8
Alex mit une demi-heure à sortir de cette épaisse forêt et à trouver Ävanh. Et il fut bien content de retrouver un chemin praticable, car cet endroit ne le mettait pas en confiance. Et quand, au loin, il vit de hauts murs s'élever dans les cieux, il se figea. Il crut rêver. Ce monde était digne d'un jeu de rôle. Emerveillé, il s'élança vers cette cité médiévale et contempla ses grands murs, ses tours de guets, ses portes d'acier serties de herses. Comment un tel monde pouvait exister ? Il n'en revenait pas. Était-il seulement au bout de ses surprises ? Même si sa mère lui en avait déjà parlé, il redécouvrait ce monde médiéval.
De par sa mère, il connaissait deux choses sur Siltaria. Ce royaume n'avait rien contre les étrangers, ceux-ci étaient très bien accueillis quand bien même le roi gardait un œil sur eux. En effet, suite à de multiples conflits, le roi craignait que des espions se dissimulent dans le lot des nouveaux arrivants. Dès lors, impossible pour Alex de connaitre le sort qu'on lui réservera. Allait-on l'accepter ? Le rejeter ? Se méfier de lui à jamais ? il espérait que tout se passe bien.
Seulement, quand il vit les deux colosses qui gardaient l'entrée de la ville, il recula d'un pas. La peur le figeait. Avec leurs armures froides et leurs lances aux piques acérées, ils l'intimidaient sans même lui parler. Alex n'arrivait pas à bouger. Leurs heaumes inexpressifs le fixaient, et eux ? Il n'aimait pas ça. Il ne savait pas s'ils le regardaient, s'ils le jugeaient même. Il déglutit. Il devait trouver Jon Rainy et vite, alors il avança.
— Halte ! Déclinez votre identité ! ordonna l'un d'eux.
Alex s'immobilisa et tenta de cacher ses tremblements. Il paraissait certainement suspect avec son sweat à capuche et ses baskets. Qui avait une telle tenue en ce monde ?
— Je suis Alex...
Ses yeux s'écarquillèrent alors que l'avertissement de sa mère lui revint en tête. Pour quelles raisons devait-il taire son nom ? Était-elle rechercher ici aussi ? Il déglutit et mentit, il n'avait aucune envie de le savoir maintenant.
— Alex Rainy.
Il espérait que Jon Rainy ne soit pas connu de tous et que ce mensonge passe sans problème. Malheureusement, ne pas voir le regard du garde ne l'aidait pas.
— Vous êtes de la famille de feu le lieutenant Jon Rainy ?
Cette phrase, à elle seule, ravagea ses derniers espoirs comme une feu démarrant sur du bois sec. Il n'en resta rien. En arrivant ici, il n'avait aucun rêve, aucun désir si ce n'était retrouver sa mère. Il avait espéré, quand bien même ce fut dur, d'obtenir de l'aide. Au final, c'était impossible. Jon Rainy, la seule personne qui pouvait l'aider, le soutenir, le protéger était morte. Désormais, il était seul. Totalement seul. Perdu dans un monde qui n'était pas sien. Qu'allait-il devenir ? Comment allait-il vivre ?
— Il est... mort ? s'étrangla Alex.
Il ne put cacher sa surprise, sa déception et son désarroi. Il n'avait plus rien à quoi se raccrocher, plus de famille, de soutien, d'espoir, rien. A quoi bon vivre maintenant ?
— J'ignorais que vous n'étiez pas au courant, s'excusa le garde. Il est mort durant la guerre, il y a dix ans. Ce fut un honneur de servir sous ses ordres, c'était un vaillant combattant.
— Je viens de loin... Je n'ai pas été mis au courant, vous savez l'information circule mal dans les petits villages.
Alex était pâle comme un linge. Si le garde venait à lire ses pensées et à découvrir la supercherie, il risquait de gros ennuis. Pouvait-il seulement connaitre pire sort ? Finir dans une cellule moyenâgeuse était sans doute un bien meilleur sort qu'errer dans les rues au beau milieu de la nuit. Mais mentir à un télépathe était interdit. Alors devait-il tout avouer ? Devait-il parler de sa mère, de son monde et de tout le reste ?
— C'est vrai, j'en connais qui n'étaient pas au courant de la guerre avant de voir débarquer des soldats chez eux, affirma le second garde.
— C'était un cousin éloigné de ma mère, mentit-il. Elle m'a envoyé chez lui, seul. Elle est très malade et ne sait pas se déplacer.
Le garde réfléchit un instant, Alex grimaça. Il ne le croyait pas. Il en était persuadé, il allait l'arrêter ici et maintenant. Il déglutit et, de peur, recula d'un pas. C'était sa tenue. Ses habits le trahissaient à coup sûr.
— Vous pouvez entrer jeune homme. Son frère vit toujours ici, vous n'aurez qu'à vous rendre chez lui.
Ses yeux s'écarquillèrent. La surprise l'empêcha d'avancer tout de suite, comment avaient-ils pu le croire ? Était-ce le nom Rainy qui avait permis cela ? Sa mère avait des amis hauts placés, il n'en revenait pas : elle lui aura caché des secrets plus fous les uns que les autres. Mais comment lui en vouloir ? Elle avait ses raisons. A l'intérieur, il poussa un profond soupir et s'arrêta.
Ses yeux se plongèrent dans l'immensité de la ville et il y découvrit enfin ce qui le fascinait étant petit : Avanh. Une cité ancrée dans un monde médiéval, une cité aussi grande que splendide et colorée. Il se remémora les histoires de sa mère, la nostalgie au cœur. Rien n'avait changé. Les habitations étaient bien plus hautes que dans son monde et, sur leurs toits plats, trônaient des draps aux multiples couleurs : du rouge, du vert, du jaune, la ville formait un véritable arc-en-ciel. C'était magnifique. Et cette fois, il y était vraiment, il n'avait plus besoin de son imagination. Il pouvait entendre ces nouveaux oiseaux chanter, il pouvait sentir cette étrange odeur qui planait dans l'air. Sa mère la décrivait comme un mélange de cannelle et de cerise, un parfum qu'on ne pouvait qu'apprécier. Et force était de constaté qu'elle s'était trompée. Oh bien sûr, Alex se délecta de cette nouvelle odeur, mais il était loin d'avoir l'eau à la bouche. Sans doute provenait-elle de ces nombreux arbres aux feuilles dorées qui trônaient ci et là.
En dix-sept ans, la ville devait avoir changé. Peut-être qu'elle n'était pas méconnaissable, mais il doutait que tout soit comme dans les souvenirs de sa mère. A lui d'explorer cette ville. Par malchance, sa mère ne lui avait parlé que de trois édifices : le palais, l'académie d'Avanh et la grande Bibliothèque Royale. Il ignorait totalement où trouver le frère de Jon Rainy. Et encore moins s'il accepterait de l'aider. Pour tout un tas de raison, il pourrait se retrouver à dormir dehors et ceci ne l'enchantait pas, loin de là. Il devait faire vite.
Alors il remonta cette rue et erra un petit moment dans la ville et pour cause, Avanh n'était pas grande, elle était gigantesque. Les rues semblaient innombrables et s'étendre sur des kilomètres. Il fallait ajouter à cela son mauvais sens de l'orientation ; il s'était retrouvé à son point de départ plus d'une fois. Marcher en rond le dépitait. Au bout d'une heure sans doute, il trouva une grande place circulaire où se trouvait un marché. De nombreux étals occupaient les lieux, tous attiraient une infinité de monde. Les marchands de fruits étaient prisés, les fromagers devaient se faire une petite fortune, et l'on faisait la queue auprès des artisans, petits créateurs de tous horizons. Un flot d'odeur de nourriture lui donnait l'eau à la bouche : malheureusement, il ne possédait pas d'argent. Ce qui était un problème. Comment allait-il se nourrir ? Il déglutit en y pensant. Il devait se dépêcher.
Assis sur le rebord d'une fontaine de marbre, il observa la foule. Il réalisa alors qu'il n'entendait aucune pensée, des centaines de personnes se trouvaient là et il n'entendait rien. Du moins, pas leurs voix intérieure. Car entre les passants qui parlaient et les vendeurs qui vantaient haut et fort les mérites de leurs produits, entendre quelque chose se révélait impossible. Où aller ? A qui demander de l'aide ? Il l'ignorait. Peut-être devait-il se servir de la télépathie ? Mais il n'y arrivait pas. Il ne s'en sentait pas capable un seul instant, c'était évident pour lui qu'il échouerait.
Mais il essaya. Il n'avait pas le choix s'il ne voulait pas passer la nuit dehors. Il scruta alors un marchand d'une trentaine d'années qui tentait de vendre des fruits à l'aspect appétissant. Il ferma les yeux et, dans un soupir, imagina qu'un long fil s'étira de sa conscience jusqu'à la sienne. Mais rien ne se passa. Dans un juron, il recommença avec une autre personne et répéta son échec. Il voulait rentrer chez lui. Sa place n'était pas à Siltaria et bien vite, cette vie deviendrait un véritable cauchemar. Il recommença sans y croire. Le temps passa, une heure s'écoula et il tomba sur une énième personne. Une dame âgée aux cheveux aussi gris que sa robe. La dernière. Il se promit qu'après elle, il partirait. Pour aller où ? il l'ignorait mais il n'aurait rien d'autre à faire ici. Avec un peu de chance, il trouverait moyen de se faire un peu d'argent. Ses tripes se nouèrent et un frisson le parcourut. Les larmes qui perlèrent le coin de ses yeux provenaient de sa peur de l'inconnu, de son manque de confiance en lui aussi : comment pourrait-il vivre s'il n'avait nulle part où dormir et rien pour se nourrir ? Alors sans y croire, perdant tout espoir, il se concentra sur cette femme.
Et là, quelque chose d'étrange se produisit. Tout ce qui l'entourait n'existait plus, il ne resta que cette femme et lui, dans un brouillard gris. Ses yeux s'écarquillèrent quand une voix parvint à son esprit : un echo lointain venu de cette personne, il y était arrivé. Il calma ses envies de sauter de joie et resta fixé sur son objectif. C'était merveilleux. C'était bien la première fois que cette malédiction le fascinait, serait-ce un don en ce monde ? Certes, il ne pouvait pas filtrer le tourbillon de pensée qui s'abattait sur lui mais au moins, il y était arrivé. A présent, il devait chercher Jon Rainy et son frère. Impossible.
— Merde, pensa-t-il.
Tout s'arrêta. Les mots se transformèrent en images et celles-ci lui parvinrent. D'abord floues puis nettes. Et dès qu'il vit cette femme faire tomber un vase et s'exclamer « merde », il comprit les bases de la télépathie. L'esprit fonctionnait comme un moteur de recherche. Il suffisait de chercher un mot pour trouver des milliers de souvenirs.
— Rainy, pensa-t-il alors.
— C'est une vraie tragédie, la petite a perdu ses parents le même jour.
Donc Jon avait une fille. Celle-ci connaissait-elle sa mère ? Pouvait-elle l'aider elle aussi ? Il n'en savait rien mais le simple fait d'apprendre son existence lui redonna espoir. Il arrêta de scruter l'esprit de cette femme et observa l'assemblée. Il ignorait où trouver des informations, qui était le plus apte à l'aider. Et le temps pressait. Tôt ou tard la place serait vide et alors. Il élimina les marchands, sans doute ne venaient-ils pas de la capitale. Les gardes lui donnaient un mauvais pressentiment, il craignait que leur télépathie soit trop puissante. Il devait se concentrer sur les gens devant lui, scruter rapidement leurs souvenirs.
Il se rabattit sur un homme qui accompagnait sa jeune fille. Alex étendit alors sa conscience jusqu'à lui et le même brouillard s'installa avant de laisser place à son fil de pensées. À cet instant, quand il connut une grande partie de sa vie. Il grimaça alors. Etait-ce juste ? Il doutait de la moralité de ses actes, de leur légalité même, car il s'immisçait dans leur vie privée. Il regrettait. Lui pardonnerait-on si on connaissait ses raisons ? Il devait avoir une réponse quand bien même elle serait amère.
— Rainy.
Aussitôt, les images surgirent devant ses yeux. Deux personnes discutaient alors que la fille toussait, elle semblait malade. Grippeuse sans doute.
— Tu devrais essayer les potions d'Alvor. Ta gamine irait beaucoup mieux.
Alex ne put cacher sa joie. Tout sourire, il bondit et se releva. Il venait de découvrir une chose essentielle : le frère de Jon s'appelait Alvor et il était alchimiste. Il espérait qu'il n'en existe pas une dizaine dans la ville car jamais il ne trouverait Alvor à temps, il doutait même d'y arriver s'il était le seul. Avanh était bien trop grande. Pas le choix donc, il allait devoir utiliser un moyen bien trop normal pour ce monde : demander son chemin au premier venu.
Avant ça, une idée germa dans son esprit. Une idée folle. Il frémit en y pensant, sa mère l'avait mis en garde de ne pas parler d'elle mais elle n'avait jamais dit qu'il ne pourrait pas la chercher autrement.
— Katrina Stark, pensa-t-il.
Il grinça des dents, rien ne se passa. Hors de question d'abandonner, sa mère n'était sans doute pas une inconnue et même si c'était le cas, il devait bien y avoir au moins une personne qui la connaisse. Une seule suffirait. Alors il étira à nouveau sa conscience. Et il ne connut que des échecs.
Des échecs et un évènement bien étrange. Dans cette masse de monde, il repéra un homme aux cheveux crêpus très courts et à la fine barbe noire, et c'est avec lui que quelque chose d'anormal se produisit. Il étira sa conscience jusqu'à lui et là, alors qu'il aurait dû le voir, il ne vit qu'un dôme blanc. Intrigué, il s'en approcha pas à pas. Le dôme dégageait une froideur glaciale au point de brûler sa peau. Cela semblait dangereux. Il en eut des frissons et sa raison lui hurla de fuir, mais il avança. Curieux, il le toucha. Là, une décharge électrique parcourut tout son corps et l'éjecta hors de sa conscience. Sous le choc, ses yeux s'écarquillèrent. Le pire arriva alors. Quand il releva la tête, son regard le croisa. L'homme le fixait. Ses yeux noirs se plongeaient sur lui comme si c'était à lui de fouiller son âme. Aussitôt, Alex déglutit, se releva et prit la fuite.
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