5
Alex s'écroula sur un sol herbacé. La fumée piquante et brûlante laissa place au parfum forestier, doux et fleuri, comme si rien de tout cela n'avait existé. Il resta étalé au sol un instant avant que la tête de Glen ne cache les nuages qu'il fixait.
— Faut pas rester là, gamin !
— Ma mère est en danger ! s'écria-t-il avant de se relever.
Une vive douleur remonta son dos avant de s'élancer dans tout son corps, l'adrénaline l'avait empêché de ressentir le choc de sa chute et la chaleur brûlante sur sa peau.
— Écoute, gamin, Katrina est mon amie et ça me fait mal de la laisser, mais elle veut que je veille sur toi. Et pour ça, faut pas rester là ! Ce type peut revenir à tout moment !
Glen grimaça, le portail n'était toujours pas refermé. Alex l'observa un instant, silencieux. Il n'avait pas besoin de lire ses pensées pour savoir que cela ne présageait rien de bon.
— On peut pas... On peut pas l'abandonner !
Glen dégaina une longue dague et fixa le vortex, inquiet.
— Alex, cours droit devant toi jusqu'à l'arbre le plus imposant ! Celui au tronc le plus brun et aux feuilles les plus vertes ! Surtout, ne te retourne pas ! Dès que tu y seras, demande à l'arbre de te laisser entrer, dis que Glen t'envoie !
Alex hésita un instant, il ne pouvait pas laisser sa mère. Il ne pouvait pas l'abandonner à un tel sort, prise dans une tempête de flammes. Seulement, elle était restée là-bas pour affronter cet homme. S'il ne partait pas, elle se serait sacrifiée pour rien. Dans les deux cas, son cœur devenu bien lourd se briserait.
— Cours ! beugla Glen.
Alors Alex courut. Il courut si longtemps, si vite qu'il ne parvenait plus à respirer, qu'il ne tenait même plus debout. Il tomba à genoux et s'écroula, haletant. Chaque respiration lui arracha une grimace de douleur, cette fois il était seul. Autour de lui se trouvaient des dizaines d'arbres immenses aux feuilles d'un vert profond, aussi intense que l'herbe qui l'entourait. Un paysage effrayant tant il était vaste. Pourtant, l'air doux caressant son visage l'apaisait. Il réalisa alors que ce monde n'était plus sien, car l'hiver s'était déjà terminée. Tout ce qui lui arrivait semblait si irréel, inconcevable.
Il avait tout perdu avant de se retrouver dans un endroit inconnu avec un être qui n'était même pas humain. Au moins, il n'était pas livré à lui-même. Mais quand bien même Glen accepta de l'aider, son monde venait de s'effondrer. Il n'avait plus rien. Plus de maison, plus de parents, plus d'amis, plus de vie. Réalisant cela, il hurla à s'en déchirer les cordes vocales, allant même jusqu'à faire fuir les oiseaux perchés sur les hautes branches.
Il se ressaisit. Sa mère s'était mise en danger pour lui permettre de vivre, il se releva alors et essuya ses larmes. Elle s'était sacrifiée pour lui, pour le sauver, pour qu'il retrouve cet homme. Il continua sa course et là, il le trouva. Un arbre plus large que les autres se dressa devant lui, son tronc brun s'illuminait sous les rayons. Ses milliers de branches s'élevaient vers les cieux, au-dessus des autres et des millions de feuilles brillantes les couronnaient. Il avança timidement avant de s'agenouiller face à un trou percé, un trou profond et sombre qui lui parut étrange.
— Laisse-moi entrer s'il te plait ! Je viens de la part de Glen !
Comme il aurait dû s'en douter, il ne reçut aucune réponse. Les arbres ne parlaient pas, même si tout ce qu'il avait vécu était irréaliste, tout n'était pas possible. Il soupira, rien ne se passait, le temps s'écoulait et Glen ne revenait pas. Et s'il était mort ? Et si cet homme arrivait ? Son sang se glaça. Il fixa ce trou un instant, plongea son regard à l'intérieur, dans ses abysses noirs. Il pouvait entendre un léger bourdonnement, un bruit envoutant qui résonna au fond de son âme. Puis, il tomba. Ses hurlements se répercutaient sur le bois alors qu'il débalait un toboggan sans fin. Il glissa si longtemps, roulant sur lui-même, se heurtant aux parois de l'arbre qu'il crut ne jamais arriver quelque part. Il s'enfonça dans les profondeurs de la terre jusqu'à enfin tomber sur un sol dur et abrupte. Face à lui, une porte. Une porte ronde comme la porte d'une maison de hobbit. Il se demanda alors ce qui était le plus probable entre rencontrer Gandalf ou le lapin d'Alice aux pays des Merveilles.
Quand cette porte s'abaissa, Alex découvrit une véritable ville ancrée à même les racines de l'arbre. Ses yeux, émerveillés, aperçurent en premier les immenses champignons phosphorescent dont la taille et le nombre permettait d'éclairer la cité dans son ensemble. De ceux-ci jaillissaient un nombre infini de ponts en bois les reliant tous, un peu comme une toile d'araignée. Mais ce n'était pas le plus fascinant, non. Car ici vivaient un nombre incalculable de farfadets semblables à Glen et quelques énormes insectes qui volaient au loin.
— Où est Glen ! s'écria une voix grave.
Alex sursauta avant de baisser les yeux. Devant lui se tenait un farfadet à la peau olive et à l'épaisse barbe grise.
— Je t'ai posé une question !
Alex resta bouche bée, incapable de répondre. Il se rendit alors compte que sa mère n'avait rien inventé. Elle le lui avait bien dit, ces êtres vivaient sous terre, dans les arbres même si cela paraissait fou. Elle n'avait cependant jamais parlé de la taille de leurs villes.
— Je... Je ne sais pas... Il m'a dit de fuir et...
Son regard noir ainsi que sa dague firent frémirent Alex. Pourrait-il le tuer ? Non, Glen ne l'aurait pas envoyé ici s'il risquait le moindre danger. Du moins, il l'espérait.
— Écoute-moi bien l'humain ! T'as intérêt à me dire où il est sinon j'utilise ta peau pour me faire un manteau !
Alex déglutit et pâlit. Il espérait que Glen revienne vite, cette lame le terrifiait.
— Je suis là, Orick ! Pas d'inquiétude !
Alex se retourna vers Glen, soulagé. Il n'avait aucune égratignure mis à part les blessures liées à la chute.
— J'imagine que ma mère...
Glen ferma les yeux et secoua la tête.
— Le portail s'est refermé.
Alex sentit son cœur se morceler sous la douleur. Il ne voulait pas perdre sa mère, au fond il était convaincu qu'elle reviendrait. Elle le devait.
— Faut-il que je prévienne les doyens ? ronchonna le dénommé Orick.
Glen hocha la tête avant de lui donner une tape sur l'épaule.
— Vaut mieux ! Je l'emmène auprès d'Ellora, qu'ils nous laissent quelque temps seuls.
Le dénommé Orick accepta sans broncher même si devoir quitter son poste de garde l'ennuyait.
— J'ai conscience que tout ça est nouveau pour toi, lui souffla Glen. Je sais que c'est dur et les prochains jours risquent de l'être tout autant...
Glen sembla profondément désolé et Alex ne savait pas comment réagir. De toute façon il n'en eut pas l'occasion. En un instant, deux effroyables bêtes descendirent des cieux pour se poser près d'eux. On aurait dit d'énormes scarabées rouges. Alex ne voyait pas leurs petits yeux, ni leur bouche ornée de mandibules tranchantes, ce qui était perturbant, il préférait de loin les petits insectes.
— Tiens-toi à ses cornes !
Dès que Glen monta sur l'une des bêtes, Alex comprit qu'il allait devoir survoler les hauteurs de cette ville.
*
Dès qu'il se posa sur le sol, Alex descendit à la hâte et reprit son souffle. Il tremblait comme une feuille et pour cause, cette hauteur folle l'affolait. Et que penser de la vitesse ? Ces insectes se déplaçait si vivement qu'il manqua de vomir à plusieurs reprises, et il craignit de se prendre quelques mus également. Par chance, aucun problème. Il fut si apeuré qu'il ferma les yeux tout le long dui chemin. Ce qui amusa Glen qui prit soin de le taquiner sur le retour.
— Faudra redescendre ! Bon, ramène-toi.
Sans frapper, il poussa la porte ronde et entra dans ce champignon. Alex découvrit alors une unique pièce séparée par de grandes feuilles vertes. En face de lui se trouvait une série d'étagères avec des pots en terre cuite.
— Un humain ? siffla une voix âgée.
Alex ignorait quelle était l'espérance de vie des farfadets, mais les nombreuses rides qui étiraient son visage ainsi que ses petits yeux presque fermés lui prouvèrent une chose : son âge dépassait tout ce qu'il s'imaginait.
— Ellora, voici Alex. Le fils de Katrina...
— Katrina... Mmh...
Ellora s'approcha d'eux à pas lents, s'aidant d'un long bâton, et inspecta Alex de si près qu'il pouvait sentir son haleine d'algues.
— Il lui ressemble. Je ressens beaucoup de douleur et... Quelle est donc cette odeur de brûlé ? s'étonna-t-elle. Installez-vous !
Glen poussa Alex jusqu'à ce qui ressemblait en tout point à un grand hamac et l'invita à s'asseoir.
— Les doyens risquent de s'en mêler, soupira-t-elle en fouillant les pots.
— Qui sont les doyens ? demanda Alex à voix basse.
— Nos chefs, ils comptent parmis les plus anciens et pls sages. Ellora aurait dû en faire partie, mais elle a préféré devenir druidesse.
Alex écarquilla les yeux. Il se souvenait désormais, sa mère lui en avait déjà parler. Les druides confectionnaient toutes sortes de potions et communiquaient avec la nature. Il était d'ailleurs vrai qu'Ellora vivait entourée de plantes, sans doute plus que les autres farfadets.
— Dites-moi tout et buvez, souffla Ellora.
La concoction avait un léger goût de miel et de fleurs, elle n'était en rien désagréable et en un instant, Alex se sentit beaucoup mieux. Pendant que Glen racontait leur triste journée à Ellora, il se concentra sur la boisson. C'était étrange mais chaque gorgée lui réchauffait le cœur et l'envoyait ailleurs, dans une sorte de bulle protectrice où rien ne pourrait lui arriver.
— Navrée d'apprendre la disparition de Katrina...
— Elle est vivante ! s'emporta Alex.
Il ne supportait pas qu'on la pense décédée, cette idée le révulsait, lui retournait les tripes avec violence.
— Gamin... souffla Glen peiné. Ça me fait mal de l'admettre mais...
— Elle a dit qu'elle reviendrait ! s'énerva Alex.
Glen soupira. Alex n'avait jamais agit de la sorte, il ne s'était jamais énervé sur quelqu'un qu'il connaissait depuis quelques heures seulement. Mais aujourd'hui était un autre jour. Sa mère lui manquait terriblement, elle lui avait été arrachée en un instant.
— Katrina est une guerrière redoutable et une femme fabuleuse, mais dans ce monde, il existe des personnes tout aussi puissantes.
Alex cria et lança son bol au sol. Glen se tut alors qu'il commença à pleurer. Se laisser aller dans la colère était pour lui un moyen d'apaiser sa douleur. Il préférait fuir la vérité comme si cela permettrait de la changer, de la rendre meilleure. Tremblant, il enfouit son visage dans ses mains par honte. Honte de pleurer, honte de s'énerver, honte de tout.
— Allons, ne te mets pas dans un tel état mon garçon, déclara Ellora en posant une main dans son dos. Nous comprenons ta peine, et nous savons à quel point il est dur de la mettre de côté. Seulement, laisser la tristesse nous ronger n'est jamais bon, pleure si tu en as besoin mais va de l'avant. Toujours aller de l'avant.
— Je suis tout autant attristé que toi tu sais, enchérit Glen. Je la connais depuis une trentaine d'années... Te parler d'elle est peut-être pas une bonne idée, souffla-t-il.
Alex resta recroquevillé. Les larmes lui montèrent aux yeux, quand bien même parler d'elle lui déchirait le cœur, il voulait connaitre la vérité.
— Parlez-moi d'elle...
Glen haussa les épaules et bondit du hamac.
— Tu dois d'abord savoir que les humains ici vivent à peu près deux-cents ans. Ta mère avait en réalité soixante ans, un bel âge si tu veux mon avis. On est mature, mais on garde notre vigueur et... Je m'égare !
Alex n'en revenait pas, sa mère lui avait même menti sur son âge. Comment était-ce possible de vivre aussi longtemps ? Les farfadets étaient-ils aussi âgés ?
— Katrina avait ce truc qui fait qu'on s'attache rapidement à elle. Mais va pas croire qu'elle était douce pour autant, je t'assure elle avait pas peur de cogner. Ta mère et moi, c'est une bien longue histoire ! Si t'as suivi ce qu'elle t'a dit, tu dois savoir qu'aefleins et humains ne s'aiment pas trop.
— Aefleins ? Elle vous appelait les farfadets.
Glen éclata de rire avant de tomber au sol. Il riait tellement qu'il se mit à pleurer. Ellora, quant à elle, secoua frénétiquement la tête comme s'il venait de dire quelque chose de grave.
— Les farfadets... Va pas dire ça aux autres, c'est un coup à te faire tabasser ! Bref, on s'aimait pas, mais Katrina, elle était différente. Elle était pas du genre à détester quelqu'un juste parce qu'il venait d'une autre espèce, non. Du coup, un jour je me suis fait enlever, j'en ai gardé une belle cicatrice d'ailleurs. Bah ta mère m'a sauvé ! À l'époque, elle faisait partie de l'armée siltarienne, mais ça, c'était il y a longtemps !
— Ma mère était soldat ?! s'étonna Alex.
Glen hocha la tête. Alex n'en revenait pas, il ignorait tant de choses sur sa mère. Tout ce qu'il pensait être vrai se révélait être faux, tout ce qu'elle lui avait raconté sur sa vie n'était que mensonge. Ces secrets le peinaient, sur le moment il se sentit trahi et horriblement déçu qu'elle ne puisse lui parler elle-même de son passé, de sa vie à Siltaria.
— Pourquoi ne pas être restée ici ? demanda-t-il.
— Elle ne pouvait pas, expliqua Glen. Il y a un peu plus de dix-sept ans, alors qu'elle était enceinte de toi, quelqu'un la pourchassait. Elle voulait se réfugier ici, mais les doyens ont refusé. Alors elle a rejoint cet autre monde afin de démarrer une nouvelle vie.
— Et mon père ?
Glen soupira.
— Damian est mort peu de temps avant sa fuite. Ta mère l'aimait par-dessus tout et ses sentiments perduraient encore alors qu'elle avait rencontré cet autre homme.
Alex trembla silencieusement. Une larme dévala sa joue droite alors qu'il fixait le sol, tête réfugiée entre ses bras. Ses parents étaient donc des soldats et sa mère avait pris la fuite, car on lui voulait du mal. Dix-sept ans après, ses poursuivants l'avaient retrouvée. Son cœur se serra dans sa poitrine, la douleur détonna à chaque battement.
— J'imagine que tu as d'autres questions ? demanda Glen.
Des dizaines d'autres tourbillonnaient en effet dans son esprit. Ce monde nouveau semblait si irréel, il dépassait toute la logique du sien.
— La magie est donc réelle ?
— Eh oui ! Dès ta naissance, Katrina t'a drogué afin que tu en perdes l'usage. J'ai dû m'occuper de te rendre ton dû.
Alex écarquilla les yeux. C'était donc lui qu'il avait entendu, lui qui l'avait assommé, lui qui lui avait donné cette malédiction. Malédiction qui s'avérait au final normale.
— Je sais, te cogner était pas très sympa, mais j'ai pas eu le choix ! Je devais rester discret ! se défendit-il.
— Au moins je sais pourquoi j'entends des voix... Je suis télépathe c'est bien ça ?
— Glen, tu as de la visite, siffla Ellora. Que le petit reste ici.
Glen se leva et s'éloigna sans même avoir eu le temps de lui répondre. Alex aurait aimé des explications, il aurait aimé son soutien. Heureusement, la vieille dame restait à ses côtés. Elle avait quelque chose de rassurant, un regard compatissant, un sourire bienveillant.
— Que viennent-ils faire ? demanda-t-il.
— Tu es humain, confia-t-elle. Les aefleins ont choisi de vivre caché loin des humains. Et je dois t'avouer que les doyens redoutent Katrina et ses secrets.
— Desquels parlez-vous ?
Il voulait tout savoir. Peut-être qu'il ne la reverrait jamais alors c'était le moment d'apprendre la vérité sur elle.
— Ceux qui la poursuivaient. En te cachant ici, tu es un danger pour nous... Ta mère t'a-t-elle indiqué un endroit où te rendre ?
Son cœur se serra, il venait de tout perdre et il n'avait aucune certitude de pouvoir revoir son monde : il venait d'en prendre conscience. Sa mère savait qu'une fois ici, retrouver son beau-père, ses amis, sa vie serait impossible : pour cette raison, elle l'envoya chercher Jon Rainy. Les larmes revinrent alors. Qu'allait-il devenir ?
— J'ai... j'ai tout perdu... lâcha-t-il d'une voix tremblante.
Son monde, morcelé, commençait à se briser petit à petit. Il réalisait désormais. La réalité le frappa de plein fouet et brisa peu à peu ses espoirs si bien qu'il eut du mal à croire possible de retrouver sa vie d'avant.
— Oui...
Ellora passa sa main dans son dos et lui adressa un franc sourire alors que son regard partageait sa peine. Cette femme agissait comme l'aurait fait une mamie avec son petit-fils et c'était agréable. Ainsi il avait l'impression qu'il y avait au moins une personne ici pour lui, une personne sur qui se reposer, sur qui compter.
— Connaissez-vous Jon Rainy ?
— Non mais si ta mère t'a confié à cet homme alors je suis convaincue que c'est une bonne personne. Elle n'a pas quitté son monde pour toi pour remettre ta vie entre les mains de n'importe qui !
Glen ouvrit alors la porte. Il semblait contratié, énervé même, prêt à frapper quelqu'un.
— Les doyens veulent te voir. Maintenant.
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