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43. Kerun

Ils étaient cinq. Quatre humains, un néjo. Deux femmes pour trois hommes. Leur cheffe, une grande brune au visage sombre, donnait ses ordres avec un accent de la région occidentale du Continent, parsemé de mots en brudeil, ce jargon guerrier qu'affectionnaient les fervents de Rhyfel. Pour avoir trouvé grâce aux yeux de Maelwyn, cette bande devait certainement vénérer la guerre avant la lumière, mais Kerun suspectait que, comme la plupart des mercenaires, leur dévotion allait d'abord à celui qui les payait, quels que soient leurs élans par ailleurs.

Leur présence dans les égouts n'était pas une surprise : leur débarquement chez les Béalites avait annoncé la couleur, et l'elfe n'avait pas dû creuser longtemps pour apprendre que Maelwyn s'était recruté une petite équipe de spécialistes. D'après Rutger, qui avait suivi la guerre en Jasarin, ces mercenaires avaient déjà servi sous ses ordres pendant les hostilités contre Griphel. Et Kerun savait exactement pourquoi le général recourait à ce genre de personnes : parce qu'elles piétinaient les idéaux juvéliens sans arrière-pensée.

Jusqu'où pouvait-on se salir les mains pour la bonne cause ? C'était un sujet de débat permanent, dans leurs services. Mentir, tricher, trahir, camoufler, transformer, manipuler, séduire. Les agents devaient s'y plier, chaque jour, par essence. Ils pouvaient se reposer sur la certitude qu'ils le faisaient pour le plus grand bien. Les seniors surveillaient les initiatives et leur éthique, interdisaient certaines extrémités, dédouanaient les inquiets de la morale. On avait placé des garde-fous, mais les limites étaient parfois floues. Certains agents avaient des doubles-vies complexes, depuis de longues années, et leur insertion dans la société civile était profonde, indissociable de leur identité, raison pour laquelle les taupes étaient encouragées dans la plupart des missions de surveillance.

S'immiscer en catimini dans la vie d'autrui, dans sa maison, parfois dans son lit.

Torturer l'agent ennemi pour lui soutirer des informations critiques.

Emprisonner, intimider, contraindre.

Assassiner.

Kerun avait plus de sang sur les mains que la totalité de ses collègues. Il avait été formé très jeune à l'art d'ôter une vie, et sa longévité exceptionnelle l'avait amené à tuer de nombreuses fois. C'était une activité dont il s'acquittait quand nécessaire, sans plaisir mais sans tergiverser.

Si Maelwyn avait bien voulu faire appel à leurs services, autrefois, Kerun aurait accompagné les soldats jusqu'à la Tour où était retenu Albérich Megrall. Il aurait tranché la gorge de chacun des Obscurs pour sauver le Flamboyant des Valgrians, sauf du dernier, idéalement leur chef, pour pouvoir l'interroger. Mais voilà, le général avait préféré garder les services secrets sur la touche. L'histoire se répétait. Kerun ne le permettrait pas, quels que soient les ordres.

Les Obscurs n'étaient pas dans les égouts, les mercenaires perdaient leur temps. Mais ils n'étaient pas non plus dans la petite baraque où ils s'étaient réfugiés après avoir perpétré leur massacre. Le jeune Sam avait pris des risques inconsidérés en les pistant en pleine nuit, le Jour Humide, de surcroît. Kerun aurait dû en avertir sa mère, Melantheria, mais le prochain jour gris n'aurait lieu que dans trois mois et il avait d'autres priorités. Il fallait espérer que le gamin en reste là.

Après un ratissage sommaire des lieux, il avait transmis ses informations à la garde, par des canaux confidentiels qui atteindraient les personnes adéquates. Il avait laissé les maigres indices sur place, des vestiges de vêtements carbonisés dans un âtre éteint, quelques traces de pas, le silence. Pas de cadavre, c'était déjà ça. Une vague odeur de spores fuligineuses, signe qu'ils avaient probablement drogué la gamine, et une autre, de sang cuit, qui trahissait l'état des étoffes qu'on avait brûlées. Rien de surprenant. Les intrus étaient ressortis dans la rue, mais Sam n'avait plus été là pour le voir. Interroger les gens aux alentours était une possibilité, quelqu'un avait pu voir quelque chose, mais les Obscurs avaient bien choisi leur moment et les chances étaient maigres. Tout ça, de toute façon, n'était pas du ressort de l'elfe.

Il avait regagné les égouts pour rentrer au quartier général, où il devait rencontrer trois collègues pour la gestion de trois dossiers différents avant de, peut-être, pouvoir ressortir. Ses deux Griphéliens étaient dans la nature, et il ne devait pas les revoir avant le surlendemain, les choses se mettaient doucement en place. Il restait persuadé que les Obscurs allaient recruter. S'ils voulaient s'en prendre aux Valgrians, c'était inévitable, et ils se nourrissaient de la méfiance et des envies de vengeance. Maelwyn, dans sa grande stupidité, leur avait livré toute une communauté sur un plateau.

C'est en remontant vers le quartier nord qu'il avait entendu du mouvement, dans un couloir latéral, repiquant vers l'est. Des voix qui échangeaient sans grand souci d'être entendues. Sa curiosité piquée, il avait modifié ses plans sans y réfléchir plus d'un battement de coeur.

Les égouts étaient généralement fréquentés par trois types de personnes. Les agents du renseignement s'en servaient pour entrer et sortir de leur siège sans être vus et se déplacer sous la ville quand ils n'adoptaient pas des identités parallèles. Il existait aussi un maigre service d'entretien qui nettoyait les conduits, sporadiquement, et surtout sous les beaux quartiers et les bâtiments gouvernementaux. Mal rémunéré et répugnant, ce n'était pas un métier qui attirait les foules. Avec le manque de main d'oeuvre généralisé des dernières années, trouver des volontaires était devenu compliqué, d'autant que les émanations de la fange juvélienne étaient parfois toxiques. Mais quelques braves s'efforçaient, de temps à autre, de dégager le pire, avec l'aide d'un ou deux prêtres de Cefnor pour passer le tout aux grandes eaux. Et puis évidemment, des tas de bandes criminelles diverses descendaient dans les sous-sols, pour s'y replier, s'y rencontrer, s'y établir. Trafiquants, receleurs, petits gangs avides de querelles, organisateurs de combats illégaux, contrebandiers, ils profitaient du réseau de tunnels pour vaquer à leurs affaires sinistres à l'abri des regards.

L'usage des lieux était d'autant plus attrayant que Juvélys avait été construite sur une cité plus ancienne, qui avait elle-même profité de l'existence d'un réseau de grottes naturelles qui s'étendait loin sous terre, jusqu'en dehors de la cité. Les services secrets avaient longtemps disposé d'un expert, un elfain passionné par la question, mais il avait été assassiné pendant les purges, et une grande partie de son savoir s'était perdue. Il restait quelques cartes incomplètes, quelques textes descriptifs incomplets, mais Kerun savait que bien des méandres enfouis restaient inexplorés.

Quant aux groupes peu recommandables qui traînaient sous terre, les services secrets et la garde se relayaient pour contrôler leurs activités. Quelques agents étaient infiltrés dans les grosses organisations difficiles à décapiter proprement, et d'autres renseignaient leurs homologues de la surface sur les déplacements souterrains, de manière à intercepter les mauvaises initiatives avant qu'elles ne fleurissent. Mais le terrain à couvrir était immense, les ressources limitées, et personne n'imaginait qu'il soit possible de juguler l'intégralité des pensées illicites de la capitale. C'était plutôt une gestion qu'une tentative d'éradication.

Par acquis de conscience, Kerun avait donc décidé d'aller à la source de ce boucan inopiné, et c'est ainsi qu'il était tombé sur le groupe des mercenaires de Maelwyn, traçant leur chemin bruyant dans les émanations oubliées de la ville. Il les avait aussitôt pris en chasse, curieux de leur destination.

Ils semblaient remonter la piste laissée par les Obscurs lorsqu'ils avaient quitté le Temple de Béal, sans se soucier d'être entendus. Traquer quelqu'un avec autant de vacarme était une technique originale, mais Kerun les suspectait de n'avoir aucune intention de parvenir à leurs fins. Peut-être savaient-ils déjà que les traces laissées par les meurtriers ne menaient à rien et cherchaient-ils autre chose. A l'avant du groupe, leur cheffe marchait en compagnie d'un homme menu et encagoulé, qui de temps en temps laissait fuser des flammèches violacées entre ses doigts. Derrière eux, un homme et une femme de taille moyenne, dans des armures entrelacées de cuir et de métal, devisaient tranquillement, comme s'ils se promenaient sur la plage. A l'arrière, le néjonian était à l'affut, peut-être le seul d'entre eux qui mesurait les risques à arpenter ces lieux de perdition.

Comme tous les membres de sa race, celui-ci arborait une peau blafarde, de larges yeux qui reflétaient la lumière, et un faciès très mobile au nez busqué. A peine plus grand que l'elfe, il était plus massif et l'arrière de sa veste sombre était déformé par sa queue, un appendice vestigial d'à peine quelques pouces.

De temps en temps, il s'immobilisait et faisait volte face, scrutant les ténèbres, narines dilatées, oreilles tendues. Son engeance jouissait de sens extrêmement affutés, surtout l'ouïe et l'odorat, mais dans les égouts, les mille effluves de la fange devaient fortement le handicaper. Le raffut de ses compagnons faisait le reste. Kerun savait que les suivre était risqué, mais il se sentait protégé, dans un environnement qu'il arpentait depuis plusieurs décennies.

Ils se dirigeaient vers le nord-ouest et l'un des passages principaux sous les murailles, qui menait dans les falaises septentrionales. Sa position était secrète, dissimulée sous une gangue complexe de sortilèges, et il était impossible de le découvrir par hasard. Pourtant, manifestement, ces mercenaires savaient où ils allaient. Le passage n'était bien sûr pas la chasse réservée des services secrets, mais que le général Maelwyn ait pu en donner l'accès à des étrangers était difficile à avaler. Kerun ne comprenait pas quelle en aurait été la justification. Veillant à leur laisser une saine avance, il poursuivit sa filature.

Au moment où il franchissait le coin du couloir suivant, pas à pas dans l'ombre, il y eut un mouvement sur sa gauche. Une poigne puissante le saisit droit à la gorge et le plaqua contre le mur, envoyant son crâne claquer contre la pierre moussue. D'un réflexe surentraîné, l'elfe saisit le poignet qui l'étranglait, y prit appui et remonta un genou pointu dans l'abdomen de l'agresseur. Ce dernier lâcha dans un grognement de douleur, tandis qu'en deux bonds, le souffle court, Kerun reprenait ses distances. Il se massa la trachée tout en jaugeant l'adversaire. C'était, il s'en était douté, le néjonian.

Celui-ci ouvrit grand les narines pour se gorger de son odeur. Malgré les effluves putrides des égouts, il l'avait parfaitement décelé et son déguisement d'humain, bien sûr, ne l'abusait en rien. Une langue vive passa sur ses crocs, puis sur ses lèvres.

« Ça ne se fait pas, de suivre les gens, mon joli, tu pourrais t'attirer des ennuis... » siffla le néjo.

Malgré les toises qui les séparaient, l'elfe demeura sur ses gardes. Bien qu'il en ait rencontré très peu au cours de sa carrière, il n'ignorait rien de la célérité de ces créatures. Celui-là était jeune et vigoureux, une brute en puissance, manifestement peu désireux de tempérer les racontars sordides qui circulaient à propos des membres de sa race.

Kerun savait qu'il aurait dû filer sans demander son reste. Le néjonian esquissa un sourire, qui métamorphosa complètement sa physionomie, creusant ses orbites, accusant l'arc de sa mâchoire, comme s'il se muait en fauve. L'elfe recula d'un pas prudent. Même s'il doutait que l'autre puisse le rattraper sur ce terrain qu'il connaissait comme sa poche, on n'était jamais à l'abri d'une mauvaise surprise. La magie néjo était particulièrement efficace sur les elfes, et Kerun ne savait rien de son adversaire.

« Théo ! appela la voix de la cheffe mercenaire, depuis le fond du conduit.

— Une seconde. Je fais connaissance ! » répondit le néjo, agacé.

La lanterne de son groupe s'était immobilisée dans les ténèbres.

« Rentre chez toi. » siffla ensuite le dénommé Théo.

Kerun le jaugea sans bouger.

« Je suis chez moi, lâcha-t-il finalement. C'est vous qui en êtes loin. »

Le néjo rit doucement.

« Tôt ou tard, tu seras remis à ta juste place, petit. Et si tu veux que je m'en charge... Je ne demande pas mieux. »

Un frisson saisit l'elfe comme il devinait ce que le néjo sous-entendait. Selon ces monstres, les elfes avaient été domestiqués par leur peuple des millénaires plus tôt, arrachés à une vie simple et animale, élevés, éduqués, introduits à l'intelligence et à la civilisation... en échange de leur corps. Les néjos protégeaient les elfes et les dévoraient. Ils étaient leurs maîtres, les elfes leur bétail reconnaissant. Jusqu'à la prétendue révolte, trois mille ans plus tôt, quand les elfes s'étaient arrachés à leur servitude immonde et avaient revendiqué leur liberté. Les néjos étaient devenus l'ennemi à abattre et c'est ce qui s'était produit : les elfes avaient massacré leurs prédateurs, dans une tentative de les exterminer.

Évidemment, chaque peuple avait son récit. Les néjos s'estimaient lésés par des créatures qui leur étaient naturellement inférieures et qui n'auraient même pas existé sans leur aide. Les elfes racontaient la sordide histoire d'un asservissement répugnant, d'une culture piétinée par la faim dévorante de bêtes sanguinaires. Le résultat avait été la quasi éradication des néjos, seule solution viable pour les elfes. Les néjos survivants s'étaient repliés sous terre et adaptés à une vie secrète, organisée autour d'un autrefois béni et d'une haine des anciens esclaves.

Mais certaines communautés néjos possédaient toujours des elfes asservis, notamment en Jasarin. Griphel autorisait le commerce de toutes les races, après tout. Rhyvan avait réglé le problème autrement : les elfes qui le désiraient pouvaient vendre leurs ressources — principalement du sang, du sperme, de la salive, des cheveux — aux néjos. Toutes ces pratiques étaient interdites en Tyrgria. Il n'y avait d'ailleurs aucune communauté néjo et les quelques specimens de cette race qui y vivaient se nourrissaient comme les humains. Comme ils auraient tous pu le faire, en réalité, s'ils n'avaient pas vécu dans un délire mystique autour des prétendues vertus du corps des elfes.

Kerun n'y entendait pas grand chose. Il avait grandi parmi les humains et personne, jamais, ne l'avait mis en garde contre les néjos. Ils étaient une menace distante, mythique, sur laquelle il s'était renseigné par acquis de conscience, comme on se documente sur les dragons, les centaures ou les spectres. Que cet individu puisse le menacer, à Juvélys, en Tyrgria, était tout simplement inimaginable.

A nouveau, la langue du néjo vint caresser ses lèvres, gourmande, et il porta la main à sa ceinture et à la dague qui y pendait.

Kerun s'esquiva dans le noir. En quelques pas, un saut, il fut hors d'atteinte, et le coeur battant, il fila dans les couloirs.

Il ne s'arrêta que bien plus loin, hors d'haleine et furieux de s'être laissé impressionner sur son propre terrain. Il était conscient qu'il y avait là quelque chose d'instinctif, une défiance atavique, contre laquelle il était difficile de lutter. Ils étaient des ennemis naturels, depuis des temps immémoriaux.

Mais Kerun refusait d'être le lapin qui cède devant le renard. Il était chez lui. Ce combat était le sien. C'était cette ordure qui n'avait rien à faire dans les égouts juvéliens.

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