19
Malgré l'excitation de Callum à montrer ses progrès à son frère, Alex était épuisé. Il avait passé nuit blanche et pour cause, Xénia avait failli le tuer et Edgar finit blessé par sa faute. Par chance, son pouvoir lui permettait de se régénérer plus vite que la normale, il ne le rendait pas immortel pour autant. Après cela, Xénia s'était réfugiée dans sa chambre et son père fit face à un dilemme. Alex ne sut bouger, paralysé par le choc et traumatisé, il devait l'aider et rejoindre sa fille. La nuit fut glaciale et compliquée pour tout le monde. Alex ne fut pas le seul à ne pas dormir, et sans doute n'était-il pas seul à culpabiliser. Le silence qui combla la bibliothèque du palais pesa sur ses épaules et sur celles de Xénia. Tous deux souhaitèrent s'esquiver et Az, conscient des tensions, perdit son entrain à donner cours. Alex ne retint rien, de même pour Xénia.
Et bien sûr, il n'échappa pas aux cours d'alchimie. Il se ravit de voir le médaillon autour du cou d'Elhion et espérait qu'elle parle à Xénia. Par chance, il n'explosa aucune potion et n'enfuma pas la classe, ce qui n'empêcha pas Cassius de le rabaisser.
Ce n'est qu'en fin de journée qu'ils retrouvèrent Raehô. Alex voulait dormir, mais il devait lui faire part de ses progrès. Raehô attendit ce moment avec autant d'impatience et d'espoir qu'eux deux, seul Alex stressait. Il redoutait un échec cuisant et un pouvoir.
En effet, depuis la découverte d'une source d'énergie incroyable au fond de son être et depuis la discussion qu'il eut avec Glen, craignait d'être doté de magie. Raehô souhaitait qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes, ce qui signifiait user de cette énergie. Malgré ses nausées, Alex se concentré pleinement et, du dôme psychique s'échappa une douce chaleur qui agissait comme un feu crépitant. Il déglutit. Les flammes l'effrayaient, elles lui rappelaient de bien mauvais souvenirs : il ne voulait pas de ce pouvoir. Mais malheureusement, le destin en avait décidé autrement et, face à ses yeux pleins de surprise, un brasier doré s'éleva dans le dôme. Son regard vide ne le quittait pas. Cette magnificence le tétanisait, sa phobie le rendait effroyable ; il revoyait l'attaque encore et encore. Il ressentit la chaleur, les brûlures, il entendit les cris, les toux dans la fumée.
Tremblant, affolé, il tenta d'effacer ce feu qui redoubla d'intensité. Le brasier consumait le dôme, il voulait hurler, mais se retrouvait pétrifié dans son esprit, incapable d'agir. Pire encore que perdre Callum, il se retrouvait avec le pire pouvoir entre les mains : celui qui tua sa mère. Et quand le feu recouvra son esprit, les parois du bouclier, il tomba à genoux, démuni et effaré. Il voulait se réveiller de ce cauchemar.
Alors, il sentit une présence : Raehô arriva non en héros. Alex cria, il voyait son pouvoir, il voyait sa véritable magie, celle qui l'éloignait de son ami. Les flammes irradiaient en chaleur, Raehô quitta son esprit étouffant. Alex déglutit. Callum allait savoir.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Callum.
Malgré ses airs perplexes et choqués, Raehô afficha un sourire resplendissant de joie. Ce visage fier, Alex s'en serait bien passé : il scellait sans doute la fin d'une belle amitié.
— Alex vient de se découvrir un pouvoir et il l'a utilisé comme défense.
— Quoi ? s'étrangla Callum. Mais c'est trop bien !
Alex, blême, cessa au moins de paniquer pour une chose : Callum ne lui en voulait pas. Il tenta de camoufler la terreur et le dégout que lui inspira ce pouvoir, mais la tâche était bien compliquée.
— Tu ne m'en veux pas ? Enfin je veux dire... Tu n'as pas de magie et tu pensais tomber sur quelqu'un comme toi...
Callum haussa les épaules et sourit.
— T'en fais pas ! Si je devais m'éloigner de chaque personne possédant un pouvoir, je me retrouverais seul !
Alex sourit, heureux qu'il ne prenne bien. Un poids s'enleva de ses épaules à présent.
— Bon, revenons à cette magie, lança Raehô. Alex, si tu maitrises aussi le feu, il te faudra t'entrainer encore plus. Je préviendrai le roi, il te confiera à un pyromancien suffisamment fort.
— Non, hurla-t-il intérieurement.
Tout, mais pas ça. Cette magie, il n'en voulait pas. Le feu avait détruit sa vie, il ne pouvait pas le contrôler, impossible. Le visage de ce meurtrier le fit frémir, il ravagea sa maison, lui arracha sa mère et lui, il lui ressemblait. Il n'entendit même pas Raehô les féliciter, il ne l'entendit pas non plus l'avertir qu'il n'avait plus rien à apprendre. C'est Callum qui le sortit de ses pensées à l'aide d'une transmission.
— On continuera de s'entrainer, hein ?
— Oui, dit-il.
Il ne toucherait jamais au feu, il le redoutait. Il progresserait dans une autre magie, plus sûre, plus apaisante, loin de tout danger.
*
Alex rentra au palais le cœur lourd. Les évènements de la veille le rendaient nauséeux et anxieux. Ce terrible pouvoir ne l'aidait pas non plus, il aurait de loin préféré être dépourvu de magie. S'il avait dû choisir, il aurait choisi la floramancie, la manipulation des plantes : le pouvoir de sa mère. Une fois dans le palais, il se dirigea vers le bureau du roi tout en tremblant de froid, espérant ne pas croiser Xénia. Par chance, il ne la vit pas.
En voyant sa tête, Alex hésita un instant à lui faire part de ses problèmes. La dispute qu'il eut avec Xénia l'affectait beaucoup, toutefois il préférait s'assurer qu'Alex aille bien.
— Quelque chose ne va pas ?
Beaucoup de choses n'allaient pas. Il craqua. Il se laissa aller et lui parla de tout : ses peurs vis-à-vis de ces meurtriers, la terreur ressentie face à son pouvoir, l'angoisse liée aux cours d'alchimie et à Xénia, la disparition de sa mère. Tout ce qu'il vivait là était digne d'un jeu de rôle, mais la réalité dépassait la fiction. Ce pouvoir maudit le terrorisait de même pour ces assassins, les Anges Noirs. Il finit en sanglots même s'il avait honte de pleurer devant lui. Mais Edgar n'était pas homme à juger, au contraire, il comprenait sa douleur. Ce fut donc tout naturel qu'il se levât et passa posa ses mains sur ses épaules.
— Tu vis une épreuve horrible, il n'y a aucun doute là-dessus. J'ai eu une longue discussion avec Xénia hier, je ne t'en ai pas parlé tout de suite. Nous avons beaucoup parlé, elle est allée trop loin, elle en a conscience.
— Qu'a-t-elle dit ?
— Laisse-moi te montrer.
Alex, les larmes aux yeux, accéda à la mémoire du roi. Il ressentit la douleur explosive frappant son abdomen, ce choc qui le plia en deux. Il ressentit la peine endurée, les larmes qu'il parvint à retenir. Il se plaça à sa place de père en conflit avec sa fille, de père impuissant face à une réaction incompréhensible. Il vit Xénia pleurer sentit les vagues de tristesse inonder son être.
Après cela, il se rendit dans sa chambre et esquiva un coussin lancé à la vitesse d'une flèche. La colère de Xénia ne le laissa pas de marbre.
— Xénia... Parle-moi. Je ne comprends pas.
— Laisse-moi ! cracha-t-elle.
— Je m'excuse.
Elle releva un regard interloqué vers lui, elle ne comprenait pas. Ses larmes peinèrent Alex qui ignorait tout de son état.
— Je n'ai pas toujours été suffisamment là pour toi, je l'ai bien remarqué et j'en suis désolé. À force de me consacrer corps et âme à Siltaria, j'en ai oublié le plus important...
— Il est pas là le problème ! Alex est recherché par une bande d'assassins qui peuvent se téléporter n'importe où et tu l'amènes au palais ! Il n'a peut-être plus rien, mais moi, ce n'est pas le cas...
Alex crut comprendre où elle allait en venir et son cœur se resserra. Xénia été terrifiée, tout comme lui.
— S'ils viennent... Ils tueront tout le monde, sanglota-t-elle. Ils me prendront ce qu'il me reste...
La bouche du roi s'entrouvrit comme s'il allait parler. Alex ressentit alors un mélange de diverses émotions qui le fit frémir. Les frissons parcoururent son corps jusqu'à ce qu'Edgar prenne Xénia dans ses bras. Ses réflexions lui vinrent en tête et il sut alors qu'il avait raison : la mort de sa mère affectait encore Xénia après toutes ces années. Il lui restait son père et quand bien même il se faisait distant, elle ne voulait pas le perdre. Alex se sentit coupable. Par sa faute, elle vivait dans la peur de perdre son père, seule famille qu'il lui restait.
Au final, Elhion avait sans doute raison. Xénia n'était méchante, elle était sensible et apeurée. Ces cicatrices se fermaient seulement et à l'arrivée d'Alex, elle crut voir son monde se briser. Tout comme lui. Il souffla, peiné, et se concentra sur la suite.
— Tu ne dois pas lui en vouloir pour autant... Il ne nous met pas en danger, Alex est originaire de Siltaria et c'est mon devoir de l'aider.
— Et s'ils le retrouvaient ? Tout serait de sa faute ! hurla-t-elle.
— Non, souffla Edgar. Je protègerai ce garçon parce qu'il le faut, parce que je suis roi. Siltaria est ma famille, mais je ne t'oublie pas pour autant.
— On ne sait rien d'eux...
Alex grimaça, Xénia avait raison sur ce point. Ils ne savaient rien de ses ennemis.
— Nous les cherchons et nous les trouverons, Xénia. Il est primordial qu'Alex se sente en sécurité ici et à sa place. Tout ira bien, ne t'en fais pas.
Alex ressentit la chaleur de leur étreinte et l'apaisement du roi. Xénia versa ses dernières larmes avant d'essuyer ses yeux rougis. À présent, Alex espérait que leur relation s'améliore.
— Merci de lui avoir parlé...
— C'est normal.
— Dites-moi... Comment fait-on pour aller mieux face à.... À la perte de quelqu'un.
Les yeux d'Alex se baignèrent de larmes, le roi afficha un rictus désolé.
— Je dois t'avouer que ce n'est pas simple. Nous vivons des jours meilleurs et pourtant nous n'oublions pas nos disparus. Cela fait dix ans maintenant que la guerre est finie... Dix ans et les blessures restent, les souvenirs demeurent inoubliables, les cœurs sont en peine. C'est compliqué, je le sais, quand le monde entier te rappelle ce qui n'est plus, ce que tu n'as pu sauver. On vit tous sans se dire qu'un jour, la mort peut frapper à nos portes et que, quand elle viendra, personne ne pourra l'empêcher d'agir.
Le roi s'assit sur le rebord de son bureau et fixa Alex. Même s'il ne pleurait pas, les souvenirs douloureux le berçaient dans la tristesse.
— Comment faire quand on ne se sent pas chez soi ? Quand on a tout perdu ? demanda Alex.
C'est l'épreuve la plus dure peut-être, bien plus dure qu'une guerre. Je me doute que vivre ici ne sera jamais pareil que vivre dans ton monde, mais tes parents sont nés en Siltaria, toi-même tu es né ici. Ce pays, c'est bien le tien. Quand on perd, on se relève et on recommence, même si c'est dur, même si on est à bout de force. Tu ne pourras jamais oublier ta famille et tes amis, mais tu rencontreras d'autres personnes qui t'aideront, qui te feront sentir chez toi ici même.
Alex retint un autre sanglot. Il avait effectivement rencontré des personnes qui l'aidèrent tout au long de sa nouvelle vie.
— J'espère que tout ira mieux avec Xénia à présent, dit-il. Parfois, une bonne dispute est efficace même s'il est préférable de s'en passer.
Alex sourit. Xénia n'était qu'un problème parmi d'autres. Sa mère n'était quand même plus là et il ne changerait pas Cassius, même si Elhion pouvait l'aider.
— J'essaierai de lui parler...
— Ce serait une bonne idée. Elle n'en a pas l'air, mais elle est calmée.
— D'accord...
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