
6
Trois aefleins couverts de rides se tenaient désormais face à Alex et quand bien même ceux-ci n'étaient pas plus hauts que des enfants de neuf ans, ils parvenaient à l'intimider plus que n'importe qui. Leurs regards se faisaient méfiants et dégageaient une certaine colère. Qu'allait-il advenir de lui ? Il l'ignorait et cela l'angoissait.
— Bien, souffla un doyen à la peau presque grise. Glen a commis une grossière erreur aujourd'hui, une erreur qui pourrait nous être fatale.
— Alex n'est...
— Silence ! cracha un deuxième aux épaisses lunettes. Un humain est entré illégalement sur nos terres, nous devons nous assurer que ses intentions sont bonnes.
Alex frémit, qu'entendait-il par-là ? Alex ne pouvait pas prouver être dénué de mauvaises intentions, il ne connaissait même pas ce peuple il y a quelques heures ! étaient-ils télépathes ? Il l'espérait, au moins ils connaitraient la vérité. Mais quand il vit le troisième se saisir d'une cage enfermant un ver luisant colossale, il pâlit. Si l'aflein l'amusait avec ses longs poils jaillissant de ses oreilles, cette créature l'apeurait : était-ce un serpent ? Etait-ce dangereux ?
— Edwin ! jura Ellora. Vous ne comptez tout de même pas envoyer cette sangsue sur ce jeune homme ?
— Silence, jura le dénommé Edwin. Si vous vouliiez donner votre avis, il fallait rejoindre le Conseil !
— Peuh ! Un peu de respect pour la femme qui vous a changé vos couches durant des mois !
Cette remarque fit rougir Edwin et ricaner Glen. Alex, lui, n'osait pas rire bien qu'il en eut envie, il avait bien trop peur de s'attirer les foudres des trois hommes. Et quand bien même il tremblait comme une feuille, il en avait retenu une information cruciale et stupéfiante : Ellora était bien plus âgée que ce qu'il s'était imaginé.
— La sangsue ne tuera pas ce garçon s'il n'est pas une menace, maugréa Edwin avant d'approcher l'animal d'Alex.
— N'aie pas peur, le réconforta Ellora. Tu n'as rien à craindre.
Edwin approcha la sangsue de son visage, forçant Alex à reculer d'un pas. Cette chose aussi dégoûtante que visqueuse le mettait mal à l'aise, pourquoi devait-il subir un tel sort ? Quand Edwin la posa sur sa tête, il ferma les yeux et se mordit l'intérieur des joues, étouffant au passage un cri apeuré. Son cœur battait à mille à l'heure, et si cette sangsue décidait de l'attaquer ? De drainer son sang en un instant ? Ils patientèrent encore et encore durant ce qui lui sembla être de longues et interminables minutes. Puis, on retira la créature.
— Bien. C'est terminé.
— Vraiment ? demanda Alex soulagé.
— Nous devons toutefois prendre une décision ! grommela le gris. Alex Stark ne peut rester ici.
— Ta présence nous met en danger, ajouta Edwin.
— Si ce mage te cherche, il risque de s'en prendre à nous par la même occasion, finit celui à lunettes. C'est bien trop dangereux.
— Attendez ! intervint Glen. Alex vient déjà de tout perdre, vous ne pouvez pas le rejeter aussi vite... Il a besoin de quelqu'un.
Alex voulut se faire tout petit, il ne savait pas quoi répondre, ni s'il en avait le droit. Les aefleins désiraient qu'il parte et lui, il souhaitait rentrer chez lui. Malheureusement, c'était impossible.
— Et il nous semble qu'il a quelqu'un, souffla Edwin agacé. La volonté de sa mère était qu'il rejoigne Jon Rainy, alors il n'aura qu'à se rendre à la ville la plus proche.
Alex espérait sincèrement que cet homme l'aide et le soutienne. Il avait confiance en sa mère seulement, elle ne lui avait pas parlé depuis dix-sept ans d'après les dires de Glen.
— Mais...
— Assez ! cria le gris. Nous ne pouvons mettre le peuple aeflein en danger.
— Vous n'aurez qu'à l'accompagner jusqu'à la frontière, proposa Edwin.
Les deux autres acquiescèrent et Glen soupira.
— Laissez-le au moins se reposer, demanda Ellora agacée. Il en a besoin.
— Soit. Mais il devra avoir quitté la cité demain avant la tombée de la nuit. Si ce délai n'est pas respecté, nous devrons nous en charger nous-même.
— Très bien, râla Glen. Je l'accompagnerai demain soir.
Une fois les aefleins partis, Glen poussa un profond soupir autant de déception que d'agacement.
— Je suis navré, Alex. Te faire partir après le décès de Katrina...
— Elle est en vie !
Il ne voulait pas entendre parler de mort ou de quoi que ce soit. Sa mère était vivante, elle lui avait promis de revenir. Tremblant, il s'assit sur le hamac. Il ne voulait pas la croire perdue, c'était bien trop douloureux pour lui.
— Ne te berce pas d'illusions...
— Stop ! cria-t-il les larmes aux yeux.
Glen et Ellora s'échangèrent un regard peiné. Tous deux devaient bien sentir à quel point il allait mal.
— Ramenez-moi chez moi...
Il devait y retourner. Il devait voir sa maison, retrouver son beau-père et partir à la recherche de sa mère. Elle devait sans doute être blessée, elle avait besoin d'aide. Son cœur s'emballa de même pour ses pensées.
La question perturba Glen qui se mit à se dandiner, mal à l'aise. Il soupira avant de hausser les épaules comme s'il n'avait pas la réponse.
— Katrina préfèrerait que tu restes à Siltaria, tu sais. C'est chez toi après tout et...
— Non, le coupa Alex. Ma mère est en danger et elle a besoin de moi ! Et puis... Je ne peux pas abandonner mes amis !
Abandonner sa mère lui était insupportable. S'il ne la retrouvait pas alors oui, elle finirait par perdre la vie. Et même si elle allait bien, ce monde n'était pas fait pour lui, il le sut dès qu'il croisa la route des aefleins. Et puis, seul ? Les doyens avaient été clairs, Ellora aussi, il ne pourrait pas vivre ici, il devrait rejoindre Siltaria. Seulement, même si sa mère l'avait envoyé chez quelqu'un de confiance, il avait peur. Qui était Jon Rainy ? Allait-il l'accepter ? Il redoutait cette rencontre d'autant plus que l'homme qui se trouvait derrière cette attaque pouvait encore s'en prendre à lui.
Alex, il est impossible de passer d'un monde à l'autre, soupira-t-il. Ta mère détenait un pouvoir très ancien...
Il lui mentait et il le savait. Après tout, il avait lui aussi voyagé dans son monde.
— Et vous ? s'énerva-t-il. Vous avez bien voyagé dans mon monde, c'est donc possible !
— Oui, mais... il soupira avant de secouer la tête.
— Ce n'est pas aussi simple, continua Ellora. Les villes aefleins s'étendent sous chaque monde, c'est pour cela que Glen a pu te retrouver quand bien même c'est interdit.
Glen acquiesça.
— Et il ne faut pas oublier que tu es en danger. Et je refuse de te laisser en danger, Katrina étai... est mon amie et pour ça, je ne peux pas te laisser retourner seul chez toi.
Alex en avait assez, il ne put contenir plus longtemps ses larmes. Forcé de tout abandonner pour un monde qu'il ne connaissait pas, comment pouvait-il continuer à vivre ? Personne ne remplacerait sa vie, sa famille et ses amis. Ni Glen ni Jon Rainy ni personne d'autre.
— Tu trouveras ce Jon et il t'aidera, lâcha Glen. Si je me souviens bien, ta mère et lui étaient de bons amis alors tu peux compter sur lui. Et je sais où le trouver.
— Si tu le dis...
— Il est temps de laisser Ellora, je dois t'apprendre deux-trois trucs puis je te présenterai mon terrier ! Tu logeras chez moi cette nuit et demain, je t'accompagnerai. Tu verras, tout va bien se passer.
Il n'en avait aucune envie mais il s'y força et le suivit.
*
Par chance, Glen promit à Alex qu'ils ne décolleraient plus. Il détestait voler, c'était la pire sensation au monde. Impossible pour lui de se sentir en sécurité à une dizaine de mètres du sol, sur ces bêtes incontrôlables. Non, c'était bien trop dur. Par chance, les humains n'avaient pas de telles montures.
Et Glen vivait au plus bas de ces champignon. Sa maison – qu'il appelait terrier – se trouvait au bord d'une rivière cristalline. Celle-ci ruisselait tout le long de la cité la coupant en plusieurs parties, Glen lui avait également précisé qu'elle rejoignait un endroit bien particulier, une sorte d'immense lac. La cité des aefleins était magnifique, même si Alex ne désirait pas y rester.
— Il est temps que tu découvres le monde dans lequel tu te trouves, annonça Glen avant de se saisir d'une carte renfermée dans un long tube cylindrique.
Alex n'avait pas eu le temps de découvrir son logement temporaire, qu'il recevait déjà un cours de géographie. Mais au fond, il appréciait en savoir plus sur Siltaria. Ainsi il avait l'impression que les histoires de sa mère continuait, qu'elle se trouvait à ses côtés au travers de cette aventure.
— Nous sommes ici ! déclara-t-il avant de poser son doigt au centre d'une zone terriblement vaste : la cité aeflein.
Cette immense ville chevauchait plusieurs royaumes, dont Siltaria. Alex n'en revenait pas. Comment était-ce possible que ce soit si grand ? Et surtout, comment était-ce possible que personne ne les trouve ?
— La capitale de Siltaria, Avanh, se trouve à quelques jours de marche, expliqua-t-il. C'est là-bas que doit se trouver Jon Rainy pour sûr !
Alex s'étrangla, il était hors de question de marcher plusieurs jours dans un monde qu'il connaissait à peine !
— Fais pas cette tête, les aefleins n'empruntent pas les routes des hommes ! Je t'amènerai au passage, ce sera infiniment plus rapide.
— Là-bas, fais bien attention à toi. Je ne sais pas comment ont évolué les humains mais reste méfiant. Après tout, on en voulait à ta mère...
Alex déglutit, il espérait ne pas croiser ce mage. Cette simple pensée le terrifiait.
— Existe-t-il d'autres mages ? demanda-t-il.
— Oui, bien sûr ! Mais ne confonds pas télépathie et magie. La télépathie est une compétence naturelle et même si elle te semble extraordinaire, elle est tout à fait banale ici.
Cette révélation l'effrayait plus qu'elle le fascinait. Car si tous étaient télépathes alors cet homme pouvait le trouver sans aucun problème, il lui suffirait de lire ses pensées pour ça. Il devint si pâle que Glen fronça les sourcils.
— Un problème ?
— Il peut me trouver. S'il lit mes pensées, il me trouvera, non ?
A la grimace de Glen, Alex comprit aussitôt qu'il avait visé juste.
— Ta mère bloquait ses pensées, tu dois en faire de même. Je peux t'apprendre deux-trois trucs mais son ami, lui, il saura sans doute te protéger mieux que moi.
Alex l'espérait.
— Bon, mangeons à présent. Nous avons eu une dure journée et nous méritons un bon repas !
Alex scruta cette petite maison alors que Glen préparait leur repas. Comme pour la demeure d'Ellora, les deux pièces principales se divisaient par une guirlande de feuilles géantes. Cet endroit ressemblait à un petit appartement bien que différent. Les aefleins dormaient dans des hamacs attachés aux murs leur permettant de gagner de la place durant la journée, ce que faisait Glen. La cuisine et la chambre se trouvaient donc au même endroit.
— C'est prêt ! Tu m'en diras des nouvelles, ta mère adorait ! C'est de la haute gastronomie !
Quand Alex vit les énormes larves blanches trônant sur un tapis d'herbe, il eut du mal à le croire. Comment sa myère pouvait-elle aimer ça ? L'odeur lui fit penser à une paire de chaussure après trois heures de marche sous le soleil : une infection. Il grimaça, ferma les yeux et porta ce ver à sa bouche. Répugnant, immonde. En face, Glen se régalait. Alex prit une profonde inspiration et avala l'asticot d'une traite. Quand bien même il fut pris d'un haut-le-cœur, il parvint à ne pas vomir.
— C'est... particulier.
— J'ai des ailes séchées si tu veux un dessert.
— Non merci ! s'écria-t-il.
— Sûr ? Tu loupes quelque chose !
Ça, il en doutait réellement. Il ne risquait pas de manger quelque chose d'appétissant avant de rencontrer Jon Rainy. Sauf si celui-ci aimait la cuisine des aeflein.
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