est à croire qu'il a un don pour savoir quand je vais bien, comme s'il pouvait me remettre la tête sous l'eau à chaque fois que j'arrive à prendre une bouffée d'air à la surface.
— Je vais lui dire de laisser tomber à ton ex. Juste deux mots histoire que ça le calme parce que visiblement tu n'emploies pas un champ lexical approprié à la situation, annonce un Xavier furieux en se levant pour décrocher mon téléphone.
Je n'ai pas le temps de protester qu'il a déjà mis l'appareil à son oreille.
— Allo ? Euh... Non. Attendez, ne quittez pas je vous la passe. C'est ton éditrice, Anastasia je crois. Désolé.
Gêné, il me tend le téléphone et je me lève de table pour répondre à ma blonde préférée sans faux col.
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Loulou1510 est une lectrice. Pas un auteur, une lectrice. Mais c'est une lectrice douée. Souvent je me tapis discrètement sur son fil d'actualité et j'attends qu'elle s'empare d'une nouvelle lecture. Je la suis discrètement en trottinant et hop, je découvre de nouveaux auteurs : elle ne se trompe jamais, elle a très bon goût, sa bibliothèque et des listes de lecture sont de vrais filons. Alors je peux vous dire que lorsque Loulou met des étoiles dans mes textes moi je suis comblée.
Je t'embrasse ma belle Loulou, très fière de faire partie de tes listes.😘😘❤
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