Cela faisait à présent une demi-heure que Max était parti et cela faisait tout autant de temps qu'Alex cherchait un moyen d'aborder ce délicat sujet avec sa mère. Et aucun ne paraissait bon. « Maman, je sais tout » était trop direct, « Je suis télépathe. » ne l'était pas moins et « Qui suis-je vraiment ? » restait incompréhensible. Et en plus de cela, il ignorait comment ne pas trembler de peur, comment ne pas bégayer et comment ne pas pleurer. Il se connaissait, dès qu'il stressait il perdait tous ses moyens. Max avait beau lui avoir envoyé une centaine de messages de soutien, il hésitait encore.

Et quand sa mère ouvrit la porte de sa chambre sans prévenir, il sut qu'il était temps de parler quand bien même la peur lui nouait l'estomac.

— Je voulais te parler, lui confia-t-elle.

Il déglutit. Avant même qu'elle ne parle, il lui présenta le médaillon trouvé dans l'armoire.

— Qu'est-ce que c'est ?

Les battements de son cœur s'accélérèrent alors qu'un long silence s'installa entre eux. Trop long silence. Malgré son regard dénué de toute colère, Alex ne put s'empêcher d'avoir peur. Sa mère le terrifiait. La vérité le terrifiait. À présent, elle ne pourrait plus rien lui cacher.

— Où as-tu...

Sa mère ferma les yeux et soupira. À présent, Alex allait pouvoir l'interroger sur Glen. Sur ce mystérieux inconnu à l'origine de tout ça.

— Qui est Glen ?

Cette question déstabilisa sa mère qui écarquilla les yeux et resta figée sur place. Elle fixa Alex, bouche bée comme s'il venait de percer un secret enfoui.

— Tu... Tu entends mes pensées ? s'étonna-t-elle.

— Calme-toi, souffla-t-elle. Bon... Nous allons avoir une longue discussion, installe-toi.

— Comment veux-tu que je me calme ? s'écria-t-il. Je suis télépathe sans doute par ta faute et tu possèdes un arc de guerre caché dans ta chambre !

— Tout est normal, d'accord ? Je suis télépathe moi aussi... J'avais fait en sorte que tes pouvoirs ne surgissent pas, mais Glen s'est chargé de les activer. Je lui en veux, sache-le.

Normal ? Comment cela pouvait-il être normal ? Et d'où lui venait ce pouvoir ? la vérité ne fit que rajouter toujours plus de questions. Mais avant même qu'elle ne parle, la porte d'entrée s'ouvrit brusquement.

Au visage de sa mère, Alex sentit son cœur lâcher. La personne qui venait d'entrer chez eux n'avait rien d'amical. Katrina grinça des dents, la peur se lut sur son visage, elle lança un regard à Alex. Elle s'inquiétait davantage pour lui que pour elle.

lança-t-elle. Cet homme est la raison pour laquelle je t'ai caché tout ça...

Alex obéit sans réfléchir. La situation s'aggravait. Malgré le calme olympien de sa mère, il la sentait stressée, inquiète et enragée. Il ne comprenait rien à ce qu'il se passait et d'inombrables questions noyèrent son esprit. Il la suivit jusque dans sa chambre où elle enfila la cape, son carquois et se saisit de son arc. Alex découvrit alors une nouvelle personnalité de sa mère : la guerrière. Si Alex tremblait, sa mère gardait son calme, elle savait ce qu'elle faisait.

— Tu vas te cacher dans cette armoire et si ça tourne mal – elle ferma les yeux et soupira – rappelle-toi du nom de John Rainy, il pourra t'aider.

— Est-ce mon père ?

C'était la seule qu'il parvint à lui poser. La plus importante de toute. Conscient que son monde s'apprêtait à changer radicalement, il n'arrivait à rien dire d'autre. Ses jambes tremblaient tellement qu'il manquait de tomber à tout instant.

— Non, lui répondit-elle avant de le pousser dans l'armoire. C'est un ami, et le seul qui pourra veiller sur toi si je venais à disparaitre.

Alex n'eut pas le temps de répondre qu'elle ferma les portes. Dès qu'il entendit les marches grincer, il sursauta.

— Ne panique pas.

Alex ne comprenait rien à ce qu'il se passait. Il était trop terrifié pour poser la moindre question, la situation s'aggravait et son monde changeait. Au même instant, d'immenses flammes brisèrent le bois de la porte dans un craquement inquiétant. Alex écarquilla les yeux. Impossible. La fumée, âcre et étouffante lui coupa la respiration comme si on l'étranglait.

Ce que vit alors Alex le surprit davantage que tout ce qu'il avait vécu jusque là. Du corps de sa mère jaillirent des plantes qui ne cessèrent de grandirent jusqu'à former d'immenses ronces. Celles-ci étouffèrent aussitôt le feu avant de pourfendre murs et sol dans un fracas assourdissant. Sa mère maitrisait la magie. Et elle se battait contre un autre mage.

— Glen ? s'étonna Katrina.

— Le gamin n'est pas en sécurité ici ! cracha-t-il avant d'ouvrir l'armoire et de faire face à Alex.

Emmène Alex à Siltaria ! ordonna sa mère.

Siltaria. Ce nom ne lui était pas inconnu. À ses côtés, Glen toussotait ; il venait de traverser la table de la cuisine.

Alex fixait ce cauchemar, les yeux larmoyant. Sa maison, ce lieu qui lui inspirait autrefois sécurité, n'était plus qu'un désert de flammes. Un brasier incandescent rongeait tout ce qui pouvait être réduit en cendres, cette tempête étouffante allait tout emporter sur son passage. Et eux aussi.

Alex se redressa, mais sous la panique, ses jambes lâchèrent et il s'écroula au sol.

— Alex ! Glen va t'emmener en Siltaria et là-bas, tu chercheras Jon comme je te l'ai dit !

Alex serra le médaillon dans sa paume. Siltaria, ce royaume légendaire existait donc réellement. Terrorisé, il ne répondit pas, il resta paralysé, incapable de prononcer le moindre mot. Tout ceci semblait tellement irréel qu'il ne put s'empêcher de rire.

Plus choquant et surprenant encore furent les larmes qui perlaient le coin de ses yeux. C'était la première fois de sa vie qu'il la voyait pleurer. Elle qui souriait toujours, elle qui n'hésitait pas à blaguer quand il fallait détendre l'atmosphère, elle sanglotait. Alex sut alors qu'il ne la reverrait peut-être pas et cela le brisa.

Alex ne répondit pas. Son instinct de survie prit le dessus et malgré la douleur fulgurante qui perçait son dos, il se releva et aida Glen.

— On se reverra ! cria Katrina alors qu'un geyser de flammes dévora les plantes.

Elle brandit son arc et avec un courage inébranlable, attaqua. L'homme bondit sur elle, mais les plantes le rattrapèrent et s'enroulèrent autour de ses membres. Cet homme vêtu d'un long manteau noir, Alex ne l'oublierait pas, son visage resta gravé dans son esprit. Une mâchoire carrée entourée d'une fine barbe, des cheveux blonds hérissés et un regard froid.

Le brasier rougeoyant ravageait leur maison. Le plancher de l'étage craquait et menaçait de s'effondrer à tout instant. Les murs crème disparaissaient sous le feu et une épaisse fumée piquante enveloppait la salle. Dans tout ce chaos, Katrina tendit la main et un orbe d'un bleu très clair apparut. Glen toussa avant d'attraper la main d'Alex. Une violente quinte de toux prit le jeune homme qui se força à avancer. La fumée l'aveuglait, il se laissa guider et traversa l'orbe alors que derrière, sa mère hurla d'agonie.