Chapitre 18
Le fracas de la bouteille contre le bois de la table sortit Robin de sa contemplation. En face d'elle, Zoro souffla d'aise après avoir englouti la moitié de sa boisson en quelques gorgées gloutonnes. Avachi contre la banquette, le sabreur arborait déjà quelques rougeurs caractéristiques de l'ivresse, mais une ivresse que Robin savait légère et sans conséquences. Il se passa une main dans ses cheveux, prêt à boire de nouveau.
Robin posa des yeux rêveurs sur sa propre coupe de saké. Le liquide avait ondulé sous le choc du cul de bouteille contre la table et reprenait peu à peu sa quiétude.
Autour d'eux, quelques clients buvaient. Les discussions s'enchaînaient dans une joyeuse cacophonie. On entendait parfois s'élever un rire gras, bien souvent suivi par d'autres échos amusés. Un débat animé naissait à une table tandis que la table voisine accumulait les verres et les plats.
— Enfin un endroit où ils se lâchent, grogna Zoro entre deux nouvelles gorgées.
Robin reporta son attention sur son camarade. Il marquait un point : les gens se comportaient normalement au sein de ce bar. Les rires ne sonnaient plus faux. Il n'y avait pas de retenue. Leurs chaînes avaient chuté. Depuis qu'ils avaient débarqué sur cette île, Robin avait senti la tension dans les regards de la population. Ils se forçaient à sourire et à être heureux. Ce détail n'avait pas sauté tout de suite aux yeux de l'escrimeur, et il fallut attendre les explications pour qu'il se rende compte à quel point les faux-semblants avaient corrompu les visages de la plèbe.
— Avec ce qu'ils vivent, il leur faut bien un endroit où rire et se libérer.
— C'est quand même dingue.
L'archéologue acquiesça d'un petit hochement de tête. Après avoir quitté la librairie, ils avaient déambulé dans les rues. Tandis que Robin tournait dans une rue, Zoro, lui, avait continué tout droit et s'était perdu. Il avait fallu une bonne vingtaine de minutes à Robin pour retrouver son partenaire. Puis, tous les deux égarés, ils avaient atterri dans un petit bistrot aux allures traditionnelles pour se reposer et échapper à la chaleur de l'après-midi. Pendant qu'ils marchaient, le récit de Charlie n'avait cessé de tourner en boucle dans l'esprit de la brune.
— Je n'en reviens toujours pas, commenta Robin. Ce qui arrive à cette île est fascinant.
— Je n'aurais pas dit ça, personnellement...
— Dire qu'une telle créature peut par sa simple présence apporter la prospérité...
— Ça reste juste un gros poisson, soupira Zoro.
Robin ne releva pas la remarque ingrate de son camarade.
— Il va falloir en parler à Luffy.
— Le connaissant, il va vouloir se mettre à sa recherche et sauver l'île.
— C'est sûr.
D'un élégant mouvement de poignet, Robin apporta la coupe de saké à ses lèvres.
— Cette rencontre avec Charlie nous a bien aidés, dit-elle après un petit moment.
— Quoi, ce type ? Tu lui fais confiance ?
— Confiance... Peut-être pas, mais en tout cas, il s'est montré coopératif...
— Si tu le dis.
Zoro ne l'aimait pas vraiment. Même si Charlie s'était montré plus accueillant au fil du temps, sa nature de sabreur l'érigeait en rival. Pire encore, son côté artistique et sa verve ne plaisaient guère au vice-capitaine des Mugiwara. Son habilité à parler lui rappelait un peu trop le cuistot et son habitude à draguer toutes les demoiselles à sa portée. Au cours de leur petit entretien, le poète s'était beaucoup trop rapproché de son amie et avait monopolisé la discussion. L'impression d'être mis de côté et de ne pas être à sa place l'avait poussé à un mutisme qui lui laissait un goût amer.
Ce qui se passait sur l'île ne lui plaisait pas non plus.
Qui aurait pu croire qu'un lieu perdu cachait peut-être une créature légendaire dont dépendaient les habitants ? Il n'avait pas bien écouté les propos de Charlie, qui s'était d'abord épanché sur la vie de son aïeul — un formidable aventurier qui n'avait eu de cesse de pourchasser les créatures les plus mémorables, dont celle-ci —, puis sur la légende en elle-même — une créature marine à qui on prêtait tantôt les traits d'un serpent de mer, d'une raie ou d'un saumon, parfois les trois à la fois — et dont l'énergie formidable apportait bonheur et prospérité à quiconque l'approchait.
Selon la légende contée par l'ancêtre de Charlie, une écaille ou un oeuf de cette créature suffisaient à rapporter bonheur, espoir, richesse ou inspiration. On racontait même que la possession d'un souvenir de cette créature réalisait le souhait du chanceux.
Autrement dit, Zoro se montrait sceptique. Non pas qu'une telle créature ne puisse exister — après tout, dans un monde où des hommes pouvaient faire pleuvoir des météorites ou trancher des navires d'un simple coup de lame, rien n'était impossible —, mais l'absence de témoignage crédible rendait la chose difficile à concevoir.
Au contraire du vice-capitaine, Robin avait été captivée par l'histoire de Charlie. Bien qu'elle se méfiait toujours de lui, elle avait trouvé un intérêt dans cette légende. Les vieux récits avaient toujours su captiver son appétit pour les connaissances.
— Tu t'inquiètes ? demanda-t-elle à Zoro.
— Non, je trouve ça juste... Disons que j'y trouve peu d'intérêt.
Il s'était retenu de justesse ; qualifier de ridicule cette quête aurait certainement blessé Robin, ce qu'il ne voulait sous aucun prétexte. La voir ainsi, attentive, curieuse, débordante de passion pour ce récit lui faisait plaisir. Il ne voulait surtout pas réduire à néant son enthousiasme ou la vexer. Il se souvenait encore de ce moment, dans l'appartement de Charlie, penchée au-dessus de l'ouvrage. Qu'elle était adorable, les yeux plissés par la passion, un sourire rêveur sur les lèvres, aspirée dans sa lecture, les sourcils concentrés, ses longs cheveux d'ébène tombant sur ses épaules tandis que le monde autour d'elle semblait disparaître !
Zoro l'avait compris : les livres signifiaient autant pour elle que les sabres pour lui. Quelque part, même s'il n'était pas en mesure de l'avouer, il trouvait cet amour pour ses livres beau, intense, ardent. Chaque fois qu'il la contemplait, perdue dans les lignes d'un énième roman, concentrée sur les documents qu'elle parcourait, son coeur ratait un battement. Chaque fois qu'il fermait les yeux, elle hantait ses rêves. Il n'était pas rare que ses siestes s'écourtent parce qu'il pensait à elle.
Robin haussa les épaules. Il ne restait plus beaucoup de temps avant de retourner sur le Sunny. Elle préférait profiter un maximum de ce moment de répit. Elle se mit à songer à Nami. La connaissant, elle devait profiter un maximum de cette sortie pour se faire plaisir. Elle ne doutait pas aussi qu'elle ferait plaisir à Chopper.
Elle repensa à la discussion qu'elles avaient eue sur le navire, d'abord dans la bibliothèque puis dans leur dortoir. Nami lui avait conseillé de laisser parler son coeur et de se rapprocher de Zoro. Robin ne savait pas vraiment comment la navigatrice avait eu vent de son attirance pour le sabreur, mais ses conseils lui avaient ôté un poids des épaules. Malgré le temps qu'elle avait passé sur le navire, Robin se demandait si les relations entre compagnons étaient bien vues. Connaître la réponse à cette question la soulageait.
— C'est quand même étrange, souffla-t-elle.
— Quoi ?
— Cette île a connu la prospérité durant des années. Si cette créature aimait tant cet endroit, pourquoi serait-elle partie ?
— J'imagine qu'elle doit souvent se déplacer...
— Je pense qu'il doit y avoir quelque chose derrière malgré tout.
Zoro s'enfonça un peu plus sur la banquette après avoir bu les trois quarts de sa nouvelle bouteille. Si la disparition de la créature avait été provoquée par un élément extérieur, alors peut-être que cet élément se trouvait encore là. La tension, palpable, électrisait l'atmosphère du bar.
— Tu penses qu'on l'aurait chassée ?
— Je ne peux rien dire pour l'instant, mais après tout, quelles sont les chances pour qu'un tel animal se fasse capturer ? Sur les mers du Nouveau Monde ?
— Dans tous les cas, cette île est dans une situation catastrophique, annonça Zoro. J'aurais bien dit que ce n'est pas vraiment notre problème, mais quelque chose me dit que ça va le devenir...
Robin acquiesça. Elle passa une main distraite sur les branches de ses lunettes de soleil. Elle ne doutait pas que Luffy veuille louper une telle chance. Aussitôt, elle songea à la réaction de Law ; il allait très certainement commencer par refuser, mais peut-être allait-il céder, puisqu'il avait l'habitude de suivre Luffy dans ses décisions.
— Si ça le devient, on fera ce qu'on fait d'habitude.
— Ouais. Mais j'ai quand même un mauvais pressentiment... Il va falloir rester prudent.
Zoro la fixa avec une telle intensité que Robin se sentit reculer. Elle n'eut pas besoin de se demander si cet avertissement la concernait. Elle en avait l'intime conviction. Les yeux du vice-capitaine pétillaient d'un éclat inconnu jusqu'alors, oscillant entre un sérieux mortel et une préoccupation sans borne. Un éclat qui suspendit le temps pour la jeune femme.
Pour se défaire de cet étrange sentiment qui menaçait ses joues de devenir écarlate, Robin se détourna. Les aiguilles de l'horloge, accrochée au-dessus du comptoir, défilaient dans un cliquetis régulier, couvert par le joyeux bourdonnement des clients. Elle écarquilla les yeux et entama un mouvement pour se lever.
— Oh, l'heure a tourné. On devrait peut-être y aller...
— Déjà ?
Robin se ravisa. Une pointe de tristesse — ou bien était-ce de l'ennui ? — émergeait de la voix de Zoro. Il la regardait.
— Nous avons passé pas mal de temps dans la librairie, dit Robin. Si on ne part pas maintenant, on risque d'être en retard au rendez-vous et les autres vont s'inquiéter. Désolée.
Pour ne pas le vexer, l'archéologue s'abstint d'ajouter qu'elle avait aussi pris en compte le fait que Zoro pouvait très bien se perdre. Nami lui avait confié la garde de Zoro pour éviter qu'il ne s'égare.
— C'est rien, marmonna le sabreur. Tu as raison, on ferait mieux de partir.
Le regret voila une courte seconde le regard de Robin. Il était clair que Zoro aurait aimé passer plus de temps ici, mais le devoir surpassait ses désirs. Ils ne pouvaient pas faire attendre les autres ; ils s'inquiétaient facilement. S'ils se rendaient compte qu'ils n'étaient pas revenus, ils partiraient sans doute à leur recherche.
Zoro empoigna ses sabres en se levant. Il passa devant son amie, s'arrêta un instant, la regarda, sourit et continua sa route. C'était bref, c'était court, c'était intense. Lorsqu'il lui tourna le dos, Robin se mordit la lèvre pour s'empêcher de rougir. Ce n'était pas dans ses habitudes. Mais le sourire que Zoro venait de lui lancer... lumineux. Chaleureux. Brillant. Un peu coquin aussi, elle ne sut pas vraiment.
— Merci pour la bouteille, glissa-t-il près de son oreille. Elle était excellente. Il faudra remettre ça, un de ces quatre.
Lorsqu'ils sortirent du bar — une fois l'addition réglée, ils ne voulaient pas s'attirer des ennuis, ne sachant pas si la marine pouvait débarquer —, Robin se dit qu'elle ne regrettait pas de s'être perdue avec Zoro.
¤¤ To be continued... ¤¤
Bonjour, bonjour !
Oui, je sais, vous n'attendiez pas un chapitre. Moi non plus, à vrai dire. Mais aujourd'hui est une date spéciale et je me dois de la célébrer.
Aujourd'hui, effectivement, nous sommes le 19 juillet. Il y a vingt-cinq ans, jour pour jour, dans le Weekly Shonen Jump était publié le premier chapitre de One Piece. Vingt-cinq ans ! Je ne sais pas si vous vous rendez compte. Un quart de siècle... Bordel, je n'étais même pas né quand le premier chapitre est sorti ! C'est juste complètement dingue. Et dire qu'Oda a consacré la moitié de sa vie à écrire et dessiner ce chef-d'oeuvre...
Alors, pour les quelques personnes attentives, oui, nous sommes le 19 juillet et non le 22, qui est le One Piece Day. J'ai décidé subitement de publier aujourd'hui parce que le premier chapitre a vraiment été publié le 19 et non le 22. Un anniversaire donc plus légitime. Pour ceux et celles qui veulent savoir d'où je tiens cette information, je l'ai vue traîner sur le compte Twitter du Mont Corvo (qui abattent un boulot de dingue aussi et pour qui j'ai beaucoup de respect).
J'ai un immense respect pour cet homme. Je distingue respect et RESPECT avec de grandes lettres, les majuscules. Mon respect pour Eiichiro Oda s'écrit avec des lettres capitales plus grosses que la Tour Eiffel. Ce monsieur, cet artiste, est un être exceptionnel, un bourreau de travail et un génie qui porte des valeurs importantes. J'ai infiniment plus de respect pour Eiichiro Oda que j'en ai pour certains membres de ma famille, et à peu près que quatre-vingt-dix-neuf pour cent de l'humanité.
Merci à lui pour avoir créé cette oeuvre qui nous fait vibrer chaque semaine. Je connais One Piece depuis un peu plus de dix ans maintenant, et je peux le dire : c'est l'aventure d'une vie, autant pour l'auteur lui-même que pour les lecteurs. Je lui en suis sincèrement reconnaissant.
Et, finalement, l'énergie que je mets à écrire mes chapitres et à construire mon intrigue et mon univers autour du sien n'est qu'un modeste hommage à tout son travail. Je suis heureux qu'il vous plaise. Ce chapitre devrait vous plaire, les fans du ZoRobin ! Pour ce qui est de la suite de mon planning de parution, eh bien... Ce sera une surprise ! Est-ce qu'il y aura un autre chapitre dans la semaine ? Très certainement ! A voir si je le publie dimanche ou vendredi pour le One Piece Day.
Bref, pour conclure, j'espère que vous avez passé un agréable moment avec cette surprise.
Petit message aussi pour Oda-san (même s'il ne lira jamais cette note d'auteur) : merci pour tout ce que vous avez créé. Vous êtes absolument formidable. Vous êtes, pour moi, l'auteur idéal. Merci, merci, merci.
Et pour vous, lecteurs, lectrices, merci d'avoir lu ce chapitre, merci de me supporter, merci d'être avec moi.
Je vous embrasse fort, prenez soin de vous en attendant le prochain chapitre.
Et Joyeux Anniversaire à One Piece !
Umi
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