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89. Iris

Iris essayait de se réfugier à l'intérieur d'elle-même, comme elle l'avait fait mille fois déjà, lorsqu'elle était contrainte d'assister à une exécution au Temple de Casin, participait à une expérience à l'École des Arcanes ou arpentait le marché aux esclaves. Griphel étalait sa barbarie dans chaque rue, chaque villa, chaque jardin, une cité qui s'était constituée par la force, sur des principes violents, et qui n'avait jamais réussi à s'en dépêtrer, à trouver une meilleure manière de faire, de vivre, d'interagir.

Elle en avait vu d'autres, tellement d'autres, elle pouvait faire face, quoi qu'il advienne, ce ne serait jamais pire que ce qu'elle avait traversé autrefois.

Même si elle avait alors été de l'autre côté de la barrière. Bourreau, témoin, impuissante.

L'avait-elle réellement été ? N'était-il pas justice que le couperet tombe enfin sur son existence misérable ?

Le métal était glacé sur ses poignets et le bâillon lui déchirait les joues, la ramenant sans cesse dans ce présent dramatique.

Une part d'elle était soulagée. Les masques étaient tombés. Elle ne devait plus prétendre.

Difficile, pourtant, de savoir qui elle était vraiment. Elle avait été un monstre pendant vingt ans, pouvait-elle tout renier ?

Ensio était venu, peu après sa capture. Voir le Casinite, juste ça, avait suffi à la faire perdre toute contenance. La bouche libre, elle avait improvisé sa version des faits, la manière dont cet Auguste l'avait agressée alors qu'elle se rendait aux latrines, la coinçant dans la salle de torture pour ne pas que Conrad l'entende, son geste de défense radical, qui avait tué l'imbécile.

Tout ça, contre toute attente, Ensio l'avait cru. Cela collait avec ce qu'il savait d'eux, Auguste, Iris, la colère du premier qui avait perdu ses privilèges en rejoignant l'ombre et grondait d'une frustration rentrée, la beauté de la seconde, jeune fleur offerte aux regards, provocante, désirable.

Il lui aurait pardonné, l'aurait peut-être félicitée. Tuer, meurtrir, un Casinite approuvait. Le fort foudroie le faible, comment le lui reprocher ? Auguste, quantité négligeable, personne ne s'en souciait.

Le réel problème, la cause de sa chute, c'était ce qui avait suivi.

Attirée par l'Himéite qu'elle savait recherché, elle s'était penchée sur lui. Une lueur rose avait alors fusé entre ses doigts, sans qu'elle puisse rien contrôler, comme un élan irrépressible face à l'horreur, un pouvoir dont elle était imbue, au plus profond d'elle-même, et que Conrad avait vu et identifié.

Le pouvoir de guérir, le Flux de Béal.

Exactement comme cela s'était produit dans cette ruine, deux ans plus tôt, lors d'une sortie scolaire à la recherche d'anciennes dépouilles. Les cadavres très anciens, desséchés par la chaleur du désert, recelaient des propriétés utiles pour les apprentis mages de mort, et profaner des tombes oubliées faisait partie du cursus.

Iris cheminait alors dans un tunnel de roche, en compagnie d'une camarade, lorsqu'un piège antique s'était déclenché. Sa compagne, Cassandra de Brisesaigne, avait été frappée d'une dizaine d'aiguillons jaillis d'un mur. Sous le choc, elle avait perdu connaissance. Iris avait appelé à l'aide, s'était précipitée à son chevet et là, cette énergie imprévue avait surgi pour la première fois, une magie réparatrice qui avait coulé de ses paumes et soigné sa camarade foudroyée.

Quand le sorcier qui les accompagnait les avait retrouvées, Cassandra gisait toujours inconsciente, mais ses plaies n'étaient plus que superficielles. Il avait tancé Iris pour leur manque de prudence et s'était félicité de la vétusté des protections qui demeuraient dans la ruine. Heureusement, toute trace du pouvoir latent d'Iris s'était alors dissipé.

Elle avait cru qu'il émanait des ruines, en réalité, et peut-être était-ce le cas. Le vieux temple qu'ils avaient profané, situé à une douzaine de lieues de la capitale, prédatait la civilisation griphélienne, et avait été érigé par les tout premiers colons jasarins, dont on savait peu de choses. Les momies qu'ils y avaient récupérées avaient plus de cinq cent ans, selon ses professeurs.

À l'époque, Iris savait peu de choses sur l'histoire religieuse des êtres humains. Griphel était vouée à Casin, et la doctrine en faisait le maître de toutes choses, sans réelle place pour d'autres principes.

Les choses auraient pu en rester là, mais la curiosité et la peur l'avaient taraudée. Un mage de mort ne soigne personne. Il est l'antithèse d'un guérisseur. Qu'elle ait pu être le vaisseau d'un tel pouvoir, à son corps défendant, constituait un risque monstrueux.

Alors elle avait profité de la liberté unique dont jouissait l'Ecole des Arcanes pour fouiner dans la bibliothèque à ses heures perdues.

La pensée dominante en cosmologie lui avait appris qu'on distinguait les Dieux Anciens, qui existaient avant l'homme, des Dieux Nouveaux, qui avaient émergé avec lui. Valgrian, Tymyr ou Béal faisaient partie de la première catégorie, Casin, Dywill ou Rhyfel, de la seconde. Les discussions sur leur nature, la portée de leurs actes, leur conscience du monde, étaient incompréhensibles pour le novice et Iris n'avait pas creusé. Mais elle avait découvert que si tous les Flux divins offraient la possibilité de soigner, le plus puissant était celui de Béal, qui s'articulait tout entier autour de la guérison. Il se manifestait par une lumière blanche ou rose, un parfum de sous-bois après la pluie, un chatouillis qui vous faisait vibrer la poitrine et vous donnait l'envie de chanter.

Répugnant, dramatique, potentiellement fatal.

Comment avait-elle pu être débordée par cette énergie inconnue, la marque d'une divinité interdite, abhorrée par tous ses pairs ?

Elle avait remisé la question, bien profondément, tenté de se concentrer sur ses études, même si son esprit n'y était plus.

L'énergie de Béal était toujours présente, elle le sentait, comme une petite flamme qui brûlait à l'intérieur, qui ne demandait qu'à s'épanouir, qu'à consumer le reste, la noirceur, les ténèbres. Avait-elle été contaminée par une malédiction dans ce temple ? Ou était-ce quelque chose d'autre, un défaut personnel, qui s'était révélé au bon endroit, dans l'urgence ?

Iris s'était toujours sentie étrangère à son environnement, elle n'avait jamais réussi à adopter complètement les moeurs de sa famille, de son peuple. Elle avait attribué ses larmes et ses cauchemars à une faiblesse honteuse, un manque de force morale, une véritable tare, contre laquelle elle devait lutter. Grandir. Évoluer. Elle s'était forcée à regarder les esclaves qu'on humilie, les condamnés qu'on égorge, les cobayes qu'on torture, droit dans les yeux, sans frémir, sans flancher.

S'endurcir, elle pouvait y arriver.

Jusqu'à l'éclosion de cette chaleur douce, en son sein, qui lui soufflait un tout autre air. Merveilleuse et mortelle. Elle ne pouvait pas poser la question, à personne : le pouvoir de la Vie m'habite, pourquoi ? La réponse lui vaudrait mille tourments.

Exactement comme aujourd'hui, dans cette cave, aux mains des Obscurs.

Elle avait quitté Griphel dans l'espoir d'échapper à un châtiment terrible, de trouver un foyer, de rencontrer des âmes bienveillantes qui voudraient bien l'aider à comprendre et à guérir.

Tout un rêve en cendres, désormais.

Ensio l'avait torturée d'un seul doigt, pointé sur son épaule, assorti d'une parole démoniaque.

La douleur l'avait embrasée, elle avait hurlé, avec abandon, aucun souci de paraître, sans la moindre honte. Elle n'avait jamais eu aussi mal de sa vie, mais dans le fond, elle n'avait jamais eu vraiment mal, protégée dans son cocon doré, confortablement installée dans ses privilèges. Alors elle avait eu l'impression qu'il y avait là une forme de justice, une purification après ces années d'apathie à se vautrer dans le giron des ténèbres.

Dans la douleur, elle avait raconté son histoire, qu'elle avait ce pouvoir en elle, qu'elle n'y pouvait rien, qu'elle ne savait pas d'où il venait, qu'elle restait une jeune magicienne de mort de Griphel, qu'elle n'avait jamais eu l'intention de tromper quiconque.

Elle avait lu le mépris sur le visage du Casinite, qu'elle puisse craquer si aisément, sans doute, et ramper et geindre, alors qu'elle avait tout juste une épaule brisée.

Il l'avait observée, bouche pincée, puis était sorti, l'abandonnant dans ses sanglots.

Le pouvoir de Béal s'était manifesté dans les ténèbres, sans qu'elle ait rien à faire, pour tempérer la douleur, caresser sa peau, réparer ce qui pouvait l'être. Elle avait senti qu'il ne la guérissait pas parfaitement, il était trop jeune, trop inexpérimenté, ne savait pas s'y prendre, mais la déchirure dans son épaule s'était atténuée.

— Merci, avait-elle murmuré à personne en particulier.

Désormais, elle était seule depuis des heures, debout contre le mur, les poignets enchaînés au-dessus de la tête. Elle devait lutter contre le sommeil car elle connaissait bien l'organisme humain, et elle savait qu'attachée comme elle l'était, si elle s'endormait, elle mourrait asphyxiée sans avoir repris connaissance.

Au bout d'une heure, ou d'une seconde, elle se demanda pourquoi.

Pourquoi elle tenait tant à survivre, dans ces ténèbres, pourquoi elle ne pouvait pas se résigner, capituler, glisser vers l'oubli et partir ?

Parce que j'ai vu la lumière, songea-t-elle. Je ne peux pas faire semblant.

La souffrance résiduelle et le brouhaha au dehors l'aidèrent à garder pied. Il se passait quelque chose dans les couloirs, quelque chose de bruyant, des voix, des chocs, des cris, que la porte de sa cellule réduisait à rien. Elle espéra qu'il s'agissait de la cavalerie, enfin, Kerun, une intervention salutaire qui l'arracherait à l'horreur. Elle pria pour que ce ne soit pas Martin, lancé dans une opération suicide.

Elle était désolée d'avoir trébuché, désolée de ne pas l'avoir averti de ce risque qui bouillonnait en elle, elle aurait voulu s'excuser, mille fois, pour cette catastrophe. Ils avaient gardé leurs secrets, chacun. Il avait eu honte, elle avait eu peur.

Elle se jura de ne jamais le trahir, de mourir avant de révéler leurs intentions, même si en réalité, elle ne voulait pas mourir.

Les clameurs se turent sans que personne ne vienne la sauver.

Beaucoup plus tard, la porte s'ouvrit sur une lanterne. Conrad entra, le visage plissé par le mécontentement. Dans son ombre, Albérich Megrall paraissait presque amusé.

Iris les regarda à la lueur de la flamme, ne cherchant pas à masquer sa terreur. Les deux hommes l'observèrent un instant, et elle se demanda ce qu'ils voyaient en elle. Une jeune femme pathétique, une victime en puissance, ou une traîtresse à punir.

Megrall fit un pas en avant et lui frôla l'épaule du pouce.

— Intéressant, murmura-t-il.

Il recula et commença à incanter. Iris s'agita dans ses chaînes, malgré elle, craignant une nouvelle torture, mais le flux qui la frôla, une curieuse brume d'ombre et d'argent, ne fit que scintiller à la surface de sa peau avant de s'estomper.

— Son aura conserve une tonalité très sombre. Et tu l'as vue à l'oeuvre.

Conrad pinça les lèvres.

— C'est presque dommage. Ça aurait été plus simple. Mais ça ne change rien. Son essence est viciée par le Flux de Béal.

— La pervertir serait une victoire plus grande que de l'égorger, non ?

Le vieil Obscur secoua la tête.

— Non. Elle sera toujours viciée. Nous ne pouvons pas la purger de ce qui l'anime, qui finira par la dominer. Ça explique certainement son extrême faiblesse, après chaque sortilège. La magie de mort tue ses praticiens, même les plus cruels, mais cette gamine subit déjà des contrecoups bien trop spectaculaires. Sa sincérité et sa volonté n'ont aucune importance, c'est sa nature qui la condamne.

Iris eut l'impression fugace qu'il était désolé.

— Bon. Mais Ensio voudrait la conserver un moment, reprit Megrall. Pour endurcir l'autre Griphélien. Comme ils se connaissent un peu, c'est un bon exercice.

Autant pour la miséricorde, songea Iris.

Conrad soupira.

— Je dois faire mes comptes. Nous avons besoin de sacrifices. Et je ne veux pas devoir trimballer trente-six prisonniers jusqu'à Griphel. Le Temple de Casin en donnerait une fortune, cela dit, et nous aurons besoin de fonds. Même si je la laisse à Ensio, il y aura des conditions.

— Tu vas lui laisser l'Himéite ?

— Bien sûr que non. Il se trouvera un autre jouet.

Megrall eut un sourire. Iris se sentit glacée jusqu'aux tréfonds d'elle-même.

— Il va estimer que je bénéficie d'un certain favoritisme, reprit Megrall.

— Marcus a encore un rôle à jouer, ce n'est pas le cas de l'Himéite, que vous étiez censés tuer, je te rappelle. Bon, il aura canalisé Ensio le temps nécessaire, c'est vrai. Mais de toute façon, peu me chaud. Ensio a ses usages, mais il reste un Casinite. Un instrument grossier pour un travail répugnant. Je me fiche de ses humeurs. Une fois à Griphel, nos routes se sépareront.

L'ancien Valgrian ne dit rien mais la satisfaction rayonnait sur son visage.

Ils sortirent ensuite, ramenant les ténèbres sur la jeune sorcière. Ils ne lui avaient même pas posé de questions. Iris était restée plus ou moins stoïque jusque là mais les larmes revinrent.

Elle était condamnée par son sang.

Était-il possible que quelque part, dans sa généalogie, le Flux de Béal se soit incarné pour se mêler aux hommes ? Elle savait que ce miracle était discuté dans certains cercles, avait lu quelques chapitres à ce sujet, des réminiscences d'un temps oublié, où les Flux Divins arpentaient Solbéa. À Griphel, les prêtres de Casin usaient d'un sortilège conçu pour détecter ce qu'ils appelaient la Souillure de Valgrian, une étincelle enfouie dans le corps de certains. Ils y avaient soumis des centaines de prisonniers de guerre pour y sélectionner les victimes sacrificielles les plus à même de satisfaire leur dieu mauvais.

Tout ça, elle aurait voulu pouvoir le raconter à Kerun.

Ça et tant d'autres choses : les sinueux jeux de pouvoir des différentes maisons nobles, les secrets du Palais Impérial, de la triste Phalange des Ténèbres, les signes codés pour rentrer à l'Ecole, les plus dangereux des Archimages, la Peste-Folle qu'on tentait de mettre au point, tout ce savoir qu'elle avait espéré offrir à cette cité en échange de son accueil.

Elle se morigéna d'avoir tergiversé. Elle aurait dû mettre tout ça par écrit, plutôt que de récurer des casseroles, flaner dans les parcs ou dessiner — bon dieu, dessiner, ce passe-temps misérable — pendant des heures.

Tout était perdu, à présent. Dans quelques heures, Ensio reviendrait, traînant Martin dans son ombre, et forcerait l'ancien esclave à la torturer. Que son ami — car c'était son ami, n'est-ce pas ? — obtempère ou pas, les choses ne pouvaient plus s'améliorer. Il fallait qu'elle se libère, mentalement, de cette prison, qu'elle pense à des jours meilleurs.

Mais lesquels ? Ceux, fugaces, qu'elle avait connus à Juvélys n'étaient porteurs que de regrets. 

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