Le plan des deux comploteuses se mit doucement en place. Comme un roulement des différentes tâches était effectué chaque semaine, le nouveau planning établi par Nami fut plutôt bien accueilli. Sanji lança un regard noir à Luffy, grommelant un "chanceux" bien senti au capitaine.

— Si Nami-chan se plaint de quoi que ce soit... Quoi que ce soit, tu m'entends bien Luffy ? Si elle se plaint de quoi que ce soit, tu auras de mes nouvelles. Est-ce que je me suis bien fait comprendre ?

Luffy avait simplement acquiescé, tout sourire, mais en prenant en compte l'avertissement. Il savait que le cuisinier était tout à fait capable de restreindre son appétit gargantuesque tant qu'il ne manquait de rien. Sanji ne le priverait bien sûr jamais de nourriture s'il avait vraiment faim ; mais le jeune capitaine avait tendance à se servir bien plus de fois que nécessaire... Et ça, le blond était tout à fait capable de le punir !

Mais sa crainte fut vite balayée quand il constata le nombre de fois où il travaillait avec Law.

— Eh ! T'as vu, Torao ? On sera ensemble toute la semaine ! C'est cool, hein ? Shishishi !

— Déjà, pourquoi est-ce que je dois bosser autant ? C'est pas mon navire... constata Law.

— Parce que t'es l'un des nôtres maintenant, alors au boulot ! clama Nami haut et fort. T'as quelque chose à redire là-dessus ? Tu te crois trop beau pour travailler ?

— Je le suis pas ! Et je suis pas l'un des vôtres !

— Bah si, tu l'es ! contesta Luffy, sourcils froncés. T'es mon allié ! Bien sûr que t'es avec nous, Torao. Ne fais pas cette tête, on va bien s'amuser !

Law lança un regard mauvais au plus petit qui avait enroulé son bras autour de ses épaules.

— Je suppose que c'est normal... céda malgré tout le docteur, qui abhorrait encore plus le fait de passer pour un flemmard.

Nami et Robin échangèrent un regard entendu ; Law ne réagissait même pas à la proximité que Luffy avait instaurée entre eux. Robin se demanda s'il s'agissait d'un signe positif : était-il habitué à la présence de son allié ou ne ressentait-il tout simplement rien ? L'espoir la conduisit à préférer la première éventualité. Luffy le collait assez souvent pour qu'il s'habitue à l'élan de gentillesse du plus jeune.

Aucun autre commentaire ne troubla la réunion. Les autres avaient l'habitude des changements de planning, et la répartition ne les dérangeait pas tant qu'ils travaillaient au moins en binôme avec leur compagnon préféré. Ainsi, les filles évitèrent de mettre Zoro et Sanji ensemble. Elles avaient tenté quelques fois ; à chaque fois, ça s'était soldé par un retentissant échec, et les autres avaient en plus dû nettoyer les bêtises des deux idiots.

Le système du planning fut plutôt bien respecté par tout le monde, y compris Law. Le chirurgien avait vite compris qu'il n'aurait pas trop le choix de suivre le mouvement s'il ne voulait pas s'attirer les foudres de la navigatrice, ou, pire encore, celles de Luffy. Son allié pouvait se montrer excessivement collant et embêtant quand quelque chose lui déplaisait.

Mais malgré sa participation aux tâches ménagères — lavage du pont, rangement occasionnel, tenue de la barre (jamais en présence de Luffy, il faisait n'importe quoi), vigie... —, les deux Cupidon improvisées ne constatèrent que peu de changements. Law restait toujours Law, et Luffy toujours Luffy.

— Ils sont si chiants, soupira Nami au bout du troisième jour. Je ne vois aucune avancée. Rien de rien. Luffy fait toujours le crétin en sa présence et l'autre réagit exactement de la même manière que d'habitude.

— Patience, conseilla Robin, ça va bien finir par payer. Ils sont faits l'un pour l'autre, ils vont forcément se rapprocher.

— Tu parles... On n'a pas toute la vie devant nous, hein ! se lamenta la navigatrice. Déjà, on va pas tarder à arriver à destination, donc après, Torao va sûrement repartir sur son navire, et ensuite, même si on met plus d'une semaine, renouveler ce planning risque de se voir. Il va falloir qu'on intervienne !

— Oui, sinon, ils vont mourir puceaux...

— T'es glauque...

Robin attrapa un des sandwiches préparés avec amour par Sanji et croqua dedans. Nami l'imita ; elles prenaient souvent une petite collation sur le pont quand elles en avaient l'occasion. Aujourd'hui, elles avaient décidé de s'écarter pour discuter tranquillement.

— Au fait, t'as vu la couleur du navire de Torao ? Jaune poussin ! Quelle horreur, souffla Nami.

— Je ne le trouve pas si horrible, son bateau...

— Tu rigoles ! Jaune, comme un tournesol ! Quel manque de goût ! Je me demande bien qui est le fou qui a choisi cette couleur.

— De toute façon, c'est un sous-marin, on ne le voit pas, quand il est immergé, répondit l'archéologue.

— C'est pas faux. Mais un type aussi beau dans un navire aussi moche... C'est inconcevable. Je devrais lui donner des leçons de style, un de ces quatre.

— J'ai hâte de voir ça.

Alors que Robin terminait sa phrase, elle aperçut Luffy se diriger vers elles, bouffi d'excitation et exultant avec enthousiasme. L'historienne sourit avec tendresse. Elle adorait observer son capitaine courir sur le pont, s'extasier sur n'importe quel oiseau ou poisson, crier, jouer, râler, tel un enfant qu'elle n'avait jamais eu l'occasion d'être. Parfois, il se montrait épuisant et agaçant, même pour quelqu'un d'aussi patient que Robin. Mais jamais elle n'avait une parole vexante pour le petit capitaine. Elle avait trop d'affection pour l'énergie du gamin pour le rabrouer. Elle laissait ça volontiers à Nami, beaucoup plus à l'aise avec la discipline.

A bien y regarder, Robin incarnait à la perfection le rôle d'une grande sœur bienveillante. Sa quiétude était inégalable, bien différente des montagnes d'énergie que déployaient les autres membres. Elle posait un regard bienveillant sur ses amis. Un regard reposant.

— Nami ! Robin ! cria Luffy en passant.

— Luffy ! Qu'est-ce que tu fais ? demanda Nami, commençant à élever la voix, tandis que Robin se contentait d'un petit coucou de la main.

Elle imaginait bien que l'empressement du jeune adulte caoutchouc l'empêcherait de s'arrêter pour discuter.

— Je vais rejoindre Usopp et Franky dans la salle des machines !

— Ne cours pas ! Tu devais pas être avec Torao ?

— Si. Mais il est ingérable.

Nami se retourna et déglutit. Law se tenait à côté d'elles. Toujours vêtu de son sempiternel pantalon à taches noires et d'un tee-shirt bleu à manches courtes, portant sur sa tête son iconique couvre-chef blanc moucheté de noir, Law les dévisageait, un air blasé sur le visage. Posée contre son épaule, sa canne à pêche pendait tranquillement.

— Vous n'avez rien attrapé ?

— Rien de fameux. Je ne suis pas un excellent pêcheur, c'est Bepo qui s'occupe de ça habituellement. Quand il n'en mange pas la moitié en route... ajouta-t-il à voix basse.

— Bepo... répéta Nami, pensive. Ton ourson qui parle ?

— Ce n'est pas mon ourson ! s'agaça le chirurgien. Et ce n'est pas un ourson ! Il est déjà adulte !

— Oui, bien sûr, désolée, acquiesça Nami.

Robin se demanda si son amie était bien sincère en s'excusant de la sorte. Law s'éclaircit la voix, conscient que son emportement trahissait son attachement au navigateur de son équipage. Même s'il se doutait bien que ce ne seraient pas ses alliés qui se moqueraient de lui parce qu'il tenait à son ami, il préférait afficher un air détaché.

— Je ne suis pas un bon pêcheur, donc. Et Mugiwara-ya est encore pire que moi.

— Mais vous êtes si catastrophiques que ça ? soupira Nami.

— On a quand même attrapé deux ou trois poissons, mais clairement pas assez pour le repas de ce soir. On retentera quand on sera dans une autre zone, les courants ne sont pas favorables.

— Mais on est pourtant dans une bonne...

— Dis ça à cet imbécile et à la pile de poissons qu'on a ramenée !

L'agacement de Law, palpable, s'atténua alors que Luffy retraversait le pont en sens inverse. Bien qu'il venait de l'insulter d'imbécile, Law semblait se calmer à la simple vue de son allié.

— Ok, ok, désolée ! s'excusa Nami. C'est peut-être Luffy qui les fait fuir...

— Je n'en sais rien. Mais c'est difficile de se concentrer avec lui quand il fait l'idiot.

— Je sais.

— J'ai fait ma part du boulot, je vais faire une sieste. Ne venez pas me déranger.

— Attends, Torao... !

Sans plus de cérémonie, Law prit congé des deux demoiselles, ne répondant pas à l'appel de la rousse. Il disparut derrière la porte du dortoir, qu'ils avaient décidé de partager d'un commun accord pour faciliter les choses — au grand désespoir parfois du chirurgien, qui ne trouvait pas commode de dormir avec quelques ronfleurs.

Nami s'exaspéra. Pourquoi fallait-il toujours que les membres de cet équipage n'aient aucune manière ? L'air antipathique du docteur l'énervait au-delà du possible. Elle avait envie de le secouer. Mais elle savait qu'elle ne pouvait pas tout se permettre avec lui, ce qui la frustrait beaucoup plus que ça ne la soulageait.

— Celui-là... C'est incroyable ! Quel malpoli ! M'ignorer comme ça, quel tocard... grommela Nami.

— Tu es dure, sourit son acolyte. Il est peut-être un peu fatigué.

— Bah qu'il dorme mieux et qu'il emmerde pas son monde !

— Il dormira mieux s'il se met en couple avec Luffy, dit Robin.

Le rappel de leur mission, à savoir aider les deux imbéciles à déclarer leurs sentiments, mit fin aux jérémiades de la navigatrice.

— Je m'inquiète un peu, finit-elle par dire.

— A propos de quoi ?

— De ce que vient de dire Law... Il a bien dit que nous étions dans une zone peu propice à la pêche. J'ai vérifié ce matin et la zone semble être bien connue et peuplée de créatures marines. Tu ne penses tout de même pas qu'il y aurait un danger qui se profile ?

— Peut-être un roi des mers, qui nous dévorera en une bouchée... rêva Robin.

L'évocation de cette possibilité funeste hérissa tous les poils et la longue chevelure de Nami. La suggestion de Robin lui donnait si froid dans le dos qu'elle envisagea d'enfiler une veste.

— Quelle horreur ! T'es super glauque !

Comme d'habitude, l'archéologue ne réagit pas.

— Je pense simplement qu'ils n'ont pas eu de chance, ajouta Robin.

— Ce n'est peut-être pas qu'une question de chance... En tout cas, il avait l'air plus préoccupé par Luffy que par les poissons.

— Il doit se sentir responsable de lui. Veiller à ce que notre cher capitaine ne fasse pas n'importe quoi n'est pas facile !

Le rire cristallin de Robin fusa, enjoué. Combien de bêtises Luffy faisait-il par semaine ? La brune avait tenté de faire le compte : elle avait bien vite abandonné. Mais après tout, n'était-ce pas ce qui faisait son charme ?

— Tu lui as rendu son livre, au fait ? demanda Nami.

— Pas encore. Je vais le lui rendre dès que je serai sûre de ne pas le déranger.

— A ce rythme-là, tu peux le mettre dans ta bibliothèque, le bouquin risque de t'appartenir...

— Torao n'est pas si difficile à approcher, remarqua Robin.

Loin d'être convaincue, Nami haussa les épaules. Il était compliqué de tenir une conversation avec Law. Ce n'était pas tant que le garçon ne présentait que peu d'intérêt ; au contraire même. Mais il mettait souvent très vite court à toute forme d'interaction ou s'agaçait à la moindre contrariété.

Peu de temps après, le mauvais temps gagna le ciel, recouvra la couche d'azur qui s'étendait à perte de vue, lança quelques averses bien senties. Tout le monde se retrouva donc à l'intérieur du navire, là où l'écume bouillonnante qui s'abattait sur le pont ne pouvait passer.

Robin profita de ce retranchement inopiné pour partir à la rencontre du chirurgien.

— Où vas-tu, Robin d'amour ? avait lancé Sanji au moment où elle quittait la pièce.

— Voir Torao, répondit-elle simplement.

Sanji et Zoro lui lancèrent une œillade presque contrariée, tandis que Nami souriait tranquillement. Elle replongea son attention sur ce qu'elle faisait, satisfaite : lorsque le nom de son allié avait franchi les lèvres glacées de l'archéologue, Luffy avait levé la tête.

Et il avait l'air heureux.

¤¤ To be continued.. ¤¤

Oyez, oyez !

Nous sommes dimanche. Or, qui dit dimanche, dit journée One Piece ! J'ai donc décidé de vous offrir une publication aujourd'hui. J'espère que ce petit chapitre vous aura plu !

On se retrouve la semaine prochaine pour un nouveau chapitre !

En attendant, prenez soin de vous !