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57. Kerun

Le gosse avait été égorgé, plus proprement que ses camarades, mais il n'était pas pour autant mort sur le coup. L'endroit où on avait jeté son corps n'était pas celui où il avait rencontré son destin, car il n'y avait pratiquement pas de sang. Kerun n'était pas expert en cadavres, et il ne pouvait pas se permettre de toucher, mais il pensait que la mort était récente, peut-être pendant la nuit précédente. Le genre de choses que Dame Gardesylve, la prêtresse hildanne qui travaillait pour la garde, saurait déterminer en un regard.

« Dégueu, hein ? »

Derrière son épaule, le trio de gamins qui l'avaient découvert observait la scène avec intérêt, mi-fascinés, mi-horrifiés.

Les bandes d'enfants et d'adolescents qui trompaient le temps dans les quartiers glauques de la capitale constituaient un réseau d'informateurs souvent très utile, et que Kerun était l'un des seuls à pouvoir exploiter avec efficacité. Sous ses dehors d'adolescent revêche, il pénétrait ces cercles mouvants avec beaucoup plus d'aisance que n'importe quel adulte humain. D'autant que la garde, malgré toute sa bienveillance, était universellement considérée comme l'ennemi.

Kerun connaissait leurs points de ralliement habituels, venait se mêler à eux, écoutait ce qui se racontait, puis prenait la clé des champs en accusant un père sévère de mauvais traitements. Excuse banale, à peine écoutée, qui lui valait des hochements de tête compatissants et, au paternel imaginaire, quelques injures colorées. Le mensonge ne lui coûtait guère : il n'avait aucun souvenir clair de ses parents, seulement des bribes imprécises, qu'il revisitait parfois dans sa transe réparatrice. L'équivalent de réminiscences, parfois de cauchemars, car l'épisode qui avait fait de lui un orphelin était traumatique. Il se félicitait, au final, de n'en avoir presque rien conservé.

Ce matin-là, près de l'ancienne tour du cimetière, on ne parlait que du cadavre, et les trois compères qui l'avaient déniché s'étaient fait un plaisir de le guider jusqu'à la petite impasse où il gisait. Kerun ne pensait pas que son aube de novice mivéan ait été identifiée, mais il devinait que la garde surviendrait tôt ou tard, car la rumeur circulait vite. De sexe masculin, déjà grand, encore imberbe, c'était sans doute le dénommé Flavian, à moins que les Obscurs n'aient passé son uniforme à un étranger, pour le plaisir de mélanger les pistes. Son visage restait identifiable pour qui l'avait connu, le mystère serait vite résolu.

Un des gamins le frôla et vint pousser le corps à l'aide d'un bout de bois, chassant les mouches déjà affairées.

« Tu d'vrais pas faire ça, lui lâcha son comparse. La garde aime pas qu'on chipote les crevés.

— La garde l'saura pas, dit l'autre.

— Tu l'connais ? demanda le troisième, à l'intention de l'adolescent curieux.

— Non, répondit Kerun. J'le connais pas. »

Celui qui le poussait de son bâton lui dégagea une main, qui roula, inerte dans la boue grise.

« Y'a un truc dans ses doigts ! s'exclama un des gosses.

— Ouais ! Un message ! C'est un message ! » renchérit le second.

Le troisième avait fait un pas en arrière.

« Faut pas toucher ! On va zavoir des ennuis. »

Il y avait peu de chance que les gosses soient suspectés de quoi que ce soit, mais certains gardes avaient la main lourde avec ces malheureux, et Kerun comprenait son inquiétude. En même temps, l'occasion était trop belle.

« Si tu jettes un oeil et qu'tu l'remets ensuite, y'a pas de risques. »

Un petit mensonge pour le plus grand bien, songea-t-il.

La parole de l'aîné fit mouche. Le premier gosse bloqua le poignet du mort de son bâton, comme s'il craignait un coup fourré, tandis que le second se penchait, dégoûté, sur les doigts crispés. Le morceau de parchemin coulissa facilement et Kerun eut la conviction qu'on l'avait placé là après la mort du novice.

Les deux enfants se penchèrent sur le carré beige, les yeux plissés.

« Ça dit quoi ? demanda le troisième, qui n'osait pas les rejoindre.

— J'sais pas bien lire... c'est des lettres tout attachées... Ça dit... J'sais pas. » murmura le premier, vaguement honteux.

L'autre avait sorti la langue.

« Q... qui v... vo ? vas ! Qui vas-tu... »

Il haussa les épaules et présenta le parchemin à Kerun.

« Tu sais lire, toi ? »

Qui vas-tu accuser la prochaine fois ? Les Esprins ? Les Rhyvans ? Ou bien seras-tu capable d'affronter les ténèbres en ton sein ? Quand le feu est éteint, la Nuit règne à nouveau, même l'amour n'y peut rien. Mais tu sais ça très bien. »

Kerun demeura muet.

« C't'une écriture trop bizarre... » déclara-t-il finalement avec dédain.

Leur livrer la vérité était impossible. Et s'il transformait le message, les gosses relaieraient un mensonge aux quatre coins de la ville, avec des répercussions imprévisibles.

« T'es trop bête. » siffla le premier gamin.

L'elfe haussa les épaules, revêche.

« T'es pas mieux. »

Il se leva. Le contenu de la courte missive lui donnait le tournis. Quelqu'un, parmi les Obscurs, s'adressait directement au général Maelwyn, se gaussant de sa rafle des Griphéliens. Mais on parlait de flammes — il n'y avait pas de Temple de Fjann à Juvélys — et d'amour. Un mauvais pressentiment le saisit.

« Vaut mieux remettre ça où tu l'as pris. » lâcha-t-il.

Puis, sans attendre, il fit volte-face et s'en fut, mains dans les poches, d'abord d'un pas tranquille, puis rapide. Le Temple d'Hime était de l'autre côté de la ville, mais s'il se mettait à courir, il risquait d'attirer l'attention. A bien y réfléchir, la menace était étrange : tout le monde savait que les Fervents de l'Amour avaient quitté la ville l'avant-veille, prétextant une cérémonie d'importance à Belhime pour aller se mettre en sécurité.

Les vêtements trop grands, froissés et puants de Martin sur les épaules, Kerun se sentait tout à fait tranquille dans les rues humides des bas quartiers, sa mine révélant qu'il était inutile de l'importuner. Les choses seraient un peu plus compliquées lorsqu'il arriverait dans les avenues bordées d'élégantes villas et de jardinets bien entretenus. Les milices privées qu'employaient bourgeois et nobles darderaient des regards meurtriers sur sa carcasse débraillée et plus aucun de ses faits et gestes ne passerait inaperçu. Il n'avait pas le choix, il devait passer par les égouts, une fois de plus.

Les accès étaient nombreux mais la plupart étaient impraticables. Kerun en utilisait régulièrement une douzaine, disséminés ça et là dans la capitale, et en connaissait une douzaine de plus. Il y en avait bien sûr sous le Temple d'Hime — dont les serviteurs aimaient particulièrement les bains — sans doute protégés par des barrières magiques récentes. Mais le propre d'un espion était de pouvoir se glisser n'importe où, et surtout là où il était malvenu. Kerun ne doutait pas de parvenir à entrer.

Tout en cheminant sous la ville, Kerun retourna le message des Obscurs dans sa tête. Ils s'adressaient à Maelwyn directement, parlaient de ténèbres en son sein. Cela signifiait-il que le groupuscule était juvélien ? Ou, pire, issu des rangs de l'armée ? Ramené de Jasarin, où leurs soldats avaient été en contact avec l'ennemi, sur les champs de bataille, dans les camps de prisonniers, au coeur même des villages et des campagnes soumises à ces luttes meurtrières ?

En refusant de livrer les listes des disparus et des pertes aux services secrets, le général empêchait tout travail de recherche et de mémoire. On savait qui était parti, mais pas qui était rentré et dans quel état. On ne savait pas non plus si ceux qui étaient restés là-bas avaient trouvé la mort, pris la fuite ou été capturés. On ne savait pas qui avait trépassé l'arme à la main sur le champ de bataille, qui avait été exécuté pour désertion, qui avait succombé à la maladie ou à un accident stupide... On ne savait rien. On ne savait pas si certains avaient pu retourner leur veste et embrasser les thèses sinistres de Jadon Deach'unben, le jeune Empereur qui entendait gouverner le monde. Si certains s'étaient livrés à l'Obscurité, de leur plein gré ou sous la torture.

Kerun n'était pas vraiment en charge de ces questions : il supervisait la diaspora griphélienne à Juvélys, mais pas les retours de guerre, qui étaient sous la houlette d'August. Mais ce dernier était un abruti, et, en gardant l'oeil sur les Griphéliens, l'équipe de Kerun avait repéré plusieurs anciens soldats juvéliens qui venaient se mêler aux réfugiés. Certains étaient revanchards et il avait fallu prévenir la garde. D'autres semblaient rechercher l'atmosphère, la nourriture, la musique ou l'alcool... et ceux-là étaient les plus inquiétants.

Mais l'elfe devait compter sur la reconstruction de son réseau, Martin et Iris, et d'autres, qu'il espérait parvenir à reconquérir en les assurant de sa bonne foi. Six d'entre eux étaient sur le Cageot, malheureusement, et il avait dû faire des choix difficiles.

Mais peut-être les Obscurs ne visaient-ils que la noirceur de l'âme de Maelwyn, sa propension à semer le discorde partout où il se déplaçait. Car son attitude servait l'agenda des cultistes, immanquablement : il écartait les uns, insultait les autres, méprisait les troisièmes, préférant faire cavalier seul contre l'ennemi à la place de se servir des nombreux atouts dans sa main : la garde, les prêtres, et bien sûr, les services secrets.

Kerun n'avait rien appris d'utile sur les mercenaires. Ils avaient servi en Jasarin. Ils ne se réclamaient d'aucune obédience, leur loyauté allait à celui qui tenait les cordons de la bourse. En cela, il fallait espérer que les Obscurs n'avaient pas d'argent.

Parvenu à bon port, il remisa ces pensées assassines. Maelwyn avait beaucoup de défauts, mais c'était un homme intègre et, malgré sa stupidité abyssale, il avait le bien de Juvélys à coeur. Non. Il n'avait pas de coeur, seulement un esprit sec. Il avait abandonné son fils aux Griphéliens pendant la guerre. Pragmatique mais monstrueux. Kerun savait qu'il fallait se salir les mains, pour protéger les idéaux juvéliens, mais il y avait des limites.

Pourquoi diable se servait-il d'étrangers ?

L'espion choisit le plus large des puits d'écoulement, qui débouchait sous la salle attenante au grand bassin. Le système pour chauffer l'eau était complexe, composé d'une tuyauterie qui courait sous le dallage, et qui était alimentée à la fois par des fours et en même temps par une ancienne magie. Beaucoup d'autres temples avaient tenté de le copier, mais les Himéites maîtrisaient leurs bains à la perfection.

Kerun remonta à la surface, débloqua la bonde, et se hissa dans la pièce enténébrée. Un léger scintillement brilla sur ses vêtements, signe qu'il franchissait la barrière d'un sortilège, mais il n'en ressentit pas les effets. La plupart du temps, ces sceaux se basaient sur la noirceur de l'âme ou des intentions pour bloquer le passage des importuns, mais Kerun venait en paix.

Il quitta la petite salle encombrée de serviettes repliées, de flacons d'huile parfumée et de savons empilés par blocs, et sortit dans le couloir.

Le Temple d'Hime se déployait sur deux étages et quelques caves. Sa belle hauteur tenait surtout à quelques salles démesurées, comme le hall principal, la chapelle, le grand salon ou l'atelier de Soren. Les couloirs étaient en revanche étroits, bas de plafond et capitonnés de tapis et de voiles, comme les veines d'un organisme ou les tunnels d'une taupe. Chaque chambre disposait d'un escalier menant dans une seconde pièce, à l'étage, ce qui permettait aux prêtres de diviser leurs activités, car ils recevaient les fidèles chez eux, « dans leur coeur » selon l'expression consacrée.

Debout dans cet univers rouge et feutré, Kerun hésita un moment. Il était encore tôt et les Himéites étaient célèbres pour leurs grasses matinées, mais l'elfe savait qu'ils étaient partis à Belhime. Il était venu jusque là à cause de ces quelques mots tracés d'une plume élégante : même l'amour n'y peut rien.

Cela pouvait vouloir dire tout autre chose, mais parler d'amour à Maelwyn semblait étrange. Son fils unique était mort, son épouse et lui n'avaient que des contacts sporadiques : Flavie Maelwyn vivait dans une cité balnéaire sur la côte sud-ouest, à deux jours de chevauchée de Juvélys. Kerun ne pensait pas que le général aurait versé une larme sur sa disparition, même s'il l'aurait certainement pris comme un affront. Mais il y avait en permanence un service de sécurité autour de leur petit manoir de famille, s'il était arrivé quelque chose à Flavie, ils le sauraient bien assez tôt.

Non. Après le Destin et la Vie, l'Amour du message devait être le temple d'Hime.

L'elfe se dirigea vers le hall, cadre des rassemblements, tout en tendant l'oreille. Le silence était profond, les lieux étaient vides, on n'entendait que le bruissement de la ville, au-dehors, distant. Parfois les trilles d'un oiseau de l'autre côté d'une fenêtre, chantant l'amour à ses congénères, comme un pied de nez aux êtres humains qui avaient fui.

Les Himéites avaient pris des risques, en détalant vers le sud. Qui croyait à leur excuse d'une cérémonie indispensable ? Ils avaient eu peur. Difficile de les blamer, mais dans le même temps... La ville bruissait de rumeurs effrayantes et leur défection faisait sûrement jaser. L'Echo Juvélien allait sûrement sortir dans la journée. La garde avait fait une courte déclaration la veille, à la fois vide et rassurante, et le conseil en avait prévu une dans la matinée, si Maelwyn n'y coupait pas court. De toute façon, ce serait trop tard pour empêcher le journal de circuler. Grâce à un système d'enseignement assez populaire, de nombreux Juvéliens savaient lire, et les autres connaissaient toujours quelqu'un qui pourrait leur résumer les informations d'importance.

Il s'immobilisa au carrefour de deux couloirs.

Le Temple d'Hime baignait toujours dans les parfums les plus capiteux et Kerun se félicitait d'avoir un odorat que les égouts avaient petit à petit émoussé, rendant l'errance supportable. Mais au-delà des senteurs florales, épicées et autres patchoulis, il lui sembla détecter autre chose, des effluves familières, qui lui hérissèrent les cheveux de la nuque. Il prit une profonde inspiration, tourna à droite, remonta le conduit velouté d'un pas plus rapide. Sous son identité adolescente, il ne pouvait guère ceindre son épée, mais il dégagea la dague qu'il gardait sous sa veste, et la dégaina par prudence. Il s'immobilisa un peu plus loin, à la faveur d'une alcôve aux coussins de soie.

L'odeur était plus forte, épanouie et synonyme de violence. Du sang répandu, en quantités notables. Toujours pas le moindre bruit. Se hâter était inutile, mais pourquoi tergiverser ?

La porte de l'atelier du sculpteur était verrouillée, et Kerun s'agenouilla pour la débloquer, d'une torsion rapide du poignet, avant de la pousser. Le spectacle qui se révéla sous ses yeux était à la hauteur de l'artiste, écarlate et tapageur. 

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