Chapitre 6
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Je ne sais pas exactement où il va mais il ne m'emmène pas dans la maison de nos parents respectifs. Il s'arrête devant une maison de banlieue et sort de la voiture en m'enfermant dedans. Ce con. Je donne un coup dans sa boîte à gant qui s'ouvre et un carnet s'en échappe. Il tombe au sol et je me contorsionne pour le récupérer. Je me rends compte que c'est son carnet à dessin. Je suis contente qu'il n'ait pas abandonné. Il a un vrai talent pour le dessin et il s'est vraiment amélioré depuis le lycée. Le réalisme qui se dégage de ses dessins me trouble. J'entends à peine Luke revenir dans la voiture et je reviens à la réalité quand il m'arrache mon carnet des mains.
–C'est typique, tu peux pas t'empêcher de fouiller.
Je croise son regard et il frôle mon genou quand il repose son carnet et qu'il claque la boîte à gant.
– Ce n'était pas voulu.
– Ben voyons.
Je ne peux m'empêcher de me sentir stupide et je déteste cette sensation de dire n'importe quoi dès que j'ouvre la bouche. Mon téléphone m'empêche de trouver un sujet de conversation gênant. C'est mon assistante qui ne sait plus où elle a rangé les dossiers du complexe d'Hawaï et qui panique.
–Julie, ne panique pas. Tu es où là ?
–Dans le bureau d'Adam.
– Va voir dans mon bureau. Tu vois l'esquisse sur le mur ? Regarde dans les documents en dessous.
Le dossier est dans cette pile, je le sais et quand elle le trouve, elle lâche un soupir soulagé. Je raccroche et j'envoie une note vocale à Adam.
– Il semblerait que tu surmènes mon assistante, arrête sinon à mon retour je te botterai le cul si fort que tu finiras en orbite. Ceci dit, je voulais la challenger un peu sur le dossier Hawaï alors si tu pouvais lui laisser certains trucs à faire, ce serait juste génial. Je te ramène du sirop d'érable, ciao.
Je me tourne vers Luke dont les mains serrent fortement le volant.
–Une esquisse ? J'ai bien compris ?
–C'est celle que tu m'as offerte quand j'avais 16 ans.
–Pourquoi tu l'as gardée ?
–Parce que tu me l'as offerte après avoir passé des heures dessus et que j'adore ce dessin. Il représente tout ce que j'ai toujours adoré chez toi. Ton talent, ton abnégation et ta persévérance. Enfin, c'était comme ça que je te voyais avant que tu ne cesses définitivement de me parler. Tu peux me laisser là, je vais me débrouiller. Je présume que ta non réponse à mon message voulait dire « fuck » alors... à la prochaine.
J'ouvre la portière alors qu'il n'est pas encore rentré dans l'allée de son père. J'attrape mes gâteaux et je m'éloigne rapidement. J'entends sa voiture qui me suit et j'entends sa voix.
–Quel message ?
Je ne réponds pas mais je vois bientôt la maison et j'accélère le pas. Ma mère ouvre la porte pour nous accueillir.
– Pitié, dégage-le.
– Ne dis pas n'importe quoi. Va mettre les tartes dans la cuisine.
Je lève les yeux au ciel et la contourne pour poser les boîtes. Je monte immédiatement dans ma chambre pour fuir. Luke a été un peu odieux et je n'ai pas envie de continuer de lui parler. J'ai été idiote de lui avoir avoué que je l'admirais. Je me déshabille et je recherche la robe que je portais tout à l'heure avant de partir. Où est-elle passée ? Je suis certaine que ma mère est passée derrière-moi. Elle a toujours fait ça quand j'étais ado. Ma porte s'ouvre derrière moi et je rabroue ma mère.
– Tu pourrais frapper quand tu rentres Maman, je suis à moitié à...
Ma voix s'éteint dans ma gorge. Ce n'est pas mère, mais Luke. Son regard bleuté glisse le long de mes hanches.
– On déjeune ensemble demain. Je passerai te prendre, je sais où te trouver.
Il est sur le point de refermer ma porte quand il s'arrête avant de se retourner une dernière fois. Il fixe mes seins de manière insistante, un sourire arrogant sur les lèvres.
–Elle est très mignonne ta lingerie. Tu la porteras demain, je compte sur toi.
Je suis offusquée. Il se prend pour qui ? J'attrape rapidement ma robe en laine et je lui cours après. J'arrive à lui sauter dessus alors qu'il est à la dernière marche des escaliers et il s'affale au sol dans un grognement sourd. Il me grogne de dégager.
–Tu m'as maté sale pervers ! Va falloir te faire pardonner !
Il me repousse sur le côté et est sur le point de répliquer quand la porte d'entrée s'ouvre sur Derek avec un bouquet de poinsettia en main. Il nous voit tous les deux au sol et sa bouche se tort de rire.
– Tout va bien ?
– Tout va pour le mieux. Luke et moi allons chercher le sapin dimanche.
Il est sur le point de protester mais je lui lance un coup dans le flanc qui lui coupe le souffle et il me fusille du regard. Je me redresse, remets ma robe correctement et j'enjambe Luke. Du moins j'essaye puisqu'il me fait un croche-pieds et je retombe sur lui comme une idiote.
–Toi, je te prends quand tu veux et je te défonce ! grogné-je.
–Toujours une grande gueule Angèle, mais rien dans les muscles.
Je m'éloigne de lui et je rejoins Derek dans la cuisine. Ce dernier n'a rien dit mais il semble vraiment amusé par son fils et moi. Luke ne me suit pas dans la cuisine.
–À quelle heure est le conseil ce soir déjà ? 19h30 ?
–Exactement ! me répond mon beau-père doucement. La tradition veut qu'on y aille un peu avant pour prendre une boisson chaude.
–Est-ce que Maman a une voiture que je pourrais emprunter pour m'y rendre ?
–Sa voiture est en réparation. Je vais t'emmener Angèle. Par contre, je dois être au restaurant une demie-heure avant. Tu pourras rester avec moi en attendant, si ça ne te dérange pas ?
–Bien sûr que non. Je vais retourner travailler. J'ai juste fait une pause le temps d'aller en ville. J'ai pas mal de travail avant ce soir.
Ma mère arrive dans la cuisine avec son beau-fils. Je passe à côté de lui sans un regard et je retourne dans ma véranda. Ma mère m'a servi un morceau de tarte et je plonge ma cuillère dedans. Elle est délicieuse. Je vais devoir faire attention à ce que je mange ici. Je risque de prendre du poids et Pierre m'en fera la remarque. Je repousse mon assiette et je finis de coordonner le diaporama que j'ai reçu de mon assistante. Elle vient de finir sa journée de travail quand la mienne commence à peine. J'attrape mes écouteurs pour mettre de la musique à fond dedans et je travaille en rythme. Je ne vois pas les heures passer encore une fois et quand je sors de mon travail, le soleil s'est déjà couché. Je remonte pour me changer et remettre des habits qui flattent ma silhouette. Je ne veux pas mettre mon beau-père en retard. Je descends les escaliers et je vois qu'il m'attend. Il ne peut empêcher ses lèvres de s'étirer.
–Tu es très élégante encore une fois.
– Je devrais me changer tu crois ? C'est too much ?
– Non, pas du tout, me rassure-t-il.
Il m'ouvre sa portière et nous filons sur la route.
–Luke n'avait pas l'air d'accord pour venir couper le sapin.
–Luke n'a jamais eu le dernier mot avec moi. Tu aurais dû me prévenir qu'il partait à la dérive. Je l'aurais remis sur le droit chemin.
–Il n'est pas parti à la dérive, ricane son père.
–Heu... excuse-moi, quand on sort avec une Suzie Douglas, c'est qu'on a dérivé depuis un moment.
–Tu ne l'aimes vraiment pas cette fille ! Elle est gentille pourtant.
–Gentille ? Elle m'appelait la fauchée quand on était au lycée, parce que je n'avais pas beaucoup d'argent et que je vivais dans un quartier sordide. À chaque fois qu'elle devait parler de moi ou qu'elle m'interpellait, c'était le surnom officiel. Ah non pardon, elle alternait avec « la pauvresse ». Alors non, je la déteste cette conne. Ma mère aussi je te signale.
–Mais non elle...
– Je te jure qu'elle la déteste et ça l'a exaspéré qu'elle l'appelle « belle-maman ».
Derek se tait tout à coup.
– Et Luke le savait ?
– Comment j'ai réussi à survivre au lycée à ton avis ? Grâce à Thea et à Luke. Enfin, surtout Thea vu que ton fils a arrêté de me parler du jour au lendemain sans raison. Après, peut-être que je suis méchante avec Suzie pour rien. On est tous des adultes. Je présume qu'il a dû trouver quelque chose de beau chez elle et de particulièrement intéressant.
Mon beau-père se tait et je vois ses mains s'agripper un peu plus à son volant.
– Je te prie de bien vouloir m'excuser pour avoir permis à mon fils, sans rien lui dire, de fréquenter une fille pareille. Je n'en avais pas la moindre idée. J'aurais dû te défendre.
– Mais non, ne t'inquiète pas.
– Quand ta mère a décidé de lier son destin au mien, j'ai accepté toute votre famille, tant la partie dysfonctionnelle que toi. Il est tout à fait normal que je te protège. Tu es devenue ma fille tout comme Sabrina. Sache que j'aurais une discussion avec mon fils si jamais il comptait ramener une femme qui t'a fait souffrir par le passé.
Je suis très touchée par ce qu'il me dit et je pose ma main sur son bras.
–Merci Derek, mais tu n'as pas besoin de te donner cette peine. Je vais moi-même avoir une discussion avec ton fils. Il est temps qu'on remette les choses à plat. Tu peux me déposer ici ? J'ai besoin de me dégourdir un peu les jambes.
J'ouvre la portière et je lui fais un signe avant de réajuster mon écharpe châle. J'ai pris mon ordinateur avec moi et certains de mes dossiers. Je me sens prête comme je ne l'ai jamais été. Je marche d'un pas décidé vers la salle du conseil municipal. La porte est close pour le moment et je décide de me rendre dans le café le plus proche pour m'y réfugier en attendant que Tony, le maire, passe pour ouvrir la porte. Je ne peux m'empêcher d'observer le monde tout autour de moi. Mon regard se pose sur un petit groupe de lycéens. Et dire qu'à leur âge, tout ce que je souhaitais, c'était échapper à ma vie. Je voulais partir, loin d'ici sans me retourner. Je me souviens encore de cette soirée où j'avais ouvert mon courrier pour l'université et que j'avais appris que j'étais admise dans une fac étrangère. D'un coup, mon avenir m'est paru clair. J'allais partir de cet endroit... sans revenir. J'avale une gorgée de chocolat. J'ai peut-être été trop stricte avec moi-même et avec ma mère. Tu es mon enfant adorée. Elle n'a pas eu une vie facile et elle a sacrifié beaucoup de choses pour moi. J'aurais dû le comprendre. Mon téléphone sonne et le visage de Pierre s'affiche. Je décroche en me forçant à sourire. Je comprends à sa voix qu'il est fatigué, mais comme c'est lui qui m'appelle, je culpabilise moins à lui parler. Il me raconte sa journée et se plaint de sa nouvelle collègue et du fait qu'il va devoir passer du temps avec elle pour la former.
– Et toi ? Tout va bien ? finit-il par demander.
– Je... oui ça va, je vais bientôt aller à une réunion municipale pour le projet.
–Tu vas réussir à convaincre les ploucs, ne t'inquiète pas ! Je ne veux pas t'embêter plus. On se rappelle plus tard !
Il ne tarde pas à raccrocher et je souffle avant de me lever pour me rendre dans la salle. Elle doit être ouverte, je ne vois plus personne devant. Je pose ma main sur la poignée de porte et je n'arrive pas à ouvrir. C'est quoi ce bordel ?
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