La Douceur du désespoir
Jasmin fut réveillé par l'entrée fracassante que fit la Sultane dans sa chambre, l'intégralité de sa suite sur les talons.
-Mon fils, commença-t-elle sur un ton de reproches, car elle avait l'intention de le réprimander pour sa tenue de la veille.
Mais la vision de Jasmin s'éveillant, hébété, dans les bras d'un homme qui avait visiblement envie d'être à des milles de là, coupa net son élan. Heureusement, Joël, surprit, était tombé du lit, et se trouvait à présent hors de portée de son regard, en train de masser son arrière-train douloureux. Non que l'idée d'un amusement à trois – ou plus – aie choquée Sultane, bien sûr, mais le serviteur préférait ne pas s'exposer un peu plus aux rumeurs qui courraient déjà sur son compte.
-Mère... Balbutia l'héritier en retrouvant doucement ses esprits.
La souveraine sourit fièrement.
-Et moi qui avais peur que tu aies changé ! Lâcha-t-elle joyeusement. J'aurais dû me douter de la raison de ton départ précipité ! Tu avais un amant caché, tout simplement... Quand la cour va savoir ça ! À qui ai-je l'honneur ?
-Heu... Prince Ali Ababwa, balbutia Aladdin en aidant Jasmin, empêtré dans les couvertures, à se redresser.
-Jamais entendu parler, lâcha la Sultane. Vous venez de quel quartier ?
-Il se trouve, répondit Aladdin en reprenant contenance, que je ne viens pas d'Agrabah.
-Pas d'Agrabah ! s'exclama la Sultane, les yeux ronds. Mais alors, ça doit vous faire bien étrange, tant de civilisation ! Je constate que vous vous êtes attirés les faveurs de mon fils... Et je vois bien pourquoi, d'ailleurs... Vous n'êtes pas pauvre, au moins ?
-Rassurez-vous, rétorqua froidement Aladdin, qui mourrait d'envie de lui rabattre le caquet. J'ai plus de richesse que vous ne le concevez.
-Formidable ! s'exclama la Sultane en battant des mains, à la grande honte de son héritier. Vous voyez, Jafar, il n'y avait pas lieu de s'inquiéter pour mon fils, puisqu'il a réussi à choisir, finalement...
La porte s'ouvrit. Et le sang des trois protagonistes se glaça dans leurs veines.
-Oups, lâcha lae génie dans l'esprit du voleur.
Jafar entra dans la pièce.
Ses yeux se posèrent sur Jasmin avant de glisser sur son voisin de lit...
ALADDIN ?! Le Grand Vizir faillit s'étrangler de surprise.
Puis, lentement, les braises de convoitises qui dormaient au fond de son regard s'enflammèrent de nouveaux, plus fortes et plus intenses qu'elles ne l'avaient jamais été. Si Aladdin était ici, la lampe n'était pas loin.
-Il est devenu plutôt moche, commenta lae génie, son sarcasme cachant à peine son amertume.
-En effet, votre Altesse, susurra le Vizir avec un sourire à faire frisonner les pierres, tout est pour le mieux...
-Bien, conclut la Sultane. Ce n'est pas tout cela, mais j'ai des choses plus importantes – et intéressante – à faire que de m'occuper des frasques de mon fils. A-t-on fait couler mon bain, au moins ?
Un serviteur se dépêcha d'acquiescer, et la dame fit volte face.
-Oh, dit-elle au moment où elle allait sortir de la pièce, vous me ferez bien sûr l'honneur d'être notre hôte, prince Ali Ababwé ? Je vous attends au diner, ce soir.
Et, sans se soucier de quémander une réponse, elle sortit.
La horde de serviteurs qui l'accompagnait en permanence disparue à sa suite, ne laissant qu'une seule personne dans son sillage.
La seule personne qu'à cet instant, ni Aladdin ni Jasmin n'avait envie de voir. Joël non plus, d'ailleurs, pour des raisons que le fieffé narrateur que je suis prendra bien garde de ne pas détailler.
-Prince Ali Ababwa, ricana Jafar avec une révérence exagérée. D'où avez-vous dit que vous veniez, déjà ?
-Ça ne vous concerne pas, intervint sèchement Jasmin en descendant du lit.
-Hélas, votre Altesse, reprit l'autre d'un ton faussement concerné, malgré le malheur que ça me cause, je me vois dans le regret de vous avertir... Parce que tout ce qui concerne la sécurité de la famille royale me concerne aussi, bien entendu... Je dois vous dire que cet homme est un imposteur.
-Jafar, reprit Jasmin d'une voix glacée en se plaçant devant Aladdin, qui trouva l'idée d'être défendu un peu étrange, je n'ai pas besoin de vos avis. Vous avez peut-être discrédité ma parole aux yeux de ma mère, mais je sais à quoi m'en tenir. Vous ne pouvez rien contre lui, tant qu'il reste l'invité royal. Et vous n'avez aucun moyen de prouver qu'il n'est pas prince.
-Mais je ne parlais pas de ce type d'imposture, ricana Jafar.
Certes, ce sale gosse avait raison, tant qu'il serait officiellement protégé par l'héritier, Jafar ne pourrait pas toucher Aladdin. Mais il y a bien des moyens d'atteindre un même but...
Aladdin prit Jasmin par les épaules pour se placer devant lui.
-Disparaissez, Jafar. Votre langue de serpent ne vous sera d'aucun recours, ici.
-Tu as envie de le protéger, remarqua lae génie dans son esprit.
-Je lui ai déjà fait tellement de mal, répondit Aladdin. Et... Il y a quelque chose de particulier, avec lui. Quelque chose de... spécial.
-Voyez-vous ça, répondit lae génie, sarcastique.
-Ma langue de serpent ? S'offusqua Jafar. Mais ce n'est pas moi le pire menteur, ici... Votre Altesse, lorsque je disais que ce voleur était un imposteur, je ne parlais pas de son statut de prince...
Aladdin comprit soudain où il voulait en venir. Non ! Pas ça, pas comme ça !
-Cet imposteur a prétendu au statut d'humain, finit Jafar en se délectant de l'air paniqué d'Aladdin.
-Qu'est-ce que vous racontez ? Cracha Jasmin en serrant le bras d'Aladdin.
-Oh, mais je suis certain qu'il vous expliquera, si vous le lui demandez... Je vous mettrais simplement en garde, votre Altesse, de ne pas trop vous y attacher : les poupées n'ont pas de réels sentiments, juste de pâles imitations.
À cet instant, la porte s'ouvrit en grand, et trois gardes firent irruptions dans la chambre. Joël, qui avait tiré sur le cordon de la sonnette, sourit.
-Un problème, Votre Altesse ? s'enquit le plus costaud des trois, qui faisait partie de ceux qui appréciaient Jasmin (aie-je omis de préciser que la garde était scindée en deux, à ce sujet, entre ceux qui attendaient un ordre plus juste, et ceux qui aimaient les pots de vins ? Baste, voici chose faite).
-Ce n'est rien, répondit Jasmin d'une voix plus froide que la glace. S'il vous plait, accompagnez Jafar hors d'ici. Mes appartements lui sont désormais interdits.
Je ne peux peut-être pas te faire jeter hors du palais, songea l'héritier, mais il me reste tout de même un peu de pouvoir.
-À vos ordres, s'exécuta la garde.
Jafar sortit de la chambre satisfait. Il avait peut-être été interrompu, mais le mal avait été fait. La suite promettait d'être intéressante...
Les portes claquées, Jasmin se tourna vers Aladdin.
-Merci, Joël, dit-il sans détacher ses yeux du voleur.
-Ce fut un plaisir, répondit le serviteur en allant se placer dans son dos.
Aladdin soupira.
-Jasmin, je ne voulais pas...
-Explique-moi, le coupa le prince. S'il te plait, ajouta-t-il, plus doucement.
Aladdin s'assit.
-Je ne sais pas par où commencer...
-Par le commencement ? Proposa Joël, décidé à ne pas se laisser avoir par les grands yeux innocents du voleur (qui avaient déjà rendu Jasmin complètement gaga, mais ça, vous vous en doutiez).
-C'est une façon de faire, en effet, convint Aladdin avec un sourire en coin.
Il soupira avant de reprendre.
-Il y a très longtemps, avant la construction d'Agrabah, deux peuples vivaient ici en harmonie, du moins, à ce que j'ai compris. Jusqu'à ce qu'ils découvrent un objet au pouvoir phénoménal, une lampe où se trouvait emprisonné una génie, obligé.e d'accorder trois souhaits à qui entrerait en possession de sa prison. Une guerre ne tarda pas à éclater, et un petit garçon au cœur pur vola la lampe, pour la mettre à l'abri. Lae génie lui accorda des pouvoirs magique, et ils créèrent un sanctuaire, pour cacher la lampe, où seul un cœur pur pourrait pénérer. Ce petit garçon... C'était Jafar.
Jasmin faillit s'étrangler.
-Jafar a eu un cœur pur ?!
-Oui. Mais le temps et les hommes l'ont lentement corrompu et, bientôt, il voulut retourner dans la grotte pour reprendre la lampe, et acquérir plus de pouvoir...
-Sauf qu'il ne pouvait plus entrer, intervint Joël.
-Exactement, confirma Aladdin. Alors il se mit en quête d'une clef, qui lui permettrait de franchir la porte qu'il avait lui-même créé. Mais Agrabah était déjà, à l'époque, une ville sombre, et il n'y avait aucun cœur assez pur pour prétendre passer la porter. Alors il se décida à créer un tel être.
-Créer ? Répéta Jasmin, la voix blanche.
-Oui, Jasmin... Grâce à un alliage de mécanique et de magie, il créa un être qu'il estima parfait, auquel la lune donna vie. Un cœur pur, c'est un cœur sans mélange, un cœur qui ne peut être atteint, qui ne peut être troublé. Alors il lui offrit un cœur de cristal, inaltérable.
Le prince et son ami, les yeux ronds, le fixèrent en silence, n'osant pas tirer les conséquences de ces révélations. Aladdin soupira de nouveau.
-Jasmin, dit-il enfin, tu as passé la nuit contre mon torse. Tu n'as rien trouvé d'étrange ?
-D'étrange ? Répéta Jasmin en se mordant la lèvre.
Aladdin prit sa main (Joël leva les yeux au ciel en le voyant rougir), et la posa contre sa poitrine (ce qui accentua le rougissement de manière visible).
-Tu ne sens rien ? Déclara Aladdin.
-N... Non... balbutia Jasmin, qui avait un peu chaud. Q... Quoi ?
-Quelque chose de bizarre. Une chose à laquelle je n'ai jamais prêté attention. Quelque chose que j'ai moi-même découvert la nuit dernière, en écoutant ton cœur battre contre ma poitrine.
L'évocation d'une telle proximité fit une nouvelle fois monter le sang au visage du prince, qui fit un effort désespéré pour se concentrer.
-Eh bien ? Intervint froidement Joël en tirant Jasmin en arrière, dans l'espoir de lui rendre quelques unes de ses capacités mentales.
-Mon cœur ne bat pas, lâcha Aladdin. Je ne suis pas humain, Jasmin. J'ai littéralement un cœur de pierre.
Une douche glacée tempéra aussitôt les ardeurs du prince.
-Tu... bégaya-t-il. Tu... Tu ne ressens rien ?
-Si, bien sûr, j'ai tout de même des sensations. Je peux être effrayé, joyeux, ennuyé ou affectueux, tout ce qui est lié à mon corps, tout ce qui est strictement nécessaire pour vivre. Mais je ne peux pas...
-Tu ne peux pas aimer, finis Jasmin d'une voix atone.
Il y eut un long instant de silence.
Joël et Aladdin fixaient le prince avec insistance, tentant en vain de lire ses pensées, angoissés par sa réaction.
-D'accord, dit finalement Jasmin.
Il y eut un blanc.
-D'accord ? Répéta le voleur, décontenancé.
-D'accord ?!? répéta Joël, estomaqué.
-Je t'aime, Aladdin, déclara tranquillement Jasmin, les yeux plongés dans les siens.
Aladdin cligna des yeux.
-Hein ?
-Je pensais que c'était plutôt évident, s'amusa le prince.
-Je confirme, intervint Joël.
-Bref, je t'aime.
Jasmin ferma momentanément les yeux. Les mots qu'ils venaient de prononcer avaient dans sa bouche une saveur sucrée et une texture tendre... Avec un arrière-goût plein d'amertume. Il avait tant et tant rêvé de les dire, ces mots-là, de les chanter, de les crier, les murmurer, les souffler, n'importe quoi. Mais ce n'était qu'à présent, ce n'était que lorsqu'il n'y avait plus d'espoir, qu'il trouvait enfin la force d'en venir à bout. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment. Mais je t'aime.
-Mais je ne suis qu'une machine ! Protesta Aladdin, qui n'y comprenait rien.
-Va dire ça à mon cœur, souffla Jasmin. Moi, il ne m'écoute plus, depuis qu'il a fait ce rêve... Depuis qu'il t'a vu à la lumière de la lune. Je t'aime, Aladdin, mais je n'ai jamais espéré que tu m'aimes en retour. Jamais. Alors apprendre que tu en es incapable, eh bien... Ça n'annihile pas trop d'espoirs...
-Oh, Jasmin... soupira le voleur en tendant une main pour caresser sa joue, dans un geste de sympathie instinctif qu'il avait appris auprès des enfants.
Jasmin ferma les yeux pour apprécier la chaleur de ses doigts.
-S'il pouvait en être autrement... souffla le voleur.
-Je sais, Aladdin. Je ne t'en veux pas. Tu es peut-être un être automate, mais tu es quelqu'un de bien.
-Malheureusement, grimaça le voleur, je ne suis pas « quelqu'un »...
-Mais si, le contredis le prince en souriant. Tu es quelqu'un, avec des doutes, des peurs, une personnalité, des amis, des ennemis, et une histoire. Tu es peut-être la création d'un autre, mais au fond, nous le sommes tous, non ?
Aladdin sourit.
-Merci, dit-il doucement.
-J'aimerais poser une question, intervint Joël avant de continuer sans attendre de réponse. Où est la lampe, à présent ?
Aladdin eut un sourire amusé.
-Là, répondit-il en sortant l'objet de sa poche. D'ailleurs, il faut que je vous présente quelqu'un...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro