111. Darren
— Flèche-Sombre ? C'est vous ?
— Oui.
Le général Maelwyn se redressa péniblement sur son oreiller, dévisagea l'elfe à la lueur de la lampe à huile, puis leva la main et toucha son propre visage.
— Ce n'était pas un cauchemar, dit le commandant. Vous avez été gravement brûlé. Un prêtre de Valgrian vous a sauvé la vie.
— L'intendant...
— Marcus, oui.
Le général relâcha sa respiration.
— Vous étiez là, alors.
— Kerun Tervan m'a demandé de venir en renfort. Il voulait neutraliser les Obscurs avec une poignée d'autres. Je ne pense pas qu'il savait que vous seriez là. Je l'ignorais, moi aussi.
Nouveau soupir.
— Tenez, buvez ça.
Le général s'étrangla dans l'infusion préparée par le guérisseur de garde, se redressa un peu plus. Son visage était tiré, ses yeux caves, on devinait un écho de la souffrance qu'il avait endurée plus tôt dans la nuit.
— Les Obscurs ?
— Morts. Comme vos mercenaires, je le crains. Aucun n'a survécu. Étienne est à l'infirmerie, il devrait s'en sortir, mais je ne sais pas dans quel état. J'ai fait appeler Agathe, du Temple de Béal.
Gareth opina lentement du chef.
— Et... Megrall ?
— Megrall est mort. Mais le corps a été remis aux Valgrians. Vous les laisserez lui rendre les honneurs qu'ils estiment nécessaires, sans interférer.
L'elfe pinça les lèvres et prit son courage à deux mains avant que l'officier ne puisse protester.
— Gareth, comment une telle chose a-t-elle pu se produire ? Vous saviez que c'était lui. Depuis le début. Et c'est pour ça que vous n'avez rien dit. Pourquoi ? Expliquez-moi.
Maelwyn parut hésiter puis acquiesça lentement.
— Je l'ai compris dès le sac du temple de Mivei, avoua-t-il. Par des signes, laissés à mon intention. Des objets oubliés derrière. Certaines paroles prononcées par les Obscurs, devant leurs victimes. Des références au feu, tracées sur les murs. Je sais très bien que le corps... Nous n'étions pas sûrs de l'avoir trouvé dans les décombres de cette fichue tour.
— Vous avez juré...
— Je sais ce que j'ai juré. C'était la meilleure chose à faire, il fallait passer à autre chose, cette crise nous avait déjà bouffé des mois entiers ! Juvélys avait besoin... besoin d'aller de l'avant, pas de retourner dans les ténèbres.
Darren secoua la tête.
— Vous ne me dites pas tout, Gareth.
Le général poussa un profond soupir et l'elfe crut qu'il allait s'assoupir. On avait allumé une flambée agréable dans la cheminée voisine, le confort de la chambre invitait au repos.
— Il voulait ma peau, Darren. C'est la raison pour laquelle je n'en ai parlé à personne. C'était entre lui et moi. Il aurait aimé que notre affrontement devienne public... C'était son souhait. M'exposer, m'humilier...
Il l'a fait, mais vous ne vous en êtes pas rendu compte, songea l'elfe, sans rien verbaliser.
— Mais pourquoi ? Vous n'étiez pas amis, c'était notoire mais... En se révélant, il aurait détruit la réputation des Valgrians... pas la vôtre.
Gareth regardait les flammes de l'âtre, désormais. Son visage reflétait une tension ancienne, profonde.
— On a raconté... on a raconté que la tour où il était retenu avait brûlé et c'est la vérité. Mais... ce ne sont pas les Obscurs qui ont torché leur repaire. Nous avons mis le feu à la tour nous-mêmes. Étienne l'a fait, d'un sortilège, sur mon ordre. Nous ne pouvions pas les laisser fuir.
— Vous croyiez que Megrall était mort ?
Le général eut un sourire sans joie.
— Oh non. Non, nous savions très bien qu'il était toujours vivant. Mais que vouliez-vous que nous fassions ? Il était foutu. Les Obscurs étaient retranchés, protégés par des maléfices, ils refusaient de sortir, refusaient de négocier. Et lui... lui, il hurlait comme un cochon qu'on égorge, toute la journée, les hommes devenaient fous, à faire le siège inutile de cette foutue tour, sans pouvoir intervenir... C'est la miséricorde, Darren, qui a guidé notre main. Il ne lui restait que cette porte de sortie, la mort, que ses bourreaux lui refusaient.
L'elfe demeura stupéfait.
— Et vous l'avez brûlé vif ? Avez-vous idée de la souffrance qu'il y a derrière pareille mansuétude ? Ne pouviez-vous pas... confier cette tâche à un agent des services secrets, qui aurait été l'éliminer proprement à défaut de le délivrer ? C'était un prêtre puissant. Libre de ses mouvements, il aurait pu tenir tête à ses adversaires.
— Il avait perdu la foi, Darren. Nous le savions. Il ne restait aucune aura bienveillante dans cette tour. Juste une bande de prêtres maléfiques et un homme agonisant.
— Vous craigniez qu'il se soit déjà tourné vers Tymyr.
— Non. Non, je ne l'aurais jamais imaginé. Qui l'aurait pu ? Si j'avais douté de son allégeance, je me serais assuré qu'il était mort.
L'elfe avait secoué la tête.
— Vous avez tenté d'assassiner Albérich Megrall. Sans les Obscurs, vous l'auriez fait.
— J'ai tenté d'abréger ses souffrances, ce n'est pas la même chose. Il nous fallait éliminer cette engeance démoniaque. Lui... Dans les circonstances, dans son état... Oui, c'était la seule solution.
Darren lâcha un rire sans joie.
— Je n'ai pas l'impression qu'il ait partagé votre point de vue.
Torturé par les Obscurs, trahi par les siens, sans doute sauvé in extremis par un don de vie retors, conféré par l'un de ses bourreaux. Il n'était pas surprenant qu'il ait basculé, ce n'était qu'un être humain.
— Et bien sûr, vous n'avez pas osé dire ce qui s'était réellement passé pour protéger votre place. Vous auriez été suspendu, soumis à enquête, vous n'auriez jamais obtenu le poste de conseiller que vous convoitiez, même blanchi.
Maelwyn eut un geste d'humeur.
— J'étais le mieux placé pour défendre cet endroit ! Et je le reste ! Sans moi, cette ville serait en ruines, vu le nombre de menaces qui planent sur elle en permanence ! Il fallait quelqu'un qui puisse soutenir la reconstruction, quoi qu'il se soit produit !
Vous et personne d'autre, bien sûr, songea Darren, acide.
Le général peinait à reprendre son souffle mais le commandant n'eut aucune envie de l'aider. Cet arrogant personnage avait amené ce désastre sur sa propre tête, et sur la ville. Il fallait juste espérer qu'il en tirerait quelque chose, et rien n'était moins sûr. Mais Darren devait profiter de sa faiblesse et de ce qu'il avait avoué.
— Vous avez de la chance que les Valgrians n'ont sans doute pas plus envie que vous que la vérité se répande. Mais vous allez devoir faire un geste en leur faveur. D'abord, en levant le dispositif que vous avez placé sur leur Temple. Ensuite, en promulguant une amnistie générale. Elle va toucher tous les prêtres, les Flambeaux, la garde... et bien sûr, les services secrets. Je ne parle même pas des Griphéliens.
Une lueur mauvaise s'alluma dans l'œil du général. Pendant une seconde, Darren songea à lui parler de Kerun, de la manière dont il avait été traité en prison, mais il s'abstint. Ils étaient en train de conclure une trêve fragile, et il fallait s'appuyer dessus. Le reste suivrait, en temps utiles. Dans l'immédiat, Juvélys avait besoin de paix, de stabilité, de reprendre son souffle. Jamais le général ne serait réélu, sa carrière de conseiller serait terminée pour l'hiver. Quelques mois. Un délai acceptable pour ses critères d'elfe.
— C'est non-négociable, Gareth. Demain, quand vous serez reposé, je viendrai vous voir et nous conviendrons d'une version acceptable des événements. Nous irons ensuite la présenter à vos co-conseillers, avant de la diffuser.
On frappa à la porte, Darren se leva, traversa la chambre du général et ouvrit. Ermeline s'encadra dans l'embrasure, sans oser entrer.
— Juste pour te dire... que Kerun est arrivé.
— Merci, installe-le bien. Je viens le voir dès que possible.
Elle acquiesça, parut hésiter un instant, puis leva une main qu'elle posa sur l'épaule de l'elfe. Il la regarda, pris au dépourvu, puis la couvrit de la sienne.
— Ce n'était pas raisonnable, le tança-t-elle à mi-voix.
— Je sais.
Puis, sur un sourire doux, elle s'esquiva et il retourna souhaiter une bonne nuit au général.
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