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Je tourne les yeux et je vois une affiche un peu plus loin.

Suite au dégât des eaux qui s'est déclaré dans l'après-midi, le conseil municipal est annulé. Une date ultérieure sera indiquée sur le site internet de la mairie. Toutes nos excuses pour la gêne occasionnée.

Et merde. Je frappe un coup dans une châtaigne au sol. Je n'aime pas les imprévus. Je n'ai pas de voiture et je ne peux même pas rentrer. Je ne sais pas du tout quoi faire. Est-ce que je peux aller déranger Derek en plein service ? Je n'ai pas envie d'abuser et je commence à me refroidir. Je tourne les yeux et je vois le cinéma de la ville. Ils passent le dernier blockbusters et j'en profite pour passer les portes. Pierre n'aime pas trop les blockbusters américains. Il préfère largement aller voir des comédies françaises ou se rendre au théâtre qu'il trouve plus intellectuel. Je paye ma place, un sachet de popcorn caramélisé à souhait et je m'installe dans mon coin. Ma journée alimentaire est ridicule. Je n'ai mangé que du sucré. Avant que je puisse envoyer un message à Derek pour lui dire de me garder un truc au chaud, le film commence pour 2h45 de pur bonheur.

En ressortant de là, je suis encore prise dans mon film et je déambule presque machinalement jusqu'au restaurant de Derek. Il y a du monde, ce qui n'est guère étonnant. Je pousse la porte et une dame que je ne connais pas me demande si je souhaite une table. Je secoue la tête.

– Je voulais juste savoir si Derek est encore là. C'est mon beau-père.

Elle me fait patienter et revient rapidement avec lui. Il a encore son tablier sur lui.

– Le conseil a été annulé, je suis partie au cinéma.

– Tu es venue juste pour me donner ton emploi du temps ? me répond-il perplexe. Parce que j'ai bientôt fini le service, il ne reste que les desserts à envoyer.

– Merci pour ce sarcasme Derek. Je voulais juste savoir si je pouvais te voler une banane. J'ai vu que tu en avais ce matin.

J'ai l'impression d'être redevenu une adolescente sous son regard.

–Je peux te la payer, bien sûr. Je veux pas te faire perdre de la matière première.

Il se tourne et interpelle la jeune femme qui m'a accueillie.

– Tu peux conduire ma belle-fille à une table ? Et indiquer en cuisine de lancer un dernier menu ?

– Derek...

Il me lance un regard noir et je finis par suivre son employée. Je m'installe et je me fais apporter un verre de vin. Apparemment, Derek a changé le principe de son restaurant le soir. Je ne peux pas choisir à la carte, il propose désormais un menu du chef en plusieurs services, comme j'ai pu le voir dans certains restaurants chez moi en France. La serveuse s'enquière de savoir si j'ai des allergies et elle m'apporte rapidement le premier plat sur cinq. Dès la première bouchée, je me sens transportée dans un autre univers. Comme je suis seule, j'en profite pour observer les gens autour de moi. Il y a beaucoup de couple et je trouve même que l'ambiance du restaurant est propice aux soirées en amoureux. Derek a fait changer les luminaires qui éclairent doucement chaque table donnant un air de cocon. Le restaurant se vide autour de moi et je suis bientôt la seule à déguster mon menu. tout a été mené d'une main de maître avec une harmonie fabuleuse. Derek s'approche de moi et tire la chaise juste en face de moi alors que je termine juste mon dernier plat.

– Alors ? Tu apprécies ?

– C'est délicieux. Je crois que c'est l'un des meilleurs repas de ma vie. J'ai toujours adoré ce que tu fais, mais là... tu t'es surpassé !

–J'ai engagé un nouveau sous-chef et le vendredi soir, je lui laisse les commandes de ma cuisine. C'est son menu. Je vais lui dire de t'apporter le dessert. Tu pourras lui faire un commentaire en direct.

– Ne le dérange pas ! Il doit être fatigué et doit avoir envie de rentrer chez lui.

Il ne m'écoute pas et je ferme les yeux le temps de finir mon verre de vin. Je suis seule dans la salle et je me lève pour aller regarder les photos au mur. Elles n'ont pas bougé elles. J'entends un raclement de gorge derrière moi et je me retourne. J'écarquille les yeux alors que Luke se fige, son assiette à la main. Alors que je retourne à ma place, il dépose sur la table l'assiette à dessert.

–Alors, tu es le nouveau sous-chef du restaurant de ton père.

– Ça te pose un problème ?

J'hausse mon sourcil directement sans répondre. Je ne comprends pas son agressivité envers moi.

– Je présume que ça ne doit pas être assez bien pour toi de...

Je sens mon sang bouillonner et je meurs d'envie de lui rabattre son caquet.

– Tu es vraiment très offensant. Je ne comprends pas d'où vient ton inimitié envers moi. Tu peux ramener ton dessert en cuisine. Je suis certaine qu'il est succulent comme tout ce que tu as cuisiné, mais je vais rentrer. Tu diras à ton père que j'ai pris un taxi et que je viendrais le payer demain.

J'attrape mon manteau et je le revêts tout en marchant vers la sortie. Alors que je prends mon téléphone pour appeler un taxi mais je sens une main sur mon épaule. Luke se passe une main dans les cheveux, gêné.

–Je ne voulais pas t'offenser. C'est juste que tu as toujours trouvé cette ville minable. J'ai pensé que tout travail que je pourrais faire ici me classerait automatiquement pour toi dans la catégorie des losers.

–T'es vraiment un con dans ce cas. Je ne suis pas comme ton ex, Luke Marshall, l'interromps-je. Je n'ai jamais jugé personne sur son argent ou sur son métier.

–Je sais.

Sa main se déplace de mon épaule à ma joue.

–Excuse-moi.

Un frisson léger me parcourt alors qu'il me caresse légèrement avec son pouce.

–Ne pars pas en étant fâchée contre moi.. et sans avoir goûté ce dessert fabuleux.

–Tu es arrogant.

–C'est de famille, souffle-t-il avec son petit sourire caractéristique en coin.

Il attrape ma main et me ramène à ma table. Je m'en veux d'être aussi faible. Je n'ai jamais réussi à être fâchée longtemps contre ce crétin. Il me force à m'asseoir et il retourne dans la cuisine avant de revenir avec une saucière. Il tire la chaise pour la mettre au plus près de moi et il verse une sauce onctueuse au chocolat sur le dessert. La vision de cette sauce commence à me faire saliver. Je lève les yeux et je vois qu'il attend ma première bouchée. J'aurais adoré lui dire que c'était trop sucré ou trop gras. Mais la vérité c'est que le stade du succulent a été dépassé. Je ferme les yeux et je ne peux empêcher un soupir de satisfaction de franchir mes lèvres.

–Alors ?

Un air innocent s'affiche sur le visage de mon ancien ami. Je pose mon coude sur ma table et je tiens ma tête, joueuse.

–Je ne te dirai pas.

–Je sais que tu adores, je veux juste savoir si l'orgasme culinaire est proche ou pas.

–Va falloir bosser encore un peu.

Il s'approche carrément de moi jusqu'à ce que nous soyons si proches que son souffle caresse mon visage.

–Tu mens mal, Angèle.

–C'est délicieux, mais pas au point que j'ai un orgasme devant toi.

Je prends une seconde bouchée sans détacher mon regard de lui. Luke fixe mes lèvres que j'ai maquillé avec soin. Je finis par me redresser pour finir mon assiette.

–Je ne sais pas vraiment par quel chemin de vie tu en es arrivé là, mais une chose est certaine. Je pensais que ton talent, c'était l'art et je ne me suis pas trompé. C'est un travail d'artiste que tu as fait avec ton menu. Merci de m'avoir fait voyager.

J'attrape mon portefeuille d'où je sors une liasse de billets.

–C'est pour le menu et pour le pourboire de la serveuse.

–Je n'ai pas le droit à un pourboire, moi ? Je t'ai apporté la meilleure partie du menu...

Je dépose un baiser sur sa joue.

–Bonne nuit Luke. Je te rappelle que tu me dois un déjeuner !

Je me lève, attrape mon manteau et je sors pour de bon du restaurant. J'observe Luke depuis la vitrine. Il n'a pas bougé de place et frôle même sa joue. Je n'ai pas dû lui faire de bisou depuis le dernier anniversaire que j'ai passé avec lui. Mes lèvres s'étirent en un sourire ravi et je décide de marcher jusqu'à la maison des Marshall. La seule chose qui manque pour que cette soirée soit parfaite, c'est sûrement que des flocons se mettent à tomber. Je pousse la porte de la maison et j'entends la télévision. Ma mère s'est assoupie sur le canapé. Je n'ose pas la déranger mais dès que le parquet se met à craquer, elle commence à s'agiter.

–Angèle, c'est toi ?

–Oui, Maman. Je viens de rentrer.

Elle se redresse du canapé et me sourit.

–Le conseil s'est bien passé ?

–Il a été annulé. J'ai été au cinéma et j'ai déjeuné chez Derek... je ne savais pas que Luke était devenu chef !

–Il est doué en plus de ça... en plus d'être un beau garçon.

Je ne relève pas sa remarque que je trouve clairement déplacée et j'annonce que je vais me coucher. Je ferme les rideaux et je m'affale sur le lit à peine déshabillée. En me réveillant, je tombe du lit en roulant. Je grogne et j'ouvre les rideaux. Le paysage est blanc. La neige est toujours entrain de tomber. Je pousse un cri de joie et je cours en T-shirt de nuit au dehors. La neige est froide sous mes pieds mais je suis comme une enfant. Je me mets.à tourner sur moi-même et je prends de la neige entre mes mains. Je n'en ai pas vu depuis longtemps avec cette abondance. Ce n'est pas à Paris que j'ai eu la chance de voir plusieurs jours de neige s'installer et là, vu la quantité qui est tombée cette nuit, je pense qu'elle va durer pendant un moment.

–Angèle ! Qu'est-ce que tu fais pieds nus dans la neige ! Reviens tout de suite !

Ma mère a l'air un peu exaspérée par mon attitude, mais rien ne retire mon air ravi. Je rentre dans la maison rapidement et elle me rabroue.

–Je vais chercher mes bottes et j'y retourne !

J'entends le rire de Derek depuis la cuisine et je file dans ma chambre. Je ne m'attends pas à tomber sur Luke à peine réveillé qui sort de sa chambre.

–Qu'est-ce que tu fous là ?

–Oh, j'ai eu la flemme de rentrer chez moi.

Son regard se fixe sur mes cheveux où je sens encore la neige tombée dessus.

–Il neige ?

–Ouiiii !!

Je suis tellement excitée que j'en sautille sur place. Je rentre dans ma chambre et j'enfile mes bottes fourrées et un gilet.

–Tu devrais mettre un bas si tu veux courir dans la neige.

–Et empêcher le pervers que tu es de me mater ? Quel dommage ce serait pour toi.

Je passe à côté de lui la tête haute et je ressors dans le jardin, mon smartphone à la main. Je ne peux m'empêcher de filmer la neige sur les réseaux sociaux. Je me tourne et je remarque la présence de Luke. Il est toujours en caleçon, une tasse à la main et je me mets à sourire d'un air diabolique... Il ne s'attend pas à ce qui va suivre... le pauvre.