TW : De la violence et des propos peu agréables...

L'homme était nu. C'était sa marque de fabrique, une excentricité d'artiste, une manière très himéite d'attirer l'attention, de choquer, de marquer les esprits.

Vanité.

Il était beau, bien sûr. Aux dires des dames, sur les marchés et dans les tavernes, un des hommes les plus séduisants de Juvélys, si pas de l'île tout entière. La plupart des personnes qui l'affirmaient ne l'avaient en réalité jamais vu, mais elles n'étaient sans doute pas loin de la vérité.

A présent qu'il était à genoux, en sang, maintenu par la poigne rude de deux de ses agresseurs, il conservait sa défiance proverbiale, ses yeux vert prairie brillant de rage dans un visage tuméfié. La suite du plan consistait à l'égorger et le démembrer, puis à disperser les morceaux de sa carcasse partout dans le Temple de l'Amour. Sa tête irait ensuite sur les grilles de l'enceinte au dehors, histoire d'inciter les promeneurs à venir admirer son ultime oeuvre d'art.

« Je le veux. »

Le Dieu Retors jeta un oeil derrière son épaule et croisa le regard pétillant de Noir Dessein. Ce dernier lui décocha un sourire carnassier qui le mit aussitôt mal à l'aise. Il contint un frisson de dégoût, un frisson de terreur.

« Je le veux. Pour moi. Il me plait. Je peux lui faire mal.

— Ce n'est pas ce qui a été convenu.

— On s'en fiche. On peut faire autrement. »

Noir Dessein frôla le Dieu Retors pour rejoindre le condamné. Il s'accroupit devant lui et lui releva le menton de ses doigts fins. Le Dieu Retors vit l'étincelle de fureur qui traversa le regard de l'Himéite, en écho de ce qu'il avait lui-même ressenti autrefois.

Oh oui, Noir Dessein pouvait lui faire du mal. Un mal intense, absolu, qui lui dévorerait l'âme jusqu'à ce qu'il perde toute notion de lui-même.

L'artiste prétentieux, le chouchou des esthètes juvéliens, le génie hautain à qui tout a toujours réussi.

Noir Dessein s'était relevé pour venir faire face à son acolyte. Le sourire mutin, il lécha un à un ses doigts tachés du sang de leur prisonnier.

« Imagine l'impact, s'il se volatilise. Avec le foutoir laissé derrière... tout ce sang... Quelques statues en miettes... Si nous le tuons... Il s'en tire à bon compte. Si nous l'enlevons... Toute cette incertitude... Penses-y. »

Le Dieu Retors pinça les lèvres.

Mourir était la solution la plus douce. Souffrir encore un peu, puis la nuit éternelle, le soulagement ultime.

Noir Dessein avait raison.

Au-dessus de l'épaule du Casinite, il croisa le regard du prisonnier. Soren le dévisagea avec morgue, nullement impressionné. Le Dieu Retors chercha en lui-même une étincelle de compassion. Il savait très bien ce qui attendait l'Himéite, s'il le livrait à Noir Dessein. Il devinait la stupeur, les cris, le déchirement, la haine et puis l'effondrement.

Le mal.

Comment pouvait-on souhaiter pareil calvaire à quiconque ?

Il se demanda si le sculpteur avait la mâchoire brisée pour garder ainsi le silence.

Son corps parfait, soumis au pire.

Oui, il comprenait le désir de Noir Dessein, et sa nécessité.

« Très bien, trancha-t-il. Saigne-le jusqu'à la limite. »

Le Casinite trépigna comme un enfant à qui on a promis une douceur. L'Himéite ne broncha pas, peut-être inconscient de ce qui venait de se jouer, peut-être abruti par l'horreur.

Il ne tressaillit qu'au moment où les derniers membres de leur escouade fracassèrent plusieurs de ses oeuvres à grands coups de masse. Mais son outrage fut de courte durée car il perdit bientôt connaissance, exsangue, entre les bras de ses bourreaux. Le pire n'avait pas encore commencé.