Pays du bout du monde
-Jasmin.
-Mmm ?
-Je crois que j'ai un problème.
Le prince ouvrit aussitôt les yeux et souleva sa tête de l'oreiller douillet qu'il s'était trouvé, au creux de l'épaule du voleur.
-Que se passe-t-il ?
-J'ai une drôle de sensation. Mon ventre se tord, comme s'il y avait un vide qu'il voulait combler, et l'instant d'après vibre en émettant un bruit semblable à celui d'Abu lorsqu'il est mécontent...
L'évocation d'Abu lui fit perdre le fils de sa pensée. Jasmin posa sa main sur sa joue pour orienter son visage vers le sien.
-Je sais ce qui t'arrive, déclara-t-il, mortellement sérieux. Aladdin, mon amour... Tu as faim.
Aladdin cligna des yeux.
-Ah. Mais c'est super désagréable, comme sensation !
-Tu t'y habitueras, répondit Jasmin en retenant comme il le pouvait le rire qui montait dans sa gorge. Tu n'avais jamais eu faim avant ?
-Non. Je mangeais pour donner le change, de temps en temps. Ce qui pouvait donner des situations très dérangeantes, d'ailleurs...
-Comme quoi ?
-Comme la fois où quelqu'un a voulu m'empoisonner... J'ai avalé un demi verre d'arsenic avant de me rendre compte que le goût était bizarre, et je lui ai rendu le verre. Si tu avais vu sa tête...
Jasmin explosa de rire.
-Et moi qui me demandais comment toi et ta petite famille avait fait pour vivre sans être embêtés par les mafias ! Tu as dû te tailler sans faire exprès une sacrée réputation !
Aladdin sourit, mais ne répondit rien. Le visage de Jasmin redevint grave.
-Tu crois qu'ils s'en sortent, sans toi et Yubaba ?
-Je ne sais pas, murmura l'ancien automate. Je ne sais pas...
Jasmin prit sa main dans la sienne.
-Moi aussi, j'ai faim, confia-t-il enfin. Depuis combien de temps remontons-nous ce satané fleuve ?
-Trop longtemps à mon goût, répondit Aladdin en souriant légèrement.
Au début, ils avaient eu l'intention de remonter à la première sortie. Mais les parois de la grotte s'étaient resserrées, ne laissant qu'un tunnel aux murs rendus lisses par le passage de l'eau.
Et les heures s'étaient succédées, longues, monotones, chacune plus vide et plus ennuyante que la précédente. Le tapis suivait le courant sans faiblir, en se rapprochant ou s'écartant de la surface lorsque le plafond faisait de même.
-Jasmin ?
-Aladdin... ?
-Raconte-moi quelque chose.
-Quelque chose ? Mais qu'est-ce que tu veux que je te raconte ?
-Raconte-moi des choses sur toi. Ton enfance, par exemple. Moi, je n'en ai pas eu. Il faut bien passer le temps...
Et je veux tout savoir de toi, finit-il en silence.
Jasmin sourit, repositionna sa tête sur son épaule, et lui raconta ses plus jeunes années, tandis que son public se moquait gentiment du prince capricieux et vaniteux qu'il avait été.
~
Aladdin se réveilla en sursaut. Il s'était endormi, recroquevillé sur le tapis volant, le corps de Jasmin serré contre le sien.
Il s'était endormi. Pour la première fois de son existence. Il avait rêvé...
Il sourit et déposa un baiser dans les cheveux de Jasmin avant de fermer les yeux pour replonger dans les limbes du sommeil, bercé par le grondement du fleuve.
~
-Peut-être que si on plongeait nos mains dans l'eau, déclara songeusement Jasmin, allongé à plat-ventre sur le tapis qui filait toujours droit devant, on arriverait à attraper un poisson...
-Où alors ce sont eux qui attraperont ta main, répliqua Aladdin en riant lorsque le prince ramena aussitôt son bras sur le tapis. Raconte-moi encore quelque chose, ça fera passer le temps.
-Mais je t'ai déjà tout dit ! Protesta le prince. Toute ma vie, jusqu'à toi ! Pourquoi ça ne serait pas ton tour, un peu ?
-Je ne sais pas raconter.
-M'en fiche. Raconte.
-À vos ordres... s'amusa le voleur en s'exécutant.
~
Jasmin ouvrit les yeux. Il était allongé sur le côté, dans les bras d'Aladdin. Il avait tellement faim...
Et si ce voyage ne s'arrêtait jamais ? Et s'ils mouraient là, tous les deux, sous terre, en emportant la lampe avec eux ?
Au moins je mourrais dans ses bras, songea-t-il en fermant les yeux pour retourner au sommeil.
~
-Jasmin ! s'exclama Aladdin en secouant le prince endormi. Jasmin !
-J'ai faim... grommela l'intéressé en refusant d'ouvrir les yeux. Laisse-moi en paix. J'étais en train de rêver d'un énorme banquet...
-Jasmin, il y a de la lumière !
-M'en fiche.
-La lumière du soleil !
Le prince se redressa si brusquement que le tapis faillit chavirer et rétablit son équilibre in extremis. En effet, un point de lumière dorée se rapprochait d'eux à toute vitesse.
-Tapis, demanda Aladdin. Arrête-toi en dessous, s'il te plait.
Le tapis s'exécuta.
Il s'agissait d'une sorte de puits, un trou rond, dans le plafond, d'où se déversait une lumière chaude, aveuglante, qui teintait brièvement la surface de l'eau de pépites d'or immatérielles.
Jasmin jeta un coup d'œil en avant. Le sol s'inclinait et le fleuve s'enfonçait un peu plus profondément sous terre.
Puis il tourna la tête en haut. Passé la lumière débordante, on pouvait apercevoir un petit morceau de ciel bleu.
-Tapis, je t'en supplie, remonte-nous, maintenant !
Le tapis s'exécuta de bonne grâce.
Après plusieurs jours dans les ténèbres, le prince et le voleur durent fermer les yeux, submergés de lumière.
Lorsque la vue lui fut rendu, la première chose que le Jasmin aperçu fut le ciel. Un ciel immense, d'un bleu uniforme, éclatant.
La deuxième chose, ce fut le sable. Du sable partout, à perte de vue.
Du sable ?!
Ils étaient sortis d'Agrabah.
Sortis d'Agrabah... Avant cet instant, Jasmin n'était même pas certain que c'était possible, tant la ville lui paraissait être le centre de l'univers.
Sa main trouva automatiquement celle d'Aladdin, que le voleur serra autour de la sienne. Ayant tous les deux passés leurs vies dans l'espace confiné et surpeuplé de la cité, ils n'avaient jamais été confrontés à tant de vide, tant d'immensité. Rien n'arrêtait le regard, ici, aucun bâtiment, aucune rue tracée, aucun habitant, rien. Le néant. Partout, tout autour d'eux, le désert luisait, paisible, immuable, océan de sable sans fin et sans commencement.
Le seul mouvement à agiter ce nulle-part était le vent, douce brise chaude qui caressait les dunes avec une étrange sensualité, redessinant quelques courbes avant de disparaître, l'œuvre inachevé.
Ils étaient seuls.
-Tapis, murmura Jasmin, la voix rauque, est-ce que tu peux monter un peu ?
Le tapis s'éleva lentement dans les airs, jusqu'à attendre une dizaine de mètre de hauteur.
Sous-eux, le puits par lequel ils étaient remontés n'était plus qu'un point, à peine visible.
-Là-bah, souffla Aladdin en tendant le doigt.
À des kilomètres d'eux s'étendait la ville, ligne noir sur l'horizon, comme une entité sombre grignotant la chaleur du sable. Ils étaient si loin de chez eux que le Palais était invisible.
-Nous sommes sortis d'Agrabah... souffla Jasmin. Nous sommes sortis d'Agrabah...
-Hum, hum, déclara soudain une voix. Dites donc, les jeunes, faut pas vous gêner.
Aladdin et Jasmin se retournèrent aussitôt, pour... Pour se retrouver face à face avec une vieille dame à la chevelure complètement folle qui les regardait d'un air circonspect sous ses grosses lunettes protectrices.
S'en fut décidément trop pour le pauvre Jasmin, qui, en plus de son état émotionnel à la ramasse, était miné par plusieurs jours sans rien avaler.
Il ferma les yeux et s'évanouit proprement sur l'épaule d'Aladdin.
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