Il était une fois, dans un pays lointain, un jeune garçon qui rêvait d'aventures.

Il savait à peine se tenir sur deux pieds qu'il terrassait déjà des bêtes imaginaires, grimpait jusqu'à la plus haute fenêtre de donjons fantasmés, et embrassait prince ou princesse ainsi délivrés.

Pour lui porter chance, ses parents le prénommèrent Éric, ce qui signifie « le fort », « le puissant ». Et fort, Éric l'était. Il s'entrainait jour et nuit, avec une persévérance si remarquable pour son jeune âge, qu'il finit par attirer sur lui le regard des plus grands.

Ainsi, nul ne fut surprit, à l'aube de ses quinze ans, lorsqu'il reçut sa lettre d'admission à la Grande École de Chevalerie du Royaume. Il y eut une grande fête, dans son village. Il embrassa sa mère, son père, sa sœur, son frère, ses amis, et, sans un regard en arrière, quitta les siens, le cœur peuplé de rêves insatiables.

Éric grandit. Au contact des plus sages, il s'aguerrit au combat rapproché, au duel à l'épée, à la course, aux travaux physiques, et aux longues galopades. Il traversa toutes les épreuves de son apprentissage le front haut, sans un frémissement, sans une once de crainte, avec honneur, avec courage, et avec bienveillance.

Car Éric ne connaissait pas le doute. Il semblait fait d'un seul bloc, sans nuance aucune. Il se tenait mordicus à chacune de ses décisions, et avait tiré des histoires de son enfance une vision du monde claire et précise, séparée entre le noir et le blanc, les bons et les méchants, le beau et le laid.Il était si têtu dans ses convictions que ses maîtres finirent par renoncer un à un à lui enfoncer le moindre doute dans la caboche. Tous, sauf un.

C'est ainsi que, le jour de ses vingt-deux ans, Éric fut adoubé en présence du Roi Cyan, de son mari le Prince Silk, de toute la cour, et de ses maîtres d'armes.

-Jures-tu, commença le Roi, de toujours mettre ton épée au service de celui qui est dans le besoin ?

-Oui, je le jure, répondit Éric, en gravant ces paroles dans le secret de son âme.

-Jures-tu de ne jamais blesser consciemment un innocent ? Demanda le prince.

-Oui, je le jure, répondit Éric en se répétant intérieurement la promesse.

-Jures-tu de respecter jusqu'au jour de ta mort l'honneur des Chevaliers ? Demanda le Grand Maître d'Arme.

-Oui, je le jure, répondit Éric avec ferveur.

-Alors relève-toi, reprit le Grand Maître d'Arme, et écoute la parole du Conseil.

-Quelle que soit leur décision, je la respecterai.

-Le Conseil, avec l'approbation du Roi, te nomme dès à présent chevalier errant. Sois-en digne.

Éric ouvrit des yeux surpris. Chevalier errant, c'était assez rare. Il pensait être rattaché à une ville, ou un château.

-Je suis honoré d'accepter la décision du Conseil, répondit-il en ployant le genou.

La foule applaudit. Et on passa au suivant.

~

-Maître Ezeckiel ? Demanda Éric en s'approchant du Grand Maître d'Arme, qui contemplait d'horizon de l'air pensif qu'abordent tous les grands sages barbus en regardant par la fenêtre.

Le vieil homme fit signe qu'il l'avait entendu.

-Je ne conteste pas la décision du Conseil, exposa Éric. J'aimerais simplement comprendre. On n'a plus nommé personne chevalier errant depuis... Des lustres.

-C'était mon idée, Éric, répondit le Grand Maître en se retournant.

Il planta un long doigt noueux sur la poitrine du tout nouveau chevalier, juste au niveau de son cœur.

-Il te manque quelque chose, ici, mon garçon.

-Quelque chose ?

-Il te manque une couleur, dans ton univers si bien ordonné. Il te manque une nuance.

Éric n'était pas particulièrement calé en énigme de vieux sage.

-Oh, vous voulez dire, l'Amour ?

-« L'Amour », répéta le Maître en s'amusant du ton grandiloquent de son élève. C'est une bonne idée, Éric : part à la recherche de l'amour. Pas de l'Amour pur, magnifique et éthéré de tes histoires, hein, je te parle d'une affection sincère et tendre... Éric, est-ce que tu m'écoutes encore ?

Hélas, le chevalier était déjà ailleurs.

Finalement, songea-t-il, c'est l'aventure de ma vie ! Il ne me reste plus qu'à trouver une belle ou un beau à délivrer, quelque part...

Le Maître d'Arme soupira et reporta son regard vers le ciel, percé d'étoiles. Lorsqu'il se retourna, il était seul. Un sourire décora ses lèvres.

Dans quelle aventure ce petit est-il sur le point de se fourrer ?