La Puissance de la Haine, le Pouvoir de l'Amour
On peut dire ce qu'on veut du pouvoir de l'amour, la haine c'est vraiment trop cool.
Les Agents en première ligne n'ont eu le temps de tirer que deux fois après la disparition du bouclier d'énergie des égyptiens, deux fois avant que toutes armes à feu ne devienne terriblement trop lente.
Le Minotaure ne s'est pas arrêté, il a foncé dans la mêlée d'Agents comme un taureau fou de rage, ses longues cornes effilées en avant, envoyant voltiger hommes et femmes sur son passage comme de simples pantins en faisant gicler les premières éclaboussures écarlates. Peter a aussitôt hurlé un ordre télépathique à tout le monde : c'était tentant, mais si on s'était enfoncés sur le chemin sanglant tracé par le gardien du Labyrinthe on aurait aussitôt été débordés par les Agents sur nos flancs, encerclés. Les sangs mêlés comme les monstres se sont jetés sur nos adversaires avec des hurlements chargés de l'unique intention plus puissante que ne le sera jamais l'instinct de survie : le désir de vengeance.
Aussitôt que l'humain et le divin se sont entrechoqués les prisonniers ont dévoilés les aptitudes les plus folles : une fille qui chargeait à coté de moi s'est changée en une louve grande comme un poney et a sauté dans la mêlée accompagnée de deux manticores, un autre a tout simplement vibré des pieds à la tête avant de soudain disparaître, rapide comme le son, passant d'un homme en costume à l'autre en les renversant si vite qu'aucun Pas Fantôme n'aurait été capable de le suivre, un garçon d'à peine six ans s'est soudain changé en colosse de trois mètres couvert de muscles pour porter assistance à un géant sur lequel les Agents tentaient déjà de grimper. Ensemble, ils ont entrepris d'envoyer valdinguer les hommes en costume à leurs pieds à l'aide de grands mouvements de leurs immenses paluches larges comme des couvercles de poubelles. Pour la plupart peu ou pas du tout entraînés les jeunes évadés avaient l'avantage d'être bien plus imprévisible que les demi-dieux standards que les Agents avaient appris à combattre, d'ordinaire un homme de l'OMEGA pouvait engager le combat pour déterminer l'ascendance du gamin puis se battre en sachant très précisément de quoi il était capable, ici tout devenait possible – vraiment tout, j'entend par là qu'une petite fille s'est jeté à la gueule de l'un d'eux le corps crépitant d'électricité et a hurlé avec fureur « PIIIIIKAAAACHUUUUU ! » en communiquant à son adversaire un voltage mortel qui n'a laissé de lui qu'un corps fumant.
Forcés à se battre en combat rapproché sans rien pour se mettre à couvert autre que leurs propres potes, un à un, les Agents ont fait quelque-chose que je n'avais pas envisagé. Ils ont sortis des stylos, porté la main à leur montre, enlevé leur ceinture ou leur cravate, arraché des colliers de leur cou et sortis toutes sortes de petites conneries de leurs poches, et un instant plus tard ils ont eu entre les mains épées, boucliers, faux ou lance à double-sens, tout en orichalque. C'est seulement là que la vraie bataille a commencée, là qu'a éclaté cet innommable chaos au milieu duquel j'en suis sûr on tue beaucoup plus de ses alliés par inadvertance qu'on ne veut bien l'avouer quand tout est terminé.
Peter affrontait le gamin au regard vide de la bibliothèque, Riley. Des flammes noires couraient entre les mains de l'Embrumé et se propageaient à ses lames qui s'abattaient contre celle du petit blond, resplendissante d'une lumière bleue, à une telle vitesse que les deux enfants étaient à peine visibles. La plupart des égyptiens semblaient s'être changés en léopards pour ce qui serait sans doute la dernière fois et s'évertuaient telle une meute de loup à fatiguer tant bien que mal un colosse en costume qui faisait tournoyer une masse d'arme au-dessus de sa tête en mugissant.
Moi ?Moi, ayant tiré un minimum d'expérience de mon premier semblant de bataille à la Colonie j'ai saisi la première occasion de me hisser sur le dos du premier quadrupède que j'ai trouvé, le Lion de Némée, me cramponnant tant bien que mal à sa crinière alors qu'il distribuait coups de pattes et de crocs aux hommes en costume qui nous entouraient de toutes parts à une vitesse que sa taille ne laissait même pas envisager. Il n'a pas fait d'efforts particulier pour me désarçonner, sans pour autant se préoccuper de ma survie. Je ne pouvais pas me battre, pas alors que les seules armes qui ne passaient pas à travers les Agents étaient celles qu'ils abandonnaient en tombant et que je n'avais aucuns pouvoirs offensif. Une ou deux fois, des flèches se sont fichées dans la poitrine d'un Agent qui fondait sur moi trop vite pour que l'œil humain puisse le voir venir. Ethalidès gardait ses distances je ne sais comment mais il était encore ici, et il avait besoin de moi vivant.
Tristan était à fond : enveloppé dans des esprits du vent comme dans une armure il faisait tournoyer des hommes en costume qui battaient vainement des bras et des jambes en orbite autour de lui, il repoussait d'un seul coup de poing tous ceux qui parvenaient à l'approcher. Seul jamais il n'aurait eu une telle force mais les ventis étaient l'air qu'il contrôlait, ca ne lui réclamait rien de l'énergie qu'il avait fallu à son père pour déchaîner les vents à la Colonie, les monstres invisibles suivaient ses conseils plus qu'ils n'obéissaient à ses ordres. Non loin de lui pour la première fois j'ai vu Amos et Julius se battre réellement ensemble, armés d'épées volées. C'était comme s'ils étaient un seul et même esprit synchronisant deux corps dans un unique ballet mortel, ils avaient la bêtise d'affronter leurs adversaires avec le souci de ne tuer personne mais les Agents tombaient assommés un par un débordés par des coups qui n'avaient plus rien à voir avec un système de combat classique. Julius ne baissait sa garde que pour mieux laisser leurs adversaires se jeter dans les ouvertures qu'il faisait mine de leur offrir et laisser Amos parer l'assaut pour lui avant de profiter de la maladresse des hommes en costume qui alors pour le coup avaient réellement baissé leur garde pour leur abattre le pommeau de son épée sur la nuque, en plein ventre ou dans la gueule. Chaque fois qu'un Agent croyait parvenir à faire voltiger une de leurs épées hors des mains de son propriétaire ce n'était qu'une ruse pour l'envoyer directement dans les mains de l'un ou l'autre des frères qui jetait aussitôt sa propre arme sur leur opposant pour fournir une nouvelle lame à celui qui avait été désarmé, transformant ce qui aurait dû être les meilleures occasions de leurs ennemis en leurs moments de plus grande vulnérabilité. Ca n'avait rien d'aussi simple que d'affronter deux personnes à la fois : ceux qui se trouvaient sur leur chemin avaient affaire à un guerrier à quatre bras, quatre jambes, quatre yeux, capable de se diviser et se réarranger dans l'espace sans jamais rien perdre du lien qui unissait chacun de leurs mouvements et le moindre de leurs faibles sortilèges.
De temps à autre, un Agent se retournait subitement contre ses alliés, sans un mot, à la stupéfaction de tous, puis retrouvait ses esprits un instant avant d'être abattu par son propre camp. Des eidolons étaient à l'œuvre, sans aucuns doutes.
Un garçon d'une quinzaine d'année maigre comme un clou qui combattait aux cotés d'un détachement de cyclopes a été tranché en deux sous mes yeux. Par là j'entends qu'il s'est réellement divisé en deux : au moment où l'épée est entrée en contact avec lui il s'est changé en lumière mauve qui s'est divisé en deux pour prendre la forme de deux ados précisément identiques qui ont continués la lutte comme si de rien n'était, devenant bientôt, quatre, puis six, puis leur peau s'est... changée en métal. J'étais totalement incapable de deviner le parent divin du moindre participant à cette bataille.
Soudain alors que je m'évertuais à trancher les cordes que les Agents tentaient de faire passer sur le dos de mon Lion pour le clouer au sol j'ai senti un poids supplémentaire s'abattre sur lui, juste derrière-moi. Avant que je me puisse me retourner j'ai reçu un terrible coup en plein flanc et j'ai basculé de ma monture qui a presque aussitôt explosé en gerbes de poussière dorée, puis j'ai reçu un coup de pied dans la mâchoire dépourvu de la moindre once de pitié qui m'a fait hurler de douleur et cracher une demi-douzaine de dents dans une écume sanglante. On n'imagine pas la douleur que peut provoquer ne serait-ce qu'une dent arrachée sans anesthésie, c'est une méthode de torture. Quand j'ai pu me relever j'ai enfin pu voir mon adversaire un instant avant de prendre un coup de poing dans le menton à faire pâlir d'envie tout ceux qui avaient eu un compte à régler avec moi jusqu'à présent. C'était la blonde de la bibliothèque, armé de deux poignards. Et elle était folle de rage. Sans même le regarder elle a esquivé un telchine qui se jetait sur elle crocs découverts et lui a brisé le cou avant de continuer d'avancer vers moi. J'ai déployé mes propres poignards par réflexe avant de me souvenir que c'était tout à fait inutile.
-Tu crois pouvoir t'amuser avec moi ?!, a-elle hurlé. Je t'aurais tué bien avant que tu ais pu dire quoi que ce soit à qui que ce soit !
Je n'ai rien répondu, pas parce-que je manquais de répartie cinglantes et clichés mais parce-que, je vous le répète, elle m'avait arraché des dents et seul l'adrénaline m'empêchait de souffrir le martyr. Elle a disparue et réapparue dans mon dos pour m'asséner un coup entre les omoplates à l'aide du manche d'un de ses poignards.
-TU CROYAIS M'ASSERVIR ?!
Je connaissais cette haine qu'elle portait dans tous ses mouvements sans me tuer pour autant : elle voulait me faire souffrir – et elle savait le faire. C'était personnel. Mais pourquoi ?
-D'abord tu vas me dire comment tu l'as appris, a-elle craché en me faisant une clé de bras. Ensuite peut-être que je t'accorderais une mort rapide. PARLE !COMMENT ?!
J'ai poussé un rugissement de bête sauvage avant de trouver le moyen de la précipiter à terre avec moi. Elle m'a lâché, le souffle coupé, me permettant d'obtenir une seconde pour ramper hors de sa portée. Puis elle s'est à nouveau jeté sur moi, plus comme une Agente mais comme un animal fou de rage. J'avais indéniablement fais quelque-chose à cette fille, mais j'avais beau être le plus grand salaud de moins de quinze ans qui ait jamais vécu j'étais sûr que si c'était le cas j'aurais dû m'en souvenir.
C'est alors qu'il s'est passé ce truc qui n'avait plus aucuns sens. J'ai agi par pur instinct de survie, tout en sachant que ca n'aurait jamais dû pouvoir fonctionner : j'ai tenté un coup de poignard latéral, dans l'espoir de simplement la repousser... et elle a aussitôt bondit en arrière, une estafilade sanglante décrivant le chemin de ma lame sur sa joue. J'ai regardé la pointe de mon poignard imbibé de son sang, du sang mortel, incapable de comprendre. Ca n'avait aucuns sens. Le bronze céleste ne pouvait pas interagir avec les mortels. La seule explication c'était que...
Brutalement, elle a poussé un hurlement presque aussi sauvage que celui que j'étais capable d'émettre dans mes pires moments de rage et, renonçant à me faire avouer ce qu'elle pensait me faire avouer, elle a fait tournoyer ses poignards entre ses mains pour les rechanger... en revolver. Elle les a pointés sur moi alors que des larmes coulaient sur ses joues. Il se passait quelque-chose, quelque-chose qui n'avait plus rien à voir avec cette bataille, comme si j'avais lu une histoire en sautant un chapitre.
Alors qu'elle allait tirer une ombre s'est brièvement profilée au-dessus de nos têtes. Saisissant une chance inespérée j'ai attrapé une patte à une harpie qui survolait le champ de bataille en un éclair alors qu'elle passait au-dessus de moi, échappant de peu aux balles qui ont troués le sol à l'endroit où je me tenais une fraction de seconde plus tôt comme autant de promesses de mort. En un instant le visage furieux de la blonde s'est perdu dans la mêlée de combattants qui s'agitaient en-dessous de moi. Ce qui venait de se produire n'avait aucuns sens. Ou alors... peut-être qu'elle m'en voulait à cause de ce qui c'était passé à la gare, parce-que j'avais épargné sa vie ?J'ai compris que je n'avais pas le temps d'y penser quand une lance qui ne venait certainement pas d'un de mes alliés m'a dangereusement éraflé le cou.
La harpie a fait un looping au plafond puis a à nouveau fondu sur les Agents en-dessous de nous comme un aigle sur sa proie. Sans la lâcher, j'ai envoyé au premier homme sur mon chemin un coup de pied chargé de tout l'élan de notre descente en piqué, l'assommant (je crois ?) sur le coup, puis un autre, et un de plus avant de ne plus être qu'un pauvre mec suspendu à un poulet dans une bataille terrestre. La patte de la harpie s'est changée en sable sous mes doigts et je me suis effondré au sol, sonné, avant de pousser un cri de terreur : soudain j'étais nez à nez avec d'Artagnan, à un souffle de son faciès d'illuminé, comme si je l'avais interrompu alors qu'il rampait à plat ventre sur le sol.
-Mais qu'est-ce que vous foutez ?!
-Ma foi jeune homme comme je l'ai répété à maintes reprises mon talent sans égal repose dans le maniement des armes, et donc avant toute choses en leur possession !Piètre guerrier que l'ont pourrait me croire ainsi dépourvu de lame je ne saurais m'emparer du fer qui brille entre les mains de nos opposants !
-Vous essayez de vous carapater en rampant sur le sol parce-que vous êtes trop merdique au combat pour piquer une épée ?!MAIS VOUS ÊTES UN FILS D'ARES BORDEL DE MERDE !
Le visage du mousquetaire s'est empourpré de colère et d'embarras.
-Un Leg, à dire vrai !Et je ne saurais vous permettre une telle démonstration d'irrespect envers ma propre personne, parbleu !Allons dont garçon, je vous défie !
-Mais que... quoi ?!
-Allez !Un duel, ici et maintenant, à même le sol au cœur même de la folie de la bataille, en vrai spadassin que je suis !A moins que l'âge d'homme vous n'eusse point encore atteint ?!Combien de printemps depuis ton premier jour, enfant ?!
-Mais vous n...
-COMBIEN ?!
Vous l'imaginez bien, au beau milieu de la bataille une conversation entre vrai-faux cadavres ne pouvait s'éterniser. J'ignore comment c'est arrivé. Peut-être qu'un petit détachement d'Agents avait pour seul tâche de s'en prendre exclusivement aux quelques Infernaux parmi nous, peut-être qu'on leur avait tout spécialement communiqué de chercher d'Artagnan et de l'éliminer aussi vite que possible parce qu'on le savait dans les cellules avec nous au moment de l'évasion et qu'il était quand même censé être ultra-dangereux. Toujours est-il qu'avec une synchronisation délirante que seul un travail d'équipe pouvait rendre possible pas moins de dix Agents se sont soudain dressés au-dessus de nous, leurs diverses lames prêtes à s'abattre sur leur cible et sur moi par la même occasion.
Tout s'est passé en un éclair. J'ai repensé aux menottes d'Hélèna, en orichalque, que j'avais su ouvrir. Mes pouvoirs fonctionnaient sur leur métal. Dans un geste désespéré, alors même que les Agents amorçaient un mouvement pour nous transpercer de part en part j'ai tendu la main entre les pieds de l'un d'eux pour attracter une épée à double tranchant que j'ai arraché des mains d'un évadé en plein duel à deux contre un – tant pis pour lui.
Il y a eu comme un séisme dans l'air, une formidable explosion de puissance, et soudain, comme si j'avais raté un épisode, D'Artagnan était debout, la lame que j'avais pu attirer à lui levée au-dessus de sa tête dans un geste majestueux, un vent violent surgi du néant l'entourant de toutes parts en faisant virevolter ses cheveux longs alors que la totalité de ses dix adversaires basculaient en arrière autour de lui couverts de coupures sanguinolentes dont nul ne pouvait se remettre. Il les avait tous tranchés, en un unique instant. Il avait même l'air un peu moins fou.
-SUS A L'ENNEMI MES BONS AMIS !
Non j'ai rien dis. Là-dessus il a sauté sur le dos d'un chien des Enfers qui passait par là et il a parcouru le champ de bataille en fendant l'air de sa lame dans des gestes aux apparences vaines et désordonnés mais dont l'efficacité était absolument indéniable. Soudain, alors qu'il était juché sur une créature de cauchemar, brandissant sa lame le regard égaré et entouré des gerbes de sang qu'il ne cessait de faire jaillir dans les airs, j'ai fini par voir le descendant d'Arès en lui.
A cet instant le Minotaure s'est effondré à mes pieds en poussant un long mugissement de douleur et s'est changé en sable, vaincu. J'étais sûrement le premier sang-mêlé dans une situation qui ne prêtait pas à se réjouir de la mort du Minotaure.
De temps en temps j'entendais Peter hurler un ordre par télépathie : débordez leur flanc droit, une manœuvre de récupération par harpies au front... j'ignorais si quelqu'un en prenait vraiment compte, moi je ne pouvais pas, comme à chaque fois que je m'étais battu je ne voyais que des corps filants et repassant autour de moi dans un concert de cri et de rugissements, le tout encore embrumé par la terreur qui me tordait les tripes malgré l'adrénaline. J'ignore si j'ai tué ce jour-là. Il y avait trop de chaos, trop de sang, j'étais à peine entraîné et tout allait trop vite pour que je sois capable de comprendre quoi que ce soit, d'autant que sans armes contendantes pour transpercer la chair j'en étais sans cesse réduit à me demander si j'assommais les quelques adversaires que j'ai pu prendre par surprise ou s'ils tombaient raides morts d'une commotion cérébrale. Ne vous y trompez pas, cette bataille n'eut rien de glorieuse, elle n'a fait que me démontrer que même au cœur de l'enfer on pouvait encore tomber plus bas.
Peu à peu l'effet de surprise découlant des capacités des prisonniers s'effaçait et les ravages de l'orichalque commençaient à se faire sentir. Beaucoup avaient volés leurs armes sur les corps des Agents morts au combat, et la moindre coupure sapait leurs forces d'une façon que j'étais sans doute incapable de comprendre. L'orichalque ne brûlait pas, mais si j'avais tout pigé en porter sur soi plus de quelques minutes c'était s'exposer à la kryptonite. Quand aux monstres, le sol se couvrait peu à peu de sable et de trophées, dont la tête de Méduse que j'ai utilisée sans remords pour pétrifier un homme prêt à m'achever.
Une pensée qui aurait dû m'effleurer bien plus tôt m'est venue à l'esprit : on ne pouvait pas battre l'OMEGA à domicile. Les Agents étaient des hommes surentraînés, et on commençait tout juste à en prendre conscience. Ils restaient debout face à des blessures qu'aucuns des enfants n'étaient capable d'encaisser, il pouvait combattre n'importe-quel arme à mains nues, disparaissaient au moment les plus inattendus pour ressurgir derrière les prisonniers et leur briser la nuque sans état d'âme. A la moindre seconde de répit dans un duel ils changeaient les armes qu'ils portaient en pistolet et abattait leur opposant au beau milieu de ce qui était un instant plus tôt un combat d'épées. Ils semblaient capables de mémoriser les capacités de tous les sang-mêlées qu'ils entrecroisaient pour ensuite anticiper leurs mouvements en les affrontant un peu plus tard.
Peter pourtant à présent épaulé par Amos et Julius perdait peu à peu l'avantage face à Riley, seul à un contre trois mais qu'aucune blessures ne semblait pouvoir arrêter. Les égyptiens étaient redevenus humains et luttaient tant bien que mal privés de leur magie, si ce n'est un léopard qui avait cessé de bouger, étendu sur le sol. Des mômes ont commencés à s'effondrer plus nombreux autour de moi, la gorge tranchée, couverts de sang, ou bien plus froidement encore d'une balle en pleine tête. Des coups de feu rares quelques minutes plus tôt ont couverts les cris de rage des monstres et des demi-dieux. Les métamorphes redevenaient humains, les supers-rapides redevenaient visibles. C'est alors qu'une main s'est abattue sur mon épaule. Je l'ai saisi pour tenter de casser le bras de mon adversaire, mais je me suis retrouvé nez à nez avec...
-Hélèna ?Tu... tu...
-Je me suis réveillé, a-elle haleté.
Elle était livide, à peine capable de tenir debout. On aurait dit le fantôme d'Hélèna Harper. Etait-elle-même encore une demi-déesse ?Qu'est-ce qu'elle voyait exactement ?
-Derek c'est... qu'est-ce qui se passe ici ?!Comment on en est arrivé là ?!
Comment on en est arrivés là, ouais. J'aurais bien voulu le savoir. C'est à cet instant que j'ai compris qu'il était temps de tirer notre révérence. J'ai hurlé de toutes mes forces, sans avoir la moindre idée d'où il se trouvait dans le chaos :
-PETER !ON ABANDONNE LES MONSTRES !ON SE CASSE !
Quoi ?Ben oui, on abandonne les monstres !Vous n'avez tout de même pas cru qu'une alliance pareille pouvait durer, si ?
-RETRAITE !, a hurlé le petit blond en réponse dans nos esprits à tous. RETRAITE !PASSEZ LA PORTE, LAISSEZ LES MONSTRES SE BATTRE !
Ca a été la débandade. Pour certain, que ce soit grâce à leurs pouvoirs ou leur localisation ca a été facile. D'autres se sont fait tirés dessus alors même qu'ils croyaient pouvoir tourner le dos à leurs adversaires au beau milieu d'un combat.
D'Artagnan a surgi à mes cotés en agonisant je ne sais qui d'insultes moyen âgeuses :
-FAQUINS !NIGAUDS !COUREUSES DE REMPARTS !J'eût tôt fait d'estourbir moult encore de ces ventres bleus avant même que la faucheuse elle-même n'ait pu se pencher sur leurs corps froids, nul besoin de sonner la retraite, damoiseau !
-Continuez vos conneries si ca vous tente, moi je veux pas mourir ici !
Soudain D'Artagnan a été happé par un éclair flou qui l'a emporté avec lui. Un super-rapide. Presque au même moment une ado est apparue sous mes yeux dans un fin nuage de brume et nous a saisi moi et Hélèna. Une fraction de secondes plus tard j'étais parmi les survivants, tout comme le mousquetaire qui est réapparu un peu plus loin avec le jeune bolide. On était peu. Vraiment peu. Une trentaine, dont une quinzaine forcé de s'appuyer sur les autres pour marcher, alors qu'on était partis à presque cent. Une fois de plus ils me regardaient tous comme si le salut ne pouvait provenir que des mes mots – j'osais à peine imaginer l'insurmontable pression qui aurait pesé sur mes épaules si j'en avais eu quoi que ce soit à faire de ces gars.
J'aurais dû demander si c'était tout ce qu'il y avait, vérifier au milieu de la bataille à juste vingt mètres si d'autres gamins tentaient encore de s'échapper, envoyer nos téléporteurs. J'avais si peur que ca m'a même pas traversé l'esprit, je ne me suis même pas retourné. Je ne voulais pas voir ce qu'on laissait derrière-nous. Des enfants avaient tués et avaient été tués, aujourd'hui. Et le seul réconfort accordé aux survivants serait l'idée que quel que soit cette partie de soi même, cette innocence qu'on perd en ôtant la vie, on la leur avait probablement déjà arrachée à tous et à toutes des années auparavant.
Un groupe d'Agent a enfin compris ce qui se passait et nous a mis en joue, déterminés à ne laisser personne leur échapper, mais un mec couvert de bouton s'est avancé et a prit une grande respiration avant de lâcher un éternuement qui eu la puissance nasale d'une bombe : les premiers Agents ont été projetés en arrière recouverts d'une morve qui s'est solidifiée pour clouer au sol tous ceux qui y mettaient les pieds
-Beeeerk..., a fait quelqu'un parmi nous.
-Ca les ralentira pas longtemps, ai-je rétorqué. Grouillez !
-C'est le dernier étage, il faut juste sortir !, a déclaré Peter.
-Attendez !, a crié Hélèna toujours pâle comme la mort soutenue par Sarah. Et... et le Livre ?Il est encore ici, quelque-part, pas vrai ?!C'est peut-être notre dernière chance, la seule qu'on aura, on a quand même fait tout ca pour l'abandonner si près du...
-On l'abandonne, le Livre !, l'ai-je coupé.
-Sérieusement ?Après tout ce qu'on a fait pour l'obtenir ?!
J'ai serré les dents. Bien-sûr que je le voulais, ce foutu bouquin. Mais j'avais fini par comprendre quelque-chose : le Livre n'avait rien à voir avec ce qui se passait en ce moment. Il était une autre histoire, une autre quête, quelque-chose de capital mais qu'on pouvait pas se permettre de prendre en considération dans l'immédiat. On ne pourrait pas percer les secrets du Livre et encore avoir le temps de vaincre Persée Jackson, il fallait se concentrer sur nos priorités, c'était en tentant de tout gérer en même temps qu'on avait fini dans cette situation, juste en nous détournant de notre objectif pour le Livre. Une aventure à la fois. D'ailleurs, je n'avais toujours pas eu le temps de demander à Peter ce qu'il avait apprit dans ce bouquin juste avant de prendre une balle en pleine tête.
Il n'a pas fallut plus d'un tournant pour qu'on se retrouve face à une échelle. Je me suis jeté dessus avant tout le monde puis j'ai commencé à me hisser à la force de mes bras à une vitesse que seule la peur de mourir savait conférer. Arrivé en haut j'ai poussé un sas circulaire pour enfin émerger à l'air libre et m'effondrer à terre, à bout de forces.
Attendez. A l'air libre ?Je me suis redressé alors que les évadés suivants commençaient à me rejoindre, et aussitôt j'ai été pris d'une violente envie de vomir à nouveau. Un vent violent soufflait dans mes cheveux. J'étais enveloppé d'un froid mordant qui mettait au supplice mon torse nu comme autant d'aiguilles de glaces qui taquinaient ma chair. Au-dessus de ma tête s'étendait un beau ciel bleu totalement hors contexte parsemé de quelques nuages épars. Je me suis levé. Ont étaient sur une piste de décollage, la plus grande, la plus gigantesque des pistes de décollage, elle s'étendait à pertes de vue. Une bonne trentaine d'avions de chasse et autres véhicules volants plus ou moins gros et modernes attendaient en rang, quelques hangars avaient été établis ici et là, mais rien qui pourrait permettre à une bande de gosse de rejoindre le plancher des vaches. Voilà pourquoi personne n'avait jamais trouvé la base de l'OMEGA, voilà pourquoi il était absolument impossible de s'en échapper. Le quartier général de la division américaine de l'OMEGA n'était pas un bâtiment, c'était un gargantuesque vaisseau conçu par un mec qui avait beaucoup trop regardé Avengers. Une base en plein ciel et qui se déplaçait sans cesse. J'aurais même juré qu'il avait la forme d'un oméga, la lettre grecque, avec un immense réacteur au deux bouts de la lettre, mais c'était comme tenter de décrire un géant quand on n'était qu'une fourmi sur son épaule.
Peter s'est hissé à la surface à son tour. Je l'ai empoigné par le col, furieux et terrorisé :
-Tu le savais !Tu savais que c'était impossible, depuis le début !Tu m'explique comment on est censés faire pour s'évader ?!EST-CE QUE TU SUGGERE QU'ON SAUTE DANS LE VIDE PUTAIN D'ABRUTI ?!
Il a muettement pointé du doigt quelque-chose derrière-moi. Je me suis retourné pour découvrir un étrange vaisseau, bien plus grand que les autres, aux airs de jet privé futuriste. Il était assez large pour qu'on puisse tous monter à bord, sans aucuns doutes, mais...
-J'ai été infoutu de conduire une voiture et tu veux que j...
-Personne n'auras rien à faire, il suffit de programmer le pilotage automatique, Papy a programmé celui-là pour qu'il nous mène le plus loin possible, au bout de dix minutes il va passer au-dessus d'une ville. On sera forcément rattrapés par des vaisseaux chasseurs, ils seront plus rapides...
-QUOI ?!Tu t'es cru dans Star Wars ?!
-... c'est pour ca qu'il y a assez de parachutes là-dedans pour tout le monde !C'est pas comme si on avait le temps de saboter tous les autres véhicules !
-Tu veux... tu veux qu'on saute en route ?!
-Si on peut atterrir en ville sous les yeux des civils l'OMEGA ne pourra plus rien faire, ils nous perdront !Il faut juste tenir dix minu...
Finalement, on n'a pas eu besoin de voler un jet. Parce-que soudain, notre véhicule de sauvetage a explosé avec un vacarme de fin du monde. On l'a regardé se calciner dans un enfer de flammes, les yeux écarquillés. Des hélicoptères ont soudain surgi au-dessus de nos têtes dans un nuage gris, comme s'ils se débarrassaient d'un manteau de Brume. Le ciel en était rempli, le vrombissement d'une vingtaine d'oiseaux de la mort a envahi mes oreilles, un vacarme que seuls les Repentis d'Hécate avaient pu dissimuler. Ils étaient tous équipés de lance-roquette pointés sur nous. Ils nous attendaient. Ils savaient aussi bien que Paul Blofis que le toit était l'unique sortie, et dés le début de l'alerte bien entendu qu'ils l'avaient lourdement surveillée. Notre seul espoir était si évident que nos ennemis l'avaient vu venir depuis longtemps déjà.
-Vous êtes cernés, les enfants.
On a tous sursautés. La voix provenait d'un haut-parleur dans l'un des appareils.
-Votre révolte n'a pas de sens. Renoncez à lutter, retournez dans vos cellules et vous aurez tout ce pourquoi vous êtes en train de vous battre.
-Non mais tu te fous de ma gueule ?!, ai-je rugit d'une voix ridiculement ténue parmi les hélicoptères.
Soudain, un missile a fusé de son étui sur le flanc d'un hélico et s'est écrasé à dix mètres de moi dans un vacarme de fin du monde, répandant la terreur et le feu. Pas assez près pour me tuer, largement suffisamment pour tous nous assourdir et nous faire basculer en arrière, sous le choc.
-Les autres enfants ne sont pas morts. Nous ne les avons pas tués, nous les avons relâchés. Croyez-vous vraiment qu'on puisse enlever des enfants par dizaine sans que personne ne se rende compte de rien ?Nous vous avons fais des choses horribles, et nous le savons. C'était pour le bien de l'humanité, pour la science !Je ne m'attends pas à ce que vous compreniez, vous êtes jeunes. Mais écoutez-le : personne n'a jamais été tué. Une fois que nous avons obtenus de vous toutes les informations que nous pouvions tirer, nous vous soignons, nous vous ramenons à vos familles et nous effaçons vos mémoires. Vous ne garderez aucuns souvenirs, de rien de ce que vous avez vécu ici. La partie de vous-même que nous vous avons emprunté, nous avons toujours eu pour projet de vous la rendre.
C'était des mensonges, bien-sûr. N'importe-qui aurait pu le voir, les demi-dieux étaient prodigieusement rare, il avait fallut des années pour en rassembler un tel nombre, ils en avaient déjà perdu les trois quarts et espéraient pouvoir sauver au moins quelques spécimens pour continuer les expériences. Mais jamais de ma vie je n'avais entendu mensonge plus séduisant. On était acculés, sans ressources, sur le point d'être tués l'espoir que peut-être on leur disait la vérité c'était absolument tout ce qui restait à ces gosses. C'était encore bien plus intelligent que de juste leur affirmer qu'ils pourraient rentrer chez eux, ce qu'on leur proposait c'était de faire en sorte que tout redevienne comme avant, comme si rien ne leur était jamais arrivé, leur rendre ce truc en eux qu'ils avaient perdu pour toujours balayé dans le sang et les larmes. C'est pour ca que soudain, je me suis senti non plus à la tête d'un groupe d'évadés mais au beau milieu d'une foule d'ennemis potentiels.
Les prisonniers s'entreregardaient, tous s'efforçant de ne trahir aucune hésitations mais guettant un mouvement allant dans ce sens de tous les autres. Il suffirait qu'un seul d'entre eux décide de se laisser charmer pour qu'il fasse flancher tous les autres comme autant de dominos, rien n'est plus influençable qu'un gamin terrorisé. Et quel autre choix on avait, quand bien même on refuserait d'y croire ?Ils pointaient des putains de missiles sur nous, des vrais de vrais !C'était facile de préférer la mort à la capture quand il avait suffit de se laisser porter par une colère qui avait couvée pendant des années avant d'exploser, de se laisser envahir par l'adrénaline qui ne demandait que ca, là il n'y aurait pas de combat, pas de mince espoir ni d'ultime vengeance, rien que le feu et la pire des agonies pour qui survivrait à l'explosion.
Soudain, quelqu'un est passé devant moi. Un gamin au visage cramoisi baigné de larmes et aux cheveux blancs. Amos. Evidemment. Lui plus que tout autre il ne voulait pas mourir. Il n'avait même pas passé une journée dans cette prison, jamais subi la moindre expérience et n'en avait jamais été témoin comme moi, il était incapable de comprendre toute la mesure de l'enfer sous nos pieds et on ne lui avait pas encore prit cette lumière qui manquerait à jamais à tous les autres s'ils survivaient. Bien-sûr qu'il voulait vi...
-ALLEZ VOUS FAIRE ENCULER !
Je vous laisse imaginer le silence de mort qui a suivi cette déclaration faite au nez et à la barbe d'une centaine de rockets gentiment pointées sur nous. Amos lui-même était incapable de s'empêcher de trembler.
-MON PERE VA VENIR !IL EST LA, QUELQUE-PART, ET C'EST VOUS QUI FERIEZ MIEUX DE VOUS RENDRE AVANT QU'IL APPRENNE TOUT CE QUE VOUS AVEZ FAIT !
-Amos..., a sangloté Julius dans un murmure.
La foi aveugle en son papa d'un pauvre gamin désespéré. Pourtant, ca m'a amené à une pensée stupide. Absolument stupide. Ca m'a poussé à me rappeler que sa certitude aussi naïve soit-elle ne venait pas de nul-part, en fait. C'était ce qu'Arsène Lupin lui avait dit. « -Oh, Carter Kane est bel et bien ici. A mon instar il est bien plus proche encore que ne saurait le dire la coquille qui l'abrite ! ».
C'était stupide. Je veux dire, c'était juste les pleurnicheries d'un môme. Mais... et si c'était vrai ?Je n'avais pas la moindre idée du sens des paroles de Lupin mais... d'une certaine manière et aussi étrange que ca puisse paraître, à bien y réfléchir il ne mentait jamais. Carter Kane était là, quelque-part.
J'ai poussé Amos sur le coté tout en l'empoignant solidement par l'épaule et j'ai tendu mon autre main vers l'hélico d'où provenait la voix :
-Vous vous croyez en position de force ?!On n'a pas besoin de Carter Kane, donnez-moi juste une seule bonne raison de ne pas faire exploser tous vos engins, juste pour le plaisir ?!
Aussitôt, deux autres missiles ont pointés hors de leurs étuis. Une manœuvre d'intimidation, une véritable résolution de finalement nous tuer par prudence, ca n'avait pas d'importance. Ils allaient tirer, et je voyais à peu près où. Plus ou moins précisément là où j'ai sans états d'âme balancé Amos en le jetant en avant de toutes mes forces – léger, ce gosse. Les missiles ont jaillis droit sur lui. Julius a poussé le hurlement abominable de celui à qui on s'apprête à arracher une partie de lui-même en se précipitant vainement en avant.
Je n'avais pas spécialement envie de buter le petit, mais de toute façon sa mort n'aurait pas de conséquences pour moi et on allait tous y passer sous peu, alors... vive le pragmatisme.
Et alors, c'est arrivé. L'impensable, la clé qu'Arsène Lupin avait subtilement posé là pour me permettre de m'échapper d'ici. J'aurais pensé à tout sauf ca. Soudain, quelque-chose a brillé de mille feux au milieu de notre petit groupe de prisonnier et une comète de lumière dorée a jailli parmi nous en me frôlant de si près que j'ai senti s'embraser mon visage pour aller se placer devant Amos effondré à terre. La comète a changé de forme, grandit, d'étranges proéminences se sont déployés sur ses flancs. On aurait dit les immenses ailes de feu et de lumière d'un phénix renaissant tout juste de ses cendres. Et un immense hurlement a retenti, surpuissant, qui a ébranlé la terre comme le ciel. Le hurlement d'un faucon.
J'ai éclaté d'un rire tout aussi joyeux que diabolique, irrépressible. Les esclaves de l'amour étaient si prévisibles !Il n'existait pas de meilleur moyen de forcer un père à se dévoiler que de menacer de buter son môme. YES !
Les missiles se sont écrasés sur l'oiseau lumineux et ont explosés avant d'être réduits en cendres. J'ignore comment c'est possible, j'ignore si ca a physiquement un sens, mais je jure que l'explosion a prit feu, des flammes dévorées par des flammes. L'OMEGA n'a pas attendu de comprendre la nature du phénomène : une pluie de missile s'est abattue sur le phénix, sûrement assez pour très sérieusement endommagé le QG, le mouvement d'un commandant paniqué par une situation qu'il ne maîtrisait plus. Mais l'oiseau s'en foutait : d'un seul battement d'aile il a calciné jusqu'au dernier des projectiles dans une supernova que je n'oublierais jamais, un ballet de flammes et de lumière au milieu duquel il se tenait noble et intact les ailes déployées sur toute leur envergure, Amos sans une brûlure à ses pieds.
-LES MOTS SONT PUISSANCE, a tonné une voix puissante dans les flammes qui a sans peine envahie l'espace. LES MOTS SONT SAVOIR, LES MOTS SONT POUVOIR. ET POUR CEUX QUI EN ONT L'HERITAGE, LES MOTS SONT MAGIE. JAMAIS PLUS VOUS NE SOUS-ESTIMEREZ MES MOTS !
Quand enfin l'explosion eut fini de brûler, on a pu entrevoir un homme au centre de la lumière qui a commencé à refluer. Puis enfin elle est rentrée en lui, et amis comme ennemis ont pu voir clairement la plus belle vanne du millénaire. La personne qui se tenait au-dessus d'Amos, c'était le vieillard. Ce vieillard dans la cellule d'Hélèna quand elle était arrivée ici qui méditait sans un mot suspendu à ses chaînes, ce vieillard aux allures de sac de rides, à la barbe blanche et longue deux fois comme moi, qu'il avait fallu aider à marcher puis porter durant toute l'évasion. Sous nos yeux sa barbe a commencée à noircir et brûler pour ne laisser qu'un bouc, son corps voûté s'est redressé alors que sa peau mat se tendait à nouveau sur des muscles puissants qui ne laissait de son corps décharné qu'un souvenir à peine croyable, que la force revenait en lui à vu d'œil et que ses cheveux prenaient la couleur du charbon. Lupin n'avait dit que la vérité. Carter avait été avec nous depuis le début. Et il était vraiment, mais alors vraiment en colère.
-Qui désire la mort d'un Kane ne creuse que sa propre tombe. Toujours.
-Rendez-vous sur le champ, a fait la voix du haut-parleur délicieusement tremblante. Vous êtes en sous-nombre. Vous êtes...
Et pas patient, non plus. Le meneur du Nome de Memphis a plongé une main dans la Douât – si j'en juge par son bras qui s'arrêtait soudain à son coude – et en a tiré un long bâton ouvragé semblable à celui des jeunes égyptiens sidérés. Puis il a fait un mouvement du bras et les hélicoptères ont explosés, tous en même temps, ils ont si bien grillés que même les carcasses des appareils n'étaient plus que cendres bien avant de s'écraser au sol.
Tout s'était passé incroyablement vite, vingt secondes. Soudain, nous étions seuls, débarrassés des Agents au moins pour un moment. Et tant de questions méritaient d'être posées qu'un silence de mort où seul régnait le hurlement du vent s'est abattu sur la scène. Amos ne s'était toujours pas relevé, en état de choc, incapable même de concevoir que tout ca pouvait être davantage qu'un rêve. Il avait cherché son père des années durant, et il était là, au moment où il avait eu besoin de lui plus que jamais.
Carter a posé les yeux sur lui, un regard doux qui a transformé du tout au tout le visage du guerrier qui venait de réduire ses ennemis en poussière.
-« Allez vous faire enculer » ?Qu'est-ce que je t'ai déjà dis à propos de ton langage, jeune homme ?
Amos a éclaté en sanglots et s'est jeté dans le bras de son père, Julius lui aussi en larmes a fendu la foule et en a fait autant, bla, bla, bla, les autres égyptiens à peine remis de leur surprise se sont précipités sur lui à leur tour bla, bla, bla, scène dégoulinante d'amour et de bonheur dans un cadre rose bonbon en forme de cœur, bwaaaark. Bref, ce truc larmoyant totalement hors contexte. Moi ce que je voulais, c'était des explications et un moyen de tracer la route avant qu'on nous envoie les remplaçants des gros cons qui venaient de cramer, pas nécessairement dans cet ordre d'ailleurs.
Soudain, Carter a posé les yeux sur moi, le regard d'un faucon qui s'abat sur une proie potentiel. Ah oui. Carter Kane, hôte du dieu pharaon Horus, tous ca tous ca. J'ai commencé à avoir chaud, très, très chaud. C'était quoi déjà?Qui désire la mort d'un Kane ne creuse que sa propre tombe ?
Sans avertissement un soupçon de son aura a fondu sur moi comme un coup de poing dans la gueule, si écrasante que je suis tombé à genoux le souffle coupé, la queue entre les jambes pour la première fois de toute ma vie. Des images terrifiantes de carcasses dévorées par des oiseaux, de carnages et de sang, ont défilés sous mes yeux. Seule la fierté la plus élémentaire m'a empêché de me pisser dessus comme un louveteau terrifié par le mâle dominant.
-Je comprends les raisons qui t'ont poussé à faire ce que tu viens de faire, m'a-il crié sans franchir les quelques mètres qui nous séparaient. Mais fait-le encore et je te tuerais comme n'importe-lequel de mes ennemis.
-... j'ai fais un faux mouvement ?
Finalement il a fallut qu'Hélèna se place devant moi pour que Carter cesse de m'écraser sous les miettes de son pouvoir.
-C'est n'importe-quoi ! Qu'est-ce que vous faisiez là, pendant tout ce temps ?Pourquoi vous vous êtes changé en vieillard, pourquoi vous ne nous avez pas aidé à fuir ? Des gens... des gens sont morts, des enfants sont morts pendant que vous faisiez semblant !
-Comment c'est possible ?, ne cessait de répéter Julius en tremblant de soulagement et en pleurant, comment c'est possible ?
-Je ne faisais pas semblant. J'ai été capturé par l'OMEGA plusieurs années auparavant – ne sous-estimez pas ces gens, ils ont su se montrer plus fort que moi et j'ai été privé de mes pouvoirs par l'orichalque comme n'importe-quel magicien. Je savais que je serais torturé, disséqué, je savais que mon seul espoir était d'attendre l'occasion propice à ma fuite et que jamais je ne la verrais venir si le moment venu la magie me manquait. Horus se refusait à mourir, alors il a daigné me faire partager son savoir. C'est une très vieille technique abandonné au début de l'Egypte Antique. La magie égyptienne nous vient des mots magiques, elle donne vie aux signes et aux représentations, mais à dire vrai le moindre des mots que nous prononçons est emprunt d'un soupçon de notre pouvoir, même dit en anglais. En cessant d'user de la parole et en s'enfonçant à l'intérieur de lui-même un magicien peut concentrer sa Magie jusqu'à son paroxysme, son esprit se développe tandis que le corps s'atrophie, donnant à l'enveloppe charnelle l'apparence de la vieillesse tant elle s'assèche et s'affaiblit.
Il avait exposé son explication de tel façon que soudain, j'ai été beaucoup plus capable de l'imaginer en gilet en laine avec un nœud papillon.
-...Et vous avez attendu trois ans ?!, n'ai-je pas pu m'empêcher de m'exclamer.
-Ma sœur n'aurait jamais eu la patience. Ma transe a duré si longtemps que même lorsque j'ai tenté d'en émerger, cela m'a mit un peu de temps. Et ton acte abominable a causé le choc qui m'a permit d'y parvenir. Ne crois pas une seconde que ca t'excuse, le dieu en moi désire de toutes ses forces te tuer et je n'ai que très peu envie de l'en empêcher.
-Mais alors si vous aviez été là dans salle des Portes, ou même bien avant, vous... j'ai libéré Cronos parce-que vous êtes lent à vous réveiller ?!
-QUOI ?!, a hurlé Peter avec effroi.
Une ombre est passée sur le visage de Carter.
-Je vois. C'est préoccupant, certes, pour nous tous. Ce sera un problème pour plus tard.
-Un problème pour plus tard ?J'ai libéré le Seigneur du Temps, bordel !Le Roi des Titans !C'est VOTRE faute, d'accord ?C'est ce que je dirais à tout le monde !
Soudain une première vague d'Agents a déferlé en surgissant d'un hangar posé à même le toit et certainement relié à l'intérieur du bâtiment, tous en Pas Fantômes tels une immense vague noire prête à nous engloutir. Sans même se retourner d'un seul large mouvement de la main Carter a déversé sur eux un torrent de feu qui n'a laissé pour seules dépouilles que des cendres aussitôt dispersées par le vent. Des vies abrégées comme ca, comme un détail. Il avait tué peut-être vingt ou trente mortels d'un unique geste, sans même y penser, juste parce qu'ils le gênaient, alors même qu'il existait sûrement mille sorts qui auraient pu simplement les neutraliser, exactement comme un dieu. Soudain, je me suis demandé à quel point on pouvait bien être encore humain après une fusion avec une divinité égyptienne.
Il s'est avancé au bord du vide, l'air préoccupé.
-On peut pas fuir, a reniflé Amos. Le vaisseau... notre seul vaisseau a explosé. Papa, comment on va... comment...
Carter a passé une main dans les cheveux de son fils pour le rassurer puis s'est tourné vers nous.
-Combien d'entre vous sont capables de voler ?De voler vraiment, sans prendre en compte leur état?
Si certains étaient certainement capables de manipuler l'air au mieux de leur forme, après ce qu'on venait de vivre, ils étaient bien trop épuisés. Certains ont marmonnés avec frayeur, des téléporteurs qui étaient incapable de se déplacer de plus de quelques mètres ou étaient trop épuisés pour le faire – Tristan inutile jusqu'au bout faisait partie de cette seconde catégorie.
C'est alors qu'une jeune fille a sursauté.
-Y a Nelson qui pourrait peut-être nous...
Avant même la fin de ses quelques mots un mec s'est précipité dans le vide et a décollé comme une fusée avec un rire de fou hystérique. En un instant il n'a plus été qu'un point à l'horizon. Je me demande encore pourquoi il a attendu tout ce temps pour se faire la malle.
J'ai lentement pointé un doigt vers la direction qu'il avait prise.
-C'était ?...
-... Ouais. C'était Nelson. Il a vécu des trucs... compliqués.
Soudain d'autre Agents ont jaillis aussi bien par les sas dans le sol que par les hangars. Carter a fait tournoyer son bâton au-dessus de sa tête et l'a abattu sur le sol en hurlant un mot magique. Tous les mortels sans l'ombre d'une exception ont brutalement gelés en pleine course avant d'exploser en des milliers de petites particules de glace. Là-dessus, agacé, Carter a une nouvelle fois frappé le sol et tous les hangars ont tremblés avant d'exploser jusqu'au dernier sous la pression d'immenses chênes qui ont continués de pousser encore un peu avant de s'arrêter. Cette fois-ci il est resté un genou à terre, épuisé, brisant son image de guerrier invincible. Soudain j'ai senti la terreur m'étreindre à nouveau. Est-ce qu'on allait rester sur ce toit, à regarder notre sauveur tuer nos ennemis encore et encore jusqu'à ce qu'il soit finalement débordé ?Ce qu'il a dit ensuite a confirmé toutes mes craintes :
-Je serais incapable de tous les retenir, pas après toutes ces années de captivité.
-Je croyais que c'était précisément pour renforcer vos pouvoirs que vous étiez entré en transe, que vous étiez en mode méga puissance ou je sais pas quoi, là ?!
-Je pourrais tuer des centaines d'Agents mais jamais je ne saurais m'occuper de tous le personnel de cette base et vous protéger en même temps. Notre mort serait longue, magnifique et inoubliable, mais inéluctable.
Puis il a fermé les yeux, serré les poings et prit une longue inspiration.
-Sautez.
-Que que de quoi ?!, s'est écrié Hélèna. Vous êtes malade ?!
J'allais l'appuyer quand Carter a rouvert les yeux. Mais ce n'était plus ses yeux. Ils étaient devenus verrons, l'un argenté, l'autre de la couleur de l'or, et surtout ils semblaient flamboyer de pouvoir à l'état pur. D'une seconde sur l'autre, j'aurais juré voir une autre silhouette se superposer à la sienne, celle d'un homme plus grand, plus musclé. Un homme avec une tête de faucon.
-Vous allez devoir me faire confiance, a-il dit d'une voix qui avait cessé d'être la sienne. Bien que j'ignore moi-même si j'ai encore la force de tous nous tirer de là.
Les cris des Agents se rapprochaient sous nos pieds, toujours plus. S'ils commençaient à déployer l'artillerie lourde, on était absolument tous morts. On n'avait pas le choix, quoi qu'il se passe tout valait mieux qu'être capturés vivants.
-On saute, ai-je soufflé comme pour moi-même.
Ces simples mots ont fait taire la rumeur de terreur et d'angoisse qui parcourait la petite foule, comme si j'avais prononcé notre mise à mort. J'ai regardé les nuages qui défilaient en-dessous de nous, le vide à un pas de moi. Maintenant, plus question de faire machine arrière. Quelqu'un a posé une main sur mon épaule. Peter. Jamais je ne lui avais vu l'air aussi grave. Il a hoché la tête, sans un mot.
-On saute, ai-je répété plus fort.
Hélèna m'a attrapé le bras d'une main qui tremblait de terreur. Je me suis violemment dégagé de leur poigne, à tous les deux. Mais je suis resté à leurs cotés. Et cette fois-ci, j'ai hurlé :
-ON SAUTE !
Là-dessus, aussi vite que possible, avant de retrouver la raison, avant de renoncer à cette acte de pure folie, on a fait un même pas en avant qui n'a laissé que le vide sous nos pieds.
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