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28. Martin

Un vent glacé soufflait, agitant la passerelle. Martin s'immobilisa pourtant à mi-parcours, mains fermement agrippées à la rambarde et huma l'air marin. Il n'était pas encore certain qu'il obéirait au capitaine Valtameri, pas encore certain qu'il quitterait la ville. Il était à nouveau libre d'aller exactement où il le désirait. Pourquoi il avait opté pour rester, il n'était pas complètement certain de le savoir. Peut-être pour soulager le Primitif, qui avait l'air d'estimer lui devoir cette libération inespérée. Soulager les gens, n'était-ce pas son métier, en quelque sorte ? Il ne l'avait jamais vu comme ça, de leur point de vue. Toujours du sien. Sueur, sperme et larmes.

Il se reprit, termina de descendre à terre et entreprit de traverser la rade endormie. Valtameri lui avait donné des vêtements et expliqué comment franchir les contrôles, avec aplomb, un mot de passe en cas de doute. Quelques toises plus loin, il se figea. Quelqu'un venait vers le Cageot. Un réflexe de fuyard l'envoya derrière une pile de caisses et il s'y appuya, le cœur battant. Il aurait sans doute pu passer à côté du visiteur en murmurant des salutations, matelot en permission gagnant la chaleur de la cité. Mais il ne le sentait pas, pas encore. Les pas le frôlèrent, une battue empressée, presque silencieuse. Au-dessus de sa tête, le ciel était lumineux d'étoiles.

La curiosité tue le chat, songea Martin, tout en se redressant légèrement pour jeter un œil vers la passerelle.

L'homme ne s'arrêta pas, grimpa lestement jusqu'au pont du navire, d'un pas assuré malgré la houle. Martin n'en vit que le capuchon, la courbe des épaules, la stature, une ombre caressée par les rayons dorés des torches, et pourtant, il fut aussitôt convaincu qu'il s'agissait de Kerun.

Il ne put s'empêcher de sourire. Si l'agent venait pour le récupérer, il en serait pour ses frais. Valtameri devrait rapidement trouver une explication convaincante, à moins qu'il ne joue franc jeu. Les Primitifs étaient des êtres étranges, imprévisibles, difficile d'anticiper la manière dont il gérerait la situation.

Mais ce n'était plus le problème de Martin : il allait prendre la tangente dans les ruelles du port et décider tranquillement du futur.

Quelque chose le retint, pourtant. Il n'était pas certain que c'était vraiment l'agent qui était monté à bord. C'était une intuition, mais il y avait d'autres elfes à Juvélys, et sans doute avaient-ils tous le même genre de démarche leste. Et puis même si c'était Kerun — cela aurait eu du sens, vu l'endroit où il s'était rendu — peut-être n'était-il absolument pas venu pour lui.

Cette pensée emplit le Griphélien d'une sorte de déception aux allures de jalousie. Il se morigéna, s'enjoignit à filer, mais il avait une part de fierté, et toujours cette curiosité qui l'encourageait à rester et attendre. Juste voir son visage suffirait. S'assurer que c'était lui. Surprendre l'expression sur ses traits. Après, il s'éclipserait discrètement. Mais il faisait froid, derrière les caisses. Et Kerun avait peut-être beaucoup de Griphéliens à interroger.

Martin se recroquevilla, replia les genoux contre sa poitrine. Ce n'était pas la première fois qu'il était glacé jusqu'aux os. Il y avait eu des moments, dans les grottes de Mullin, où le gel s'était immiscé jusqu'à son âme. Et pourtant il avait survécu. Ce ne serait pas une petite heure de nuit printanière dans le port de Juvélys qui le tuerait.

Pour passer le temps, il imagina la scène entre Kerun et Valtameri, quand l'elfe apprendrait que le capitaine avait « perdu » le prostitué. Que dirait le capitaine ? Qu'il n'était jamais monté à bord ? Qu'il ne voyait pas de qui il parlait ? Ou annoncerait-il qu'il l'avait laissé partir ? Une partie de lui regrettait de ne pas être resté. Il aurait pris un plaisir immense à décrire à l'elfe les mauvais traitements auxquels il avait été soumis à cause de son excellente idée de venir l'enlever à son bordel. Evidemment, rien ne disait que les hommes de Maelwyn ne seraient pas venus l'y cueillir... et ils l'auraient certainement fait avec un certain sens du spectacle.

De la musique venait jusqu'à lui par moments, au gré des rafales de vent s'échappant des rues. Le quartier du port ne dormait jamais vraiment, même s'il était beaucoup plus tranquille que son pendant griphélien. Même dans l'ivresse, les Juvéliens avaient une certaine... retenue. Ils braillaient, se bagarraient, les prostituées étalaient leurs charmes, mais c'était différent. Moins violent, moins glauque. Davantage comme une sorte de festival outrancier, drôle plutôt qu'inquiétant. Même si, cette nuit-là, avec le Jour Humide sur le point de commencer, tout serait silencieux dans quelques heures.

Une part de lui avait envie de rejoindre la fête, de s'y mêler, puis de s'y offrir. Quatre jours qu'il n'avait couché avec personne, des petites vacances, mais rien de comparable avec les mois d'abstinence que sa capture sur Mullin lui avait imposés. Il songea à sa chambrette, à la Demeure des Soupirs. A ses clients réguliers : le clerc de Béal empressé, le tailleur officiel de l'Académie du Flux, ce jeune avocat marié et mortifié, l'archer qui y dépensait toute sa paie.

Il frissonna.

Pourquoi Kerun était-il venu le chercher au bordel ? Bien sûr, il était en fuite : les gens de la ferme l'avaient fatalement dénoncé, malgré leur bienveillance, mais était-ce une raison pour venir le cueillir lui-même ? Il s'était déplacé, il l'avait enfermé dans un endroit spacieux, éclairé, un véritable lieu de vie. Cela devait avoir un sens. Mais lequel ? Et pourquoi ?

Impossible d'aller rejoindre la liesse populaire, d'aller se fondre et se perdre dans l'anonymat de la multitude.
Dans le même temps, ce n'était pas raisonnable. Si Kerun mettait la main sur lui, peut-être le chargerait-il à nouveau sur cette infâme prison flottante. Martin n'avait aucune certitude quant à ses intentions. Ils ne se connaissaient pas.

Il était encore perdu dans ses pensées quand un grincement le ramena à l'instant présent. On quittait le Cageot. Deux personnes. Une silhouette menue, vacillante, devant, et une autre, plus légère encore, son elfe, derrière. Cette fois, face à la ville, les torches trahirent leurs traits. La première était Iris de Vainevie, la jeune noble griphélienne qui avait partagé son chariot. Elle paraissait complètement déboussolée, transie de froid, sous un manteau qui n'était manifestement pas à sa taille. La seconde était, comme Martin l'avait deviné, Kerun. L'elfe avait l'air mécontent et lorsqu'il mit pied à terre, il s'arrêta une seconde pour scruter les environs. Martin s'aplatit derrière ses caisses. Les ténèbres ne protégeaient pas d'un tel regard. Il ressentit une tranquille satisfaction : l'agent était venu le chercher.

Il décida de les filer. Ce n'était pas raisonnable mais il ne l'était pas très souvent.

Kerun et Iris s'éloignèrent d'un pas rapide vers la ville. L'elfe tenait la jeune Griphélienne par le bras, mais celle-ci n'était pas attachée, et rapidement Martin eut l'impression que l'agent soutenait la jeune femme plus qu'il ne la guidait. La gamine devait être épuisée après ses quelques jours de détention. Même si elle était restée docile, sa franchise naïve n'avait pas dû la servir. En imaginant que les soldats juvéliens soient restés corrects, ce sur quoi Martin n'aurait guère parié.

Des torches marquaient la sortie de la rade et Martin dut laisser Kerun et Iris franchir le portail avant de se redresser et de se présenter devant les gardes à son tour. Tout en échangeant quelques paroles revêches avec les hommes en faction, il suivit ses prédécesseurs du regard. Ils entraient droit dans les quartiers les plus animés, c'était une aubaine : il ne manquerait ni de couverture, ni de lumière.

Une fois dans la rue, libre, il accéléra le pas pour les rattraper. Le vent se fraya un passage jusqu'à lui, moins glacé, chargé de musique et d'odeurs de nourriture. Son ventre se contracta. Il n'avait mangé que des choses infectes depuis sa capture. Mais si Aigéan l'avait libéré, il avait les poches vides. Pas le choix, il faudrait qu'il se trouve un client s'il voulait se nourrir. La vie était ainsi faite, il n'en attendait plus rien d'autre depuis longtemps.

Cruelle ironie, Kerun tenait la porte d'une auberge à Iris et ils disparurent à l'intérieur. Le Chat et la Mouette. Martin se demanda si c'était la planque de l'elfe, ne se risqua pas à entrer. Il s'appuya un instant à la façade, regarda les gens défiler dans la rue, un couple qui gloussait, un groupe d'étudiants de l'académie déjà passablement avinés, deux hommes de la garde qui devisaient paisiblement. Depuis le mur d'en face, une prostituée lui fit un clin d'œil et souleva ses jupes, révélant son intimité, mais il eut un sourire et un geste de dénégation et elle haussa les épaules. Il jeta un coup d'œil à l'intérieur de l'auberge, repéra Kerun et Iris, beaucoup trop près de la fenêtre, ce qui le fit sursauter et reculer. La jeune femme mangeait sous le regard toujours courroucé de l'elfe.

Martin s'éloigna de quelques maisons, rejoignit la petite foule qui s'était massée pour écouter un barde ambulant et son acolyte, un acrobate médiocre. Il ne songea pas à protéger sa bourse : il n'en avait pas. Une seconde, il se demanda s'il n'avait pas le temps de trouver un client pendant que la Griphélienne mangeait, mais décida de ne pas prendre de risques. On ne savait jamais exactement comment les choses allaient se passer et il faisait diablement froid. Sans compter qu'il était sûrement sur le territoire de quelqu'un et il n'avait pas envie d'avoir des ennuis. Et vu l'état de sa mise, il ne parviendrait jamais à racoler quelqu'un de convenable. Bonnes excuses. Il n'avait simplement pas envie, malgré la faim.

Le groupe se disloqua en gratifiant les artistes de quelques piécettes et d'applaudissements polis. A Griphel, ils se seraient fait rosser pour une prestation aussi minable. Les Juvéliens étaient de braves gens, à n'en pas douter. Des pigeons. Même les clients du bordel s'excusaient. C'était un univers étrange. Marcher dans la rue sans craindre de se faire agresser, déambuler mains dans les poches, errer d'une façade à l'autre, croiser des regards, sourire.

Bien sûr, certains coins étaient moins recommandables, et il y avait des ruelles à éviter. Mais on n'attirait pas la foudre aussi aisément que chez les Casinites où un pas de travers pouvait déchaîner l'enfer. Surtout quand on était un esclave travaillant dans une industrie sordide.

Kerun et Iris quittèrent le Chat et la Mouette et reprirent leur route. Ils devisaient à voix basse, Martin en saisissait des bribes quand la brise se montrait conciliante. Il entendit parler d'un bain, d'un lit, d'un peu de repos. L'elfe faisait la conversation, la Griphélienne frissonnait et acquiesçait. Ils quittaient les zones les plus animées pour gagner le cœur de la cité. Il y avait moins de passage, Martin les laissa prendre de l'avance, conscient qu'il deviendrait de plus en plus difficile de les suivre au fur et à mesure qu'ils atteindraient les quartiers du nord, direction qu'ils avaient empruntée. Ils tournèrent vers la gauche, le jeune homme songea à renoncer. 

Pourquoi les suivait-il, déjà ?

Il persévéra, se répétant qu'il n'avait pas mieux à faire. Il les repéra in extremis alors ils prenaient une nouvelle allée plus étroite. Apparemment, ils allaient s'arrêter dans ce quartier hybride, entre le port et la zone administrative. La plupart des maisons, de taille moyenne, étaient plongées dans l'obscurité. Elles appartenaient probablement à des membres de l'impressionnante machine administrative de la démocratie juvélienne, secrétaires, avocats, assistants et huissiers. Toute cette populace appliquée dormait profondément. Martin sourit en songeant que, techniquement, Kerun était l'un des leurs. Un agent du gouvernement. Peut-être ramenait-il simplement Iris chez lui.

L'elfe et sa compagne s'étaient arrêtés devant une petite maison à la façade terne, semblable à ses voisines, la troisième après le coin. Une fois la porte ouverte, Kerun s'effaça pour laisser entrer la Griphélienne. Ensuite, il se tourna dans la direction où se trouvait Martin. Ce dernier se plaqua contre le mur, le souffle court. Il entendit des pas, mais Kerun ne franchit pas le coin.

« Je sais que tu es là. » souffla-t-il à mi-voix, à quelques pieds.

Martin ne répondit rien, le cœur battant, pressant contre la façade de la maison comme s'il pouvait s'y fondre.

« Viens passer la nuit. Je t'offre un lit, de quoi manger, te laver, te changer. Je n'exige rien. Tu seras libre de partir après le Jour Humide. »

C'était un piège, évidemment. En même temps, s'il prenait la fuite, Kerun le rattraperait en trois battues, Martin ne se faisait pas d'illusions. Mais il crierait de toutes ses forces, réveillerait le quartier entier, ameuterait la garde. Kerun serait le héros, bien sûr, qui rattrape le Griphélien en fuite. On le ramènerait au Cageot, le capitaine Valtameri aurait des ennuis. Tout ça pour ça. Il en frémit de rage. Il était décidément son propre pire ennemi. Mais ce n'était pas nouveau.

Kerun avait bougé, Martin entendit ses pas s'éloigner. Il jeta un œil au-delà du croisement, le vit retourner vers la maison. Iris était sur le seuil, hésitante.

Le prostitué se maudit, maudit le monde entier, surtout cet elfe juvélien, et sortit de sa cachette. Kerun s'immobilisa et lui sourit, un sourire chargé de lassitude. Martin le rattrapa en quelques pas.

« Comment as-tu su que j'étais là ?

— A l'odeur. Tu empestes. » répondit simplement l'agent.

Puis il s'effaça pour le laisser entrer à la suite d'une jeune noble proprement éberluée. 

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