14. Iris
Iris
Au vu des circonstances, Iris commençait à penser qu'avoir choisi Juvélys pour son exil volontaire était la pire erreur qu'elle ait jamais commise. Quitter Griphel avait été une nécessité, une question de survie pour son âme, elle ne remettait pas en question cette décision. Mais venir à Juvélys ?
Depuis qu'elle avait abordé sur les quais, deux jours plus tôt, absolument rien ne s'était déroulé comme attendu. On l'avait arrêtée à la descente du bateau, interrogée dans une petite salle de la capitainerie, conduite dans cet endroit anonyme — par des agents du renseignement, sans doute — puis laissée dans une chambrette, sans rien lui expliquer malgré ses suppliques.
Elle ne pouvait pas vraiment se plaindre : à Griphel, elle aurait déjà été écartelée par un bourreau masqué dans les oubliettes du Fort, contrainte de cracher tout ce qu'elle savait, et tout ce qu'elle ne savait pas non plus, d'ailleurs. Ici, on l'avait nourrie. La pièce était propre. Un homme était même venu s'excuser du temps écoulé depuis son arrestation et lui avait fourni des livres pour patienter.
Des livres !
Juvélys était un endroit merveilleux.
Quelque part.
Elle s'en était persuadée en lisant l'Echo Juvélien, une feuille de chou stupéfiante, qui relatait de menus événements survenus ça et là dans la cité. Un concert, une cérémonie, un projet de réfection des égouts, une nouvelle liaison bi-mensuelle vers Rhyvan, l'ouverture d'une taverne, quelques faits divers graveleux, des petites annonces. Elle l'avait dévoré de la première ligne (20ème jour de Cefmes 786) à la dernière (Allez dans la Lumière).
L'espoir était revenu. La nourriture était bonne. Tout ceci était un malentendu. Elle était prête à faire ses preuves, toutes ses preuves, de toutes les manières possibles et imaginables, pour qu'on l'accepte. Pour qu'on l'adopte. Mais tant qu'on ne lui laissait pas raconter quoi que ce soit, comment faire ?
Bon, elle se doutait qu'elle avait dû mal répondre aux premières questions posées, à la descente du navire. Peut-être aurait-elle dû changer de nom... ne rien dire de sa capacité à puiser dans le flux inerte... éviter de mentionner l'Ecole des Arcanes... Mais elle n'avait pas l'air dangereuse, si ?
Et puis tout avait dégénéré.
Au troisième jour de son incarcération, on avait ouvert sa porte alors qu'elle était encore dans son lit, quatre hommes en uniforme bleu roi, armés, qui l'avaient tirée de ses draps, menottée et arrachée, en chemise de nuit, à sa chambrette. Elle s'était retrouvée, cheveux lâchés sur les épaules, stupéfaite et pieds nus, dans un couloir anonyme, encadrée par les soudards. On l'avait traitée de « pute de Casin », sans doute un synonyme ordurier de Griphélienne. Quand elle avait ouvert la bouche pour protester, on avait menacé de la bâillonner, et sans ses larmes subites, peut-être l'auraient-ils fait. Elle s'était tue, luttant contre une panique sourde.
Frissonnante de terreur, elle était restée debout entre ses gardiens, quelques minutes, le temps qu'ils extirpent une seconde personne de la pièce voisine. C'était un homme relativement jeune, aux cheveux noirs, mince et de taille moyenne, qu'ils avaient manifestement tiré de son baquet. Trempé, les chausses collants à des jambes qu'il n'avait pas eu le temps de sécher, il avait la moitié du visage en sang, signe que les soldats n'y avaient pas été de main morte. Croisant le regard d'Iris, il lui avait adressé un léger sourire et un clin d'oeil.
Ensuite, on les avait entraînés vers la sortie.
A l'extérieur les attendait un chariot, dans lequel on les fit monter, à l'arrière. Sous la bache, un soldat riva leurs chevilles à des anneaux fichés dans les planches du sol, tandis qu'ils s'asseyaient sur deux étroits bancs, face à face. Le véhicule s'ébranla sur les pavés déchaussés. Iris frémit de plus belle, le souffle court, désemparée.
« Ça va ? » demanda l'homme.
La jeune femme aurait voulu essuyer ses larmes mais c'était impossible : ses mains étaient liées dans son dos. Elle opina du chef.
« Tu as perdu ta langue ? »
Elle secoua la tête et jeta un regard inquiet vers l'avant du chariot, mais ils étaient seuls dans la pénombre.
« Ils t'ont interdit de parler ? »
Elle opina à nouveau et il rit.
« Tu vas faire tout ce qu'ils te disent, tout le temps ?
— Vous êtes blessé. »
Il sortit la langue et lécha un peu du sang qui lui coulait sur la joue.
« Arcade sourcilière. J'aurais dû être plus conciliant. Ce n'est pas mon fort. »
Il haussa les épaules.
« Saleté de Juvéliens. »
Elle frissonna à nouveau.
« Pourquoi font-ils ça ?
— Aucune idée. »
Il sourit.
« Tu es de la haute.
— Comment...
— Ça s'entend. À ton accent. »
Iris rougit. Elle avait espéré pouvoir laisser tout ça derrière, mais elle n'avait guère l'habitude de travestir ses origines.
« Je suis Martin, dit-il. Enchanté.
— Iris, répondit-elle.
— De Vainevie ? »
Elle sursauta.
« Comment le savez-vous ? »
Il parut amusé, puis haussa les épaules.
« C'est la seule Iris de la haute dont j'ai entendu parler. »
Elle soupira.
« J'aurais dû changer de nom.
— Tu leur as dit ?
— J'ai pensé... qu'il valait mieux être honnête. Les Juvéliens... J'ai pensé qu'ils apprécieraient... que je leur dise la vérité. Et puis avec les sortilèges... Je me suis dit. Oui... J'ai dit la vérité. »
Martin grimaça, sans se départir d'un léger sourire. Il n'avait pas l'air méchant, juste un peu piteux, avec le sang qui dessinait un ruisseau irrégulier sur sa peau blême, et l'eau qui dégoutait de ses cheveux.
« Les Vainevie, est-ce que vous n'êtes pas... des magiciens... plutôt axés sur les mystères de la mort ?
— Si. Mon arrière-grand-père a fait partie des fondateurs de l'Ecole des Arcanes.
— Et tu leur as dit ça aussi ? »
Iris répondit d'un gémissement. Si elle avait eu ses mains, elle y aurait noyé son visage.
« Je comprends mieux pourquoi Kerun s'intéressait à toi.
— Kerun ?
— L'elfe roux.
— Je n'ai pas vu d'elfe roux.
— Tu en aurais vu un, tôt ou tard. »
Elle frissonna. Ça ne pouvait pas être une bonne nouvelle : les seuls elfes qu'elle avait jamais rencontrés étaient des sujets d'expérience soumis à des traitements barbares, dans les laboratoires de l'Ecole. Ce Kerun devait le savoir : ce n'était un mystère pour personne.
« C'est à cause de lui, ce qui nous arrive ?
— Et bien... En fait, ça m'étonnerait. »
Le chariot s'immobilisa un moment et il y eut un échange de salutations avant qu'il reprenne son mouvement.
« Iris, si je peux te donner un conseil... de Griphélien à Griphélien... »
Elle le fixa droit dans les yeux.
« Mens quand il le faut. »
Un brouhaha jaillit soudain de l'extérieur, mille voix, mille cris, et le chariot s'arrêta dans un grincement d'essieu. Iris sentit son coeur accélérer comme la bâche était brusquement écartée à l'arrière, et qu'un soldat surgissait dans leur refuge. Il la détacha la première et la tira par l'épaule vers la sortie.
Quand elle déboucha à l'extérieur, elle fut assaillie par une vision démente : des centaines, peut-être des milliers de personnes étaient rassemblées sur une esplanade de sable, encerclées par une muraille de remparts gris sombre. La cour d'un fort gigantesque. Dans cette foule disparate, hommes et femmes, jeunes et vieux, d'innombrables hommes en uniforme circulaient, convoyant les uns et les autres, à grands renforts de gestes ou de cris. Le brouhaha était épouvantable, reflet d'émotions vives, sanglots, invectives, des voix, des bousculades, le hennissement des chevaux lorsqu'un nouveau chariot venait débarquer son content de voyageurs.
« Code ? » demanda une voix et Iris releva les yeux sur un homme dans la quarantaine, bardé de bleu et d'argenté.
Mais ce n'était pas à elle que l'officier s'adressait.
« Rouge, je pense. Ils viennent des services secrets. »
Le militaire griffonna quelque chose sur le parchemin qu'il tenait entre les mains puis l'épingla sur la chemise de nuit d'Iris, lui piquant la poitrine au passage. Elle glapit de douleur, il ne réagit guère.
« Rangée 1, tout au fond près de la forge. »
Le morceau de parchemin était marqué d'un cercle rouge, puis du nombre 74 et d'une croix. Iris releva les yeux sans comprendre, mais aucun mot ne franchit la barrière de ses lèvres.
« Il me faut quelqu'un pour le deuxième. » ajouta son gardien.
L'officier acquiesça et héla un soldat dans la cohue. Iris fut entraînée par celui qui la flanquait, sans ménagement, loin du chariot et sans doute vers cette fameuse forge.
« Qu'est-ce qui se passe ? » souffla-t-elle.
Bien sûr, son geôlier ne lui répondit pas. Vu le bruit, il ne l'avait peut-être pas entendue. Elle lui jeta un oeil, par-dessus son épaule, mais il avait l'air glacial, ailleurs, les yeux bleus fixant quelque chose qui n'était pas elle, peut-être leur destination, à moins qu'il ne fut rentré en lui-même, pour s'abstraire de ce chaos. Iris voulait croire qu'un soldat juvélien était différent d'un soldat griphélien, il le fallait, c'était... c'était obligatoire. Juvélys était la cité de Valgrian, le flamboyant dieu de la lumière, un fanal dans les ténèbres, un symbole d'espoir et de civilisation. Griphel tremblait sous le joug de Casin, le dieu de la violence et de l'oppression, du fort qui écrase le faible, de la brutalité des maîtres.
Ce qui l'environnait n'avait rien de rassurant, mais elle devait y croire.
Des rangées s'échelonnaient effectivement devant la façade du fort, délimitées par des cordages tendus entre des barriques, et encadrées par de nombreux soldats. Aux yeux d'Iris, il était difficile de savoir comment on avait divisé les gens pour les placer ici ou là. Partout, elle observa des visages cramoisis ou striés de larmes, des yeux fermés, des poings serrés, des protestations, des sanglots, du silence stupéfait, expressions égarées, tentatives de parlementer, cris de désespoir quand quelqu'un manque à l'appel, perdu dans la foule. Dans certains couloirs, il semblait y avoir plusieurs centaines de personnes, agglutinées les unes contre les autres, chacun arborant son morceau de parchemin marqué de bleu, de vert, de jaune, et de chiffres qui dépassaient parfois le millier. On aurait dit la transhumance d'un troupeau gigantesque, préparé pour le transport, la tonte ou l'abattoir.
Iris frissonna d'avoir eu pareille pensée. Elle n'avait jamais été à la campagne, elle n'y connaissait rien. Pourquoi cette comparaison lui venait-elle à l'esprit ?
En fait, cela ressemblait au marché aux esclaves, sur les quais du Venin, quand des barges venues de l'est déchargeaient leur cargaison humaine pour la vente à la criée. On séparait les hommes des femmes, les enfants des adultes, on convoyait, parquait, marquait et exposait des corps, les Griphéliens négociaient avec verve, puis les chaînes changeaient de mains. En tant que jeune femme de bonne famille, Iris n'aurait a priori rien eu à y faire — l'intendant du domaine et son père, voire son frère aîné se chargeaient des achats — mais les étudiants de l'Ecole des Arcanes s'y rendaient de temps en temps pour assister à la sélection des sujets d'expérience. Les professeurs leur enseignaient alors la manière de bien choisir leur cobaye en fonction de leurs besoins : enfant, adulte, sain ou malade, humain ou elfain, homme ou femme, fort ou faible.
Iris sentit la nausée grimper dans son estomac vide. L'esclavage était proscrit à Juvélys, depuis toujours, et les moeurs griphéliennes considérées avec horreur. Elle ne voulait jamais retourner là-bas. Jamais.
La Rangée 1 était une des plus vides. Il n'y avait qu'une dizaine de personnes devant elle, et la moitié étaient des soldats juvéliens. Iris distingua la silhouette d'une femme aux longs cheveux gris tressés, puis de deux hommes, un très jeune, très large d'épaules, l'autre portant une robe de magicien pourpre et or et qui paraissait furieux. Devant, il y avait encore une autre femme, puis un homme chauve, penché sur une table. Une sorte de guichet d'enregistrement, devina Iris. Il y en avait un au bout de chaque rangée.
Elle ferma les yeux un instant pour chasser les images, et resta seule avec les sons. Les voix. Les pleurs. Tous, autour d'elle, étaient griphéliens, elle en eut subitement la certitude comme les inflexions de ses concitoyens lui parvenaient par bribes. Les Juvéliens avaient cet incroyable accent si doux, si souple, comme une incantation élémentaire, un appel à l'eau ou à l'air, en arabesques délicates. Inimitable. Iris ne s'y était pas risquée. L'accent de Griphel était âpre, acéré, un aboiement agressif, reflet de Casin. Elle l'entendait même dans les suppliques, même dans les gémissements. Certains l'avaient atténué, bien sûr, à force de vivre à Juvélys, mais elle le percevait, tout autour.
Elle rouvrit les yeux. Ils étaient des milliers. Griphel était une cité abominable, mais jamais elle n'aurait imaginé qu'il puisse y avoir une telle multitude d'exilés. Elle songea au courage qu'il lui avait fallu pour fuir à la nuit, se faufiler hors les murs, se trouver un passage jusqu'à la côte, puis jusqu'à Juvélys, et elle ressentit un élan de compassion pour tous ces inconnus.
Pourquoi les Juvéliens avaient-ils... rassemblé les Griphéliens dans la cour de ce Fort ?
La guerre était finie depuis l'automne. Griphel avait gagné, renvoyant les Rhyvans au-delà de leurs frontières, une victoire formidable pour le jeune Empereur en mal de légitimité. C'était en réalisant qu'il n'en resterait pas là, que ce succès inespéré allait provoquer quelque chose de pire, qu'Iris avait finalement pris la décision de partir. Ça et les abominations constantes auxquelles elle était forcée d'assister au quotidien, du Temple de Casin aux laboratoires de l'Ecole, en passant par le simple dressage des esclaves de la maisonnée. Et assister ne serait bientôt plus assez. Elle allait devoir se salir les mains et elle en était incapable, consciente que quelque chose, en elle, refusait de se plier à son environnement. Une malédiction, elle l'avait vécu comme tel pendant des années, avant de réaliser que cela pouvait être tout autre chose. Une rupture. Un élan. Casin ne devait pas forcément triompher. La perspective prochaine d'un abominable mariage arrangé avait été la goutte d'eau nécessaire... et elle avait fui.
Il y avait des milliers de prisonniers de guerre à Griphel, désormais asservis dans les champs, sur les routes, dans les arrière-cours, les galères, les arènes et les bordels. Les Juvéliens avaient-ils l'intention d'utiliser les Griphéliens qui vivaient sur leur sol comme monnaie d'échange ? Mais pour quoi faire ? Et pourquoi maintenant ?
Désorientée, elle chercha quelque chose à quoi se raccrocher dans cet océan d'âmes perdues, mais ne trouva rien. Le ciel était voilé, il risquait de pleuvoir, un événement rare à Griphel l'aride, mais dont Iris avait fait l'expérience à plus d'une reprise sur le pont du bateau qui l'avait menée en Tyrgria. Elle aurait aimé découvrir Juvélys, son Parc Circulaire dont on vantait la beauté, ses théâtres, son assemblée populaire, ses temples multiples, son port coloré, ses ruelles commerçantes, le grand Palais... et voilà qu'elle n'en découvrait que les zones les plus sinistres, cachot après cachot, jusqu'à cet endroit martial, sinistre, désenchanté.
Son regard tomba finalement sur Martin, trois personnes derrière dans la file, associé lui aussi à un soldat. Il lui décocha à nouveau un grand sourire et elle se sentit mieux de le lui rendre. Elle n'avait aucune idée d'où il venait, de pourquoi il avait été enfermé, mais comme elle, c'était un Griphélien qui avait fui les allées noires de la cité de Casin. Ils étaient liés, comme elle était liée à tous ceux qui gémissaient autour d'elle. Mais Martin, lui, elle le connaissait.
Elle fut poussée vers l'avant, on lui tira brusquement une chaise, et elle fut sommée de s'asseoir face à une femme en uniforme, un parchemin sous les mains.
« Nom ?
— Heu... Iris.
— Iris quoi ?
— Iris... Dupré. »
C'était la première chose qui lui était venue en tête et elle sentit un courant d'air froid la parcourir.
« Mensonge, dit la femme en face d'elle, sans émotion particulière.
— Quoi ?
— Le frisson que vous venez d'avoir. C'est le signe que le sortilège de vérité s'est activé. Vous avez menti. »
Stupéfaite, Iris écarquilla les yeux, cherchant la source de cette magie qu'elle n'avait pu percevoir. A quelques pas, trois personnes en robes étaient en grande conversation, mais elle ne connaissait que les toges casinites, impossible de les identifier. Juvélys était connue pour son Académie du Flux, et on y comptait une dizaine de Temples. Ils étaient fatalement bien servis.
« Iris de Vainevie. »
Cette fois, elle ne ressentit rien, et la soldate parut satisfaite.
« Date d'arrivée à Juvélys ?
— Il y a deux... trois... peut-être quatre jours ? Je ne sais plus exactement. Quatre jours, je pense. »
Son interlocutrice parut suspicieuse, mais Iris lui retourna une grimace embarrassée.
« Lieu de résidence ?
— Je n'en ai pas. J'ai été... arrêtée tout de suite. Par les services secrets. Enfin je crois. Ils ne se sont pas présentés. Et ne me demandez pas pourquoi, je n'en sais rien. »
La soldate fronça les sourcils.
« Même pas une petite idée ?
— Non.
— Pourquoi venir à Juvélys ?
— Parce que Griphel est abominable ? »
Elle jeta un oeil derrière son épaule, autour d'elle.
« Est-ce que je peux savoir ce qui se passe ?
— C'est moi qui pose les questions. »
Bien sûr, songea Iris.
« Que faisiez-vous, à Griphel ?
— Je suis la fille d'un noble... Je faisais... vous savez... des bals... des réceptions... de la couture... »
Iris guettait le courant d'air froid, mais tout était vrai.
« Rien d'autre ?
— Du dessin. Un peu de musique...
— De la magie. » intervint une voix sur sa droite et elle leva les yeux sur un homme en toge mauve.
Le regard sévère, la barbe bien taillée, les cheveux très sombres, il la dévisageait avec circonspection. Sa robe était marquée d'enluminures argentées qui semblaient scintiller même dans la pénombre. Iris n'en était pas certaine, mais elle supposait que c'était un prêtre de Gallud. Ou un mage. Ou les deux.
Elle lui jeta un sourire crispé, puis baissa les yeux sur la militaire qui l'interrogeait.
« Un peu de magie aussi.
— Quel genre ? »
Il en avait de bonnes, ce Martin, à prétendre qu'elle devait mentir.
« Magie des morts ? »
Une expression de dégoût spectaculaire se peignit sur le visage de la femme tandis que l'homme pinçait les lèvres en secouant la tête.
« Salle onze ? » dit-il.
La femme acquiesça.
« Mais je voulais arrêter, protesta Iris. C'est pour ça que je suis venue ! Parce que je ne voulais plus en faire !
— Suivez-moi. » dit l'homme sans se formaliser.
Iris resta assise.
« Sinon je serai forcé d'user d'un sortilège désagréable. » ajouta-t-il.
Ils se dévisagèrent une seconde, lui, parfaitement calme, elle, révoltée puis convaincue qu'il disait vrai. Elle se leva, son garde toujours présent dans son ombre.
« Vous pouvez me la laisser. » annonça le mage ou prêtre ou les deux.
Le soldat se retira et l'inconnu la prit par le bras, sans violence mais sans douceur, et la fit passer devant lui. Il l'entraîna vers le mur gris sombre du fort et une large double-porte, par laquelle s'engouffraient des prisonniers. Seuls des soldats en ressortaient.
« Qu'est-ce que vous allez faire de moi ? glapit Iris.
— Pour l'heure, pas grand chose, répondit son nouveau gardien. Ensuite, cela dépendra de votre collaboration.
— Pourquoi tous ces gens sont-ils ici ?
— Disons que certains d'entre vous sont indésirables... et il était temps que Juvélys trie le bon grain de l'ivraie. Grand temps. »
Ils se glissèrent sous l'arche de pierre et Iris fut assaillie par une odeur d'urine et de poussière. Autour d'elle, on pressait d'autres Griphéliens : une femme et deux jeunes enfants terrifiés, un homme aux cheveux blancs et au regard vide, un autre qui résistait, refusant d'avancer. Iris ne s'attarda guère, s'adaptant à la poigne de l'inconnu. Il ne sembla guère se formaliser de l'attroupement, la fit bifurquer dans un couloir puis une cage d'escaliers. Quand elle réalisa qu'elle allait devoir descendre, la prisonnière se figea à nouveau.
Les oubliettes d'un fort. Le ventre de la terre. Dans la cité de la lumière.
C'était une mauvaise chose.
Elle jeta un regard en arrière, à la recherche d'un visage connu, mais elle ne rencontra que le regard froid de l'homme en toge. Son expression manqua la faire trébucher. Le pli au coin de ses lèvres reflétait déjà un certain agacement et elle céda, sans broncher, un pas après l'autre dans les escaliers. Au fond, c'était le silence.
Diable, pourquoi avait-elle décidé de venir à Juvélys ?
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