78. Asthéorn
TW : je pourrais en mettre ailleurs, je sais, mais ici, je crois que ça se justifie un peu plus... 🩸🔪😰 (mais vous aviez compris que c'était mature, hein...)
***
Tout vient à point pour qui sait attendre, disait le dicton.
Asthéorn en était ravi.
L'ouverture avait surgi par hasard. Il visitait les cachots du Fort à la recherche de recrues conciliantes, lorsque des effluves délicats lui avaient chatouillé les naseaux. Enivrants. Irrésistibles.
Pressé par les besoins de la compagnie, il s'était muselé, avait lutté contre l'envie – le désir – d'investiguer plus avant, avait mené la mission à bien, sélectionné trois hommes de plus, puis était remonté préparer leur opération nocturne.
Un succès inespéré.
Ensuite, il avait dormi, s'était retourné, retourné encore, et avait quitté son lit à l'aube, alors que les autres arpentaient encore leurs songes chaotiques.
Ces heures perdues s'étaient muées en une impatience délicieuse, bientôt récompensée.
Baratiner le gardien n'avait pris qu'une seconde. Tout le monde savait que le général leur accordait sa plus totale confiance, qu'on ne pouvait rien leur refuser.
Il entra dans la cellule sans s'annoncer, suspendit la lampe au crochet prévu à cet effet, referma derrière lui. Le prisonnier gisait dans la paille sale et il se redressa avec peine, surpris par l'intrusion.
— Bonjour mon joli, ça faisait longtemps que je rêvais d'avoir un entretien plus poussé avec toi.
De stupéfaction, l'elfe recula contre le mur, s'empêtrant dans ses chaînes. Théo se fendit d'un sourire joyeux et s'accroupit devant lui, la main tendue. Il était bien amoché, les hommes de Maelwyn n'y avaient pas été de main morte. Le sang séché qu'il avait sur la joue dégageait un parfum alléchant, épicé par le kuttröthe, un remède traditionnel à l'entêtement elfique, toujours radical.
— Vous n'avez pas le droit, souffla le prisonnier. La prédation néjo est interdite en Tyrgria.
Asthéorn soupira.
— Tant de choses sont interdites, en Tyrgria. L'esclavage. Le commerce de spores. Vénérer Casin, briser les vitres du voisin, molester son gosse, manger son blé. Le vol, le viol, le meurtre. Crois-tu que cela empêche les gens de le faire ? Crois-tu que cela m'empêchera de prendre ce dont je crève, depuis que tu es venu fourrer ta délicieuse petite trogne dans nos affaires ?
— Nous sommes dans le fort de Juvélys...
— Un endroit dont les murs sont drôlement épais, tu as noté ? Qui va t'entendre crier ?
Il haussa les épaules tandis que l'elfe cherchait une échappatoire inexistante, trop épuisé pour penser droit. Théo sortit une fine dague de sa ceinture et en éprouva la pointe du pouce.
— Mais j'ai une proposition à te faire. Laisse-moi te saigner proprement. Je ne te tuerai pas. Je me contenterai de me servir une coupe... peut-être deux... puis je m'en irai. Ce n'est pas grand chose. Tu peux t'en passer. J'en ai très envie. A la Rhyvanne, un échange de bons procédés. Si tu t'y plies... je peux faire en sorte qu'on améliore ton ordinaire. Meilleure nourriture. De la paille propre... Qu'on vide ce pot de chambre qui empeste. Il te suffit d'être obéissant. De toute façon, tu es coincé ici... Autant servir ceux qui bossent pendant que tu te la coules douce.
La colère colonisa le visage de l'elfe, en miroir de sa terreur. Théo sentit son estomac se crisper d'anticipation. Il passa une langue sur ses lèvres pour en éponger la salive. Il allait devoir lutter pour ne pas l'égorger mais il n'avait pas l'intention de trébucher juste pour satisfaire un appétit instinctif.
L'imbécile allait refuser, bien sûr. Il allait se défendre malgré ses liens. Mais Théo n'avait jamais espéré qu'il en soit autrement. Là où les elfes avaient pris l'habitude de la liberté, c'est à dire quasiment partout dans ce vaste monde, ils considéraient le régime des néjonians comme une monstruosité. Or c'était leur révolte qui était contre-nature, mais ça, curieusement, ils semblaient l'avoir complètement oublié.
— Ne sois pas stupide. J'aurai de toute façon ce que je veux... Tu peux décider de t'y soumettre... ou bien je serai forcé de te faire mal.
— Ne me touchez pas, murmura l'elfe.
Il était conscient de ne pas pouvoir lui échapper, mais il lutterait, c'était écrit dans chacun de ses mouvements, et dans les effluves qu'il distribuait généreusement malgré lui. Pauvres petites créatures pathétiques. Elles avaient été façonnées pour nourrir le Peuple, et tous leurs soubresauts de rébellion ne les libéreraient jamais de leur nature profonde. Le néjo était le prédateur de l'elfe, son maître et son créateur. Le reste était un mirage.
Puisqu'il allait falloir le maîtriser, il rengaina sa dague puis s'assouplit les doigts. D'un gabarit légèrement plus lourd que sa victime, il ne doutait pas d'avoir le dessus, d'autant que l'elfe était sous l'influence du poison – recru, désorienté – en plus d'être restreint et de souffrir des séquelles de son passage à tabac. Mais dans l'urgence, cette race faisait souvent preuve d'une résilience remarquable et déployait des ressources insoupçonnées, sans quoi ils ne seraient jamais parvenus à renverser puis décimer leurs maîtres. Bon, le nombre avait aidé. Et la stupidité des anciens qui n'avaient jamais imaginé que du bétail puisse se rebiffer.
Asthéorn regretta de ne pas être un de ces néjonians d'autrefois, plus grands, plus forts, et dont la simple morsure pouvait paralyser un elfe. Il n'était plus qu'une version bâtarde, atrophiée, un vestige de ce que son espèce avait été avant la trahison. Soudain empli d'une bouffée de haine pure, il se rua sur le prisonnier.
Ce dernier avait anticipé le mouvement et l'esquiva d'un pas de côté, puis profita de son élan pour le faire trébucher. Pendant une seconde, Théo vit rouge, la fureur lui brouilla les sens et l'esprit, et il poussa un cri de rage. Il sentit la main de l'elfe lui frôler la taille et comprit que cette petite ordure avait l'intention de lui subtiliser son arme. Il le repoussa d'un coup de coude brutal dans la poitrine, puis le faucha au niveau des jambes. L'elfe parvint à reculer mais le pied du néjo bloqua sa chaîne, l'empêchant d'aller très loin. Le Juvélien n'avait pas dit son dernier mot : il se servit des lourds maillons de ses liens pour frapper son adversaire au visage. C'était évidemment le point faible de sa race, cet avorton vicieux le savait, mais Théo se protégea d'un bras et lui asséna un coup de poing dans le ventre, le repoussant contre le mur, avant d'enchaîner d'un second coup qui le toucha cette fois au visage.
Le parfum puissant du sang elfique explosa tout autour d'eux.
Enivré, Théo sentit son énergie pulser dans ses muscles et il fondit sur son adversaire à moitié sonné, qu'il envoya au sol. L'elfe essaya encore de se dégager, ruant sous son poids, essayant de le frapper dans le dos de ses genoux et de le repousser de ses mains, mais le néjo n'avait plus la patience de le maîtriser dans les règles. Il captura ses poignets d'une main et de l'autre, il lui repoussa violemment le crâne contre le sol, puis le retourna et s'assit à califourchon sur son dos. Sous lui, le prisonnier était en train de capituler, tentant de prendre appui sur ses coudes pour le déloger, sans plus d'énergie.
Théo dégaina sa dague, attrapa l'elfe par les cheveux et glissa la lame contre sa gorge.
— Est-ce que tu es sûr de vouloir aller jusque là ?
— Vous n'avez pas le droit, souffla le captif d'une voix troublée par la fureur.
Il ne bougeait plus, vaincu, et soucieux, désormais, de rester en vie.
— Je vais me gêner.
Le néjo força l'elfe à se redresser. Il saignait du nez et d'une estafilade dans le front, et sans pouvoir s'en empêcher, Théo le pressa contre le mur et lui lécha le visage d'une langue avide pour se gorger son liquide vital. La sensation l'électrisa tandis que sa proie se contorsionnait de dégoût dans un gémissement pitoyable. Une brutale envie de lui dévorer le visage crispa les entrailles du néjo, qui dut se forcer à reculer. Haletant, l'elfe resta collé au mur, les mains levées en position défensive, mais ses jambes tremblaient et son expression reflétait épuisement et épouvante. Théo comprit qu'il ne céderait jamais et que lui-même finirait par le tuer. Il fallait en finir avant le dérapage.
Il rengaina sa lame et ferma ses narines, bannissant le pouvoir excitant des odeurs de sa proie. Le calme revint, peu à peu. L'elfe le jaugeait de derrière ses poings serrés, la respiration sifflante. Des filets de sang sombre coulaient à nouveau sur son visage, de son arcade sourcilière, du nez, de la commissure des lèvres.
— Tu ne vas pas me laisser faire, n'est-ce pas ? demanda Théo, presque désolé.
L'espion ne lui répondit rien, trop choqué pour faire sens de ce qui était en train de se produire. Un officier juvélien livré au pire, au coeur même de sa cité. Le néjo comprenait sa stupeur, mais elle était le reflet de sa naïveté.
Il fit mine de reculer pour mieux fondre sur l'elfe. Ce dernier n'eut pas le temps d'esquisser un mouvement. De deux coups bien placés, un au visage, l'autre à la nuque, Théo l'envoya au sol, où il resta prostré. Il n'était pas complètement inconscient — il gémit lorsque le néjo s'accroupit pour le retourner — mais il n'était plus en état de se défendre. Théo le bloqua entre ses jambes et lui dégagea le bras droit.
Il avait eu l'intention de faire ça proprement, dans une coupe, mais puisque l'elfe avait voulu faire l'imbécile, tant pis. Sa faim lui imposait de se nourrir et il lui ouvrit les veines d'un coup de dague avant de porter directement son poignet à sa bouche. Le sang chaud lui coula sur la langue , en jets délicieux, et le néjo se gorgea de cet élixir de jouvence, saveur parfaite et euphorisante. Il lutta contre l'abandon, conscient qu'il ne pouvait le vider. Pourtant, il en avait envie, incroyablement envie, comme il avait envie de lui dévorer les épaules, la gorge et le ventre. C'était dans l'ordre des choses, depuis la création du monde, une nécessité naturelle, et Théo maudit les moeurs de cet endroit qui lui interdisaient de se repaître comme il en avait le droit.
Il s'arracha au poignet de sa victime, frustré, et pressa la plaie du pouce. L'elfe s'anima d'un spasme, mais il s'était réfugié dans l'Oubli, d'instinct, comme ils le faisaient toujours dans les situations critiques. Sa peau avait pris une couleur terre et le néjo espéra qu'il n'était pas allé trop loin. Comprimant toujours la blessure, il fouilla dans la sacoche à sa ceinture et en extirpa son matériel de traite. Il ouvrit la fiole de liquide cicatrisant et en aspergea largement la coupure, ce qui mit fin aussitôt à l'hémorragie, puis banda le poignet bien serré. De deux doigts, il prit le pouls de l'elfe à la gorge, le trouva emballé et faible. Rien d'anormal. Il survivrait.
Ménager le bétail. Difficile quand on avait grand faim et si peu d'opportunités de se nourrir. Théo comprenait sans mal que les néjonians d'autrefois aient pu se satisfaire de prélèvements modestes, quand ils avaient de grandes tribus d'elfes à disposition et la certitude d'un approvisionnement régulier. Mais les choses avaient changé. Il n'y avait plus aucune garantie.
Il se leva, à peine rassasié, et contempla le corps inerte à ses pieds. Il fallait qu'il parte mais ses entrailles se crispaient encore de désir. Comment résister ? Il avait droit à sa pitance. Droit. Besoin. Les humains n'y comprenaient rien, comment l'auraient-ils pu ? L'elfe était au néjo ce que le soleil était aux plantes, une nécessité vitale. Remisant ses hésitations, il décida de profiter encore... juste un rien.
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