Le plaisir me tombe dessus comme une pluie dorée. 

Je ressens les choses comme jamais.

Tout devient plus fort, plus puissant, décuplé et augmenté. Mes organes travaillent plus vite, je vois avec une acuité différente, les odeurs changent à toute vitesse, les flocons me semblent incandescents et frais à la fois. Je flotte dans l'hiver new-yorkais comme un segment de neige parmi les autres.
La porte de la salle de concert s'ouvre sur le Dragon qui prend le chemin de la petite ruelle sur le côté pour atteindre directement l'entrée des artistes et des équipes de ménage. Les volutes de fumée s'échappent de sa gueule, mélange de tabac et de souffle chaud. Le Monstre est confiant et sûr de lui, serein. Son énergie me plait tellement.

—Tu sais, je peux très bien gérer ça toute seule. Je veux dire, on peut faire ça ensemble.

— Non, je ne pense pas, non. Vois-tu, j'en ai un peu assez de tes petites chatteries, de ta façon de minauder, si je te laisse encore aux commandes une soirée tu vas me décevoir une fois de plus. Tu es devenue si pathétique et si fragile que tu serais capable de commander une Pina-Colada ou un Cosmopolitan dans un bar. J'en ai assez de boire l'eau de la douche, ce soir c'est moi qui passe commande et qui me mets à table. T'auras qu'à faire la voix dans ma tête, tu verras comme c'est amusant. Ou pas.

Dylan ouvre la porte de service lorsque que l'Ignoble écrase un mégot sous la  semelle de sa tennis. Il porte une veste en jean doublée de mouton retournée et un bonnet d'où s'échappent des mèches de cheveux encore un peu humide sur son cou. La respiration du Léopard vole jusqu'à celle du gros Lézard. Leurs expirations cumulées nimbent l'avenue d'un petit nuage commun. 

Cumulo nimbus hivernus.

— Ne traînons pas trop dans le coin, les filles vont sortir d'une minute à l'autre, dit le Fauve en m'attrapant par le bras.

Nous marchons les premiers mètres côte à côte. Je sens encore la prise ferme de ses doigts sur moi. Je bouge l'épaule pour replacer les écailles dans le bon sens.

— L'hôtel n'est pas juste à côté, tu veux que j'appelle un taxi ?

— Non. Je ne crains pas la neige et j'aime bien marcher.

— Je n'ai pas froid non plus, répond-il avant de se passer le pouce sur ses moustaches.

Le Dragon ne frissonne pas, je les suis tous les deux, flottant autour de leurs échanges. Certains regards ne trompent pas. Leurs épaules se frôlent régulièrement alors qu'ils marchent au coude à coude. J'ai promis de me tenir correctement​, de ne rien tenter avec celui d'une autre, mais la Bête fait ses propres choix sur lesquels je n'ai plus de contrôle. Je suis innocente, pure comme la neige, vierge de conneries et d'idioties.

Deux blocs avant l'hôtel, les deux prédateurs se figent. Le Léopard fronce un peu le nez, il est inquiet. Tous ses sens sont en éveil, il ne perçoit qu'une partie du danger qui le guette. Son partenaire saisit cette chance et  lance la première offensive, elle est particulièrement efficace.

— Tu sais, je pense que ce serait mieux que nous ne rentrions pas ensemble. On ne sait jamais, une photo est vite prise et mal interprétée. Je tiens à te remercier en tous cas : j'ai passé un très bon moment, flatte le Monstre .

— Attends... Tu as raison, mais... Je me disais... Enfin...

— Oui ? poursuit-il avec de grands yeux brillants.

— Je rentre en premier, ensuite tu me rejoins sur la terrasse du bar. Qu'on ait le temps de boire un verre et de discuter cinq minutes. Ça te va ?

Gagné, se dit le Dragon pour lui-même.

Il hoche la tête et s'allume une cigarette, le Léopard lui attrape la main et porte le filtre à ses lèvres pour en voler deux taffes, la patte du Monstre sent presque la chaleur de sa joue, de sa bouche, peu importe en fait. Comparée à son feu intérieur, ce n'est pas grand chose. Les yeux sombres échangent un point de vue muet.
Dylan recrache la fumée et s'avance vers l'hôtel.

Sacrifice humain pour apaiser le Maléfique.

Nous regardons le fauve tacheté s'engouffrer à l'intérieur du Hyatt et finissons tranquillement notre mégot sous les flocons. Il y a même un portier pour refermer le piège sur notre proie.

— Alors, tu y vas ou pas boire cette bière ?

— Je n'ai pas soif et le mini-bar comme le room-service n'ont pas été inventés pour les chiens. Laisse moi profiter de ma bouffée de tabac, répond-il en mordillant ses griffes.

— On rentre se coucher du coup ? lui demandé-je à la fois résignée et pleine d'espoir. Pour rien.

— Ah non, je ne vais pas dormir non plus, et je vais arrêter de te répondre d'ailleurs : je suis en chasse. Tu me déranges, siffle-t-il entre ses dents pointues.

L'étrange Créature fait onduler ses anneaux et se glisse à l'intérieur de l'immeuble. Ses écailles concentrent le faible éclat des LED tamisées du hall, d'un pas sûr il emprunte l'ascenseur et appui sur le dernier bouton qui l'envoie sur la terrasse. Un barman chic habillé en pingouin lui propose un truc, s'asseoir, commander, de passer une agréable soirée... Mais peu importe, le grand prédateur focalise chacun de ses gestes et toute son attention sur sa traque. Là, dans la pénombre, un peu caché par une plante tropicale en plastique le Léopard se planque.

— Je t'ai trouvé, dit le Monstre fier de lui.

— J'en suis heureux.

— Tu bois quelque chose ?

— Non. Et toi ?

— Je n'ai pas soif, j'ai bu de l'eau pendant que tu jouais de la batterie.

Aucun des deux ne baisse les yeux et chacun conserve un sourire serein sur les lèvres. Léopard contre Dragon, à armes égales. L'estocade peut arriver à tout instant. Je tremble un peu pour Dylan, je ne suis pas certaine qu'ils' en sorte vainqueur ce coup-ci. 

Il se masse les joues d'une main pour dissimuler un sourire nerveux.Peu à peu le contrôle de la situation lui échappe, comme si ses griffes se plantaient dans du sable ou de la neige.

— Brittany t'attend tard le soir entre tes rendez-vous et tes concerts privés. Elle ne s'ennuie pas ? Toute la soirée, seule, chambre 237 ? lance le Reptile en faisant claquer le "sept" sur sa langue.

— Brittany n'est pas venue à New-York, réplique l'autre aussi sec sans ciller.

— Quel dommage. Elle a aimé ton mail au fait ?

— Beaucoup. On devrait lui en écrire un autre, qu'en penses-tu ?

— Que j'aime autant tes doigts que ta perversion lorsque que tu écris à ta girlfriend. Tu veux t'installer où pour écrire ?

— La chambre 237 est certainement une référence en la matière, non ?

— Ce qui se passe dans la chambre 237 est terrifiant. Tu es certain que ton amie appréciera ?

— On ne lui racontera pas tout le film, on arrangera la scène et on coupera au montage. Tu as mieux à proposer ?

— Je suis dans la 269, répond le Dragon en pouffant alors qu'il tire une énième cigarette de sa poche. Tu la partages avec moi ? Ça te laissera le temps de choisir le bon numéro.

Je n'ai même pas envie de fumer tellement j'aime les regarder jouer. Le Léopard suit pas à pas le Dragon sans moufeter. Il détaille sa croupe, jette un œil au poitrail et aux griffes, je vois bien que lui aussi prend ses mesures et fait ses calculs.

Ils partagent une blonde à tour de rôle sur la terrasse, je comprends qu'ils essaient d'échapper aux protections cinq étoiles pour recevoir des éclats de neige sur le museau.

Côté bar Dylan époussette ma joue d'un coussinet tiède. Je ferme les yeux pour apprécier son premier contact. Première leçon physique.

Le Dragon veut jouer, il reprend le mégot entre ses griffes et recrache fumée et haleine dans la nuit glacée. Il ne parle pas et se contente d'un sourire calme.

Côté vide, le Fauve se rapproche et chaparde un flocon sur le mufle du Saurien. D'un coup de langue.

Les jeux sont faits, il va falloir trancher.

— Flocon par flocon, tu vas rester assoiffé encore un long moment, tu sais ? 

— Je vais reprendre l'ascenseur pour aller boire. Tu m'accompagnes ?

— Oui, répondons-nous d'une seule voix.

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Aaaaahhh la chambre 237....

Pourquoi est-elle si horrible ? Quelles atrocités se sont produites dedans ? Si la référence vous échappe encore, allez donc poser la question à David-Korvus .
David est le King de l'horreur sur Wattpad. Ses textes sont de petits bijoux d'angoisse, les descriptions sont ciselées et pertinentes (et Dieu sait que je ne suis pas une adepte de la description).
Vous êtes seuls dans votre chambre et l'orage gronde ? Il y a une maison avec une vieille un peu étrange pas loin du gîte que vous avez loué cet été ? Il pleut et vous êtes coincé sur Wattpad en attendant des secours qui ne viennent pas au milieu de nulle part ? Passez un moment avec ses histoires, vous ne fermerez pas l'oeil de la nuit 😈😈😈.
Une bise au talentueux Monsieur au passage.