Chapitre 15
Sa patience était mise à rude épreuve. Bon sang, qu'il rêvait en cet instant de s'enfiler trois verres d'affilée pour oublier où il se trouvait ! Il rêvait de partir dans un petit coin tranquille à ses côtés, loin de tous ces rayons oppressants et de cette odeur vieillissante. Il rêvait de s'égarer avec elle. Il rêvait qu'elle le guide.
Il détestait attendre. Il aurait mille fois préféré se reposer à l'ombre d'un platane, ses armes posées contre son torse, l'oeil admirant les nuages.
Mais il supportait tout ça pour elle, cette insurmontable attente, alors qu'elle fouillait, arpentant les allées de son regard expert, jaugeant chaque produit avec un intérêt enfantin qui contrastait avec son impeccable beauté. Il supportait cette attente car il aurait tout fait pour elle.
Zoro croisa les bras, regardant d'un air blasé les bouquins qui se trouvaient face à lui. Bien sûr, ils déambulaient dans le couloir historique de la librairie. Robin faisait glisser ses doigts sur plusieurs ouvrages, en prenait un, lisait le résumé, faisait une petite moue, puis le reposait, s'attardait sur un autre et le cycle recommençait inlassablement. Parfois, elle ouvrait le livre, sentait le parfum qui se dégageait des pages tournant à toute vitesse entre ses mains et le serrait contre son coeur, soupesait l'intérêt du livre par les sensations qu'elle éprouvait à son contact.
— Oh, le dernier livre d'Aros Argem est sorti, s'étonna Robin en s'emparant d'un ouvrage.
Zoro, quelque part, comprenait les étranges habitudes de l'archéologue. Lorsqu'il se trouvait face à une lame de qualité, il appréciait entrer en contact avec elle, la caresser, la manier. L'entendre parler, murmurer. Il aimait discuter avec elle, faire corps, faire d'elle le prolongement de son bras. Il se demandait bien s'il était question de la même chose pour la lecture. Visiblement, oui.
Dix bonnes minutes furent nécessaires à Robin pour s'écarter du rayon. Elle gardait un oeil sur son compagnon ; Zoro pouvait s'en aller et se perdre à tout moment. Depuis qu'elle le connaissait, Robin avait appris à prêter une attention toute particulière au comportement de son camarade. Il aurait été mal venu de partir à sa recherche et de gaspiller de précieuses heures. Incapable de se repérer même avec le plus évident des plans, le sabreur nécessitait une attention de tous les instants.
Les livres qui se tenaient devant elle semblaient la narguer. Ils paraissaient tous si intéressants, si intrigants ! La tentation était vraiment forte, mais le budget, lui, coulait comme un utilisateur de fruit du démon en pleine mer. Autant dire qu'elle le regrettait, mais elle avait dû faire des choix. Tant pis ! Après tout, Law avait aussi amené des livres, elle s'arrangerait peut-être avec le chirurgien pour faire un échange d'ouvrages. Même si elle était loin de posséder ses connaissances en sciences, Robin ne refusait jamais d'ouvrir un livre.
Elle eut un pincement au coeur. Penser à Law alors qu'elle se trouvait aux côtés de Zoro lui donnait un goût amer en bouche. Un goût de trahison. Elle savait bien qu'un sentiment étrange, entêtant, avait pris racine au creux de sa poitrine et fleurissait chaque fois que le sabreur témoignait de l'attention ou de l'affection à son égard. Elle se sentait comme une fleur égarée dans les montagnes qui rencontrait une semblable. Les solitudes s'entremêlaient sous les caresses bienveillantes du mistral du destin.
Sa pensée se dirigea ensuite vers Luffy. Elle espérait que tout se passait bien avec son allié. Au fond de son coeur, elle n'en doutait pas un instant. Luffy possédait ce don si particulier qui faisait flétrir les barrières les plus récalcitrantes. Combien de temps Law pouvait-il tenir face au sourire resplendissant de son capitaine ?
Le bruit de la porte de la librairie la sortit de ses rêveries. Elle leva vivement la tête pour constater si Zoro était toujours là. Il la regardait avec patience, mais Robin n'ignorait pas à quel point ce genre de lieu pouvait agacer un homme d'action comme lui. Au moins, se disait-elle, l'endroit dégageait un charme certain, et il avait l'avantage non négligeable d'offrir un abri face à la chaleur harassante qui écrasait la ville en ce début de journée.
— J'ai bientôt fini de choisir, le rassura-t-elle.
— T'inquiète, prends ton temps.
Elle acquiesça. La gentillesse de Zoro lui faisait chaud au coeur, aussi ne voulait-elle pas en abuser. Elle se hâta donc de finir ses emplettes. Son passage dans les rayons se fit plus furtif et incisif. Seulement, son regard fut attiré par un comptoir. Le meuble en bois ancien trônait au milieu de l'enseigne. Sur celui-ci reposait un ouvrage à la couverture dorée. Orné d'enluminures, il semblait si ancien et fragile que Robin passa avec douceur ses doigts dessus. Un poisson aux écailles dorées et argentées dansait littéralement sur la couverture cartonnée.
Zoro haussa un sourcil. Même lui pouvait le sentir.
Ce livre dégageait quelque chose.
Robin le fixait avec un intérêt comparable à celui de Nami devant une montagne d'or. Jamais rien ne semblait avoir provoqué un tel effet chez l'archéologue, pas même les Ponéglyphes. Et à bien y regarder, c'était presque hypnotique.
— Il fait le même effet chez tout le monde.
Les deux pirates se retournèrent immédiatement. Zoro fronça les sourcils et porta la main à sa ceinture, là où se trouvait ses sabres. La voix était douce, chantante comme les cordes d'une lyre. Robin ne bougea pas, mais elle se mit discrètement en position défensive.
Dans l'encadrement de la porte menant à la réserve se tenait un homme. Plus grand que Robin, Zoro estima qu'il mesurait deux mètres. Étrangement, son allure altière et son élégante posture lui évoquèrent Cavendish. Il se tenait droit, les bras croisés, dans un habit sombre ; un costume composé d'une veste de drap bleu nuit dont les vertes broderies qui décoraient son col et ses manches étaient parcourues de motifs rappelant des rameaux d'olivier, d'un pantalon noir qui ne laissait rien paraître de ses jambes et de bottes de la même couleur, tout ce qu'il y a de plus classique. Un manteau couleur neige tombait sur ses épaules, maintenu par de discrètes épaulettes dorées.
Zoro s'attarda un peu plus sur ce qu'il portait à la ceinture. Une lame courbe, un peu plus grande que les siennes, pendait dans son fourreau, évoquant vaguement une plume. La garde de l'épée exhibait la teinte d'un rubis. Légère, aérienne, c'était le genre de lame qui facilitait les attaques rapides. Le vice-capitaine des Mugiwara peina à porter toute son attention ailleurs. Cette arme le charmait. Il dut se faire violence pour relever la tête.
Il tomba nez-à-nez avec un visage neutre, tranquille, sérieux. Il fallait le reconnaître : la beauté de leur interlocuteur n'avait pas grand-chose à envier à celle de celui que les journaux surnommaient le prince des pirates. Moins éclatante, mais il y avait chez cet homme un charme dur, cassant. En quelque sorte, on pouvait facilement considérer le sabreur blond comme son opposé. Sa chevelure d'ébène tombait en bataille jusqu'à sa nuque, laissant sur son front quelques mèches rebelles. Derrière ses cheveux se cachait une paire d'yeux arctiques, d'un bleu grisonnant qui tour à tour paraissait chaleureux puis insaisissable. Un regard dans lequel coulaient les abysses gelées de l'océan.
Un rayon de soleil filtrait depuis la fenêtre et éclairait ce corps puissant d'un éclat divin. Au milieu de ces rayons dégoulinants de livres, il ressemblait à une statue de marbre antique. Lorsque l'individu bougea, Zoro extirpa légèrement un de ses sabres hors de son fourreau et se plaça devant Robin.
— Comme c'est charmant, commença la voix, le preux chevalier qui veut protéger sa princesse.
— T'es qui, toi ?
— Un peu de calme, Roronoa Zoro. Je ne vous veux pas de mal. Commençons par le commencement, si vous voulez bien. Comme tu me le demandes avec tant de bonté et d'amabilité, il me faut te répondre. Je m'appelle Wright D. Charlie.
Robin écarquilla les yeux. Elle ne s'attendait pas à le voir ici.
— C'est vrai ? demanda-t-elle.
Charlie porta un regard dans sa direction. Ses fines lèvres s'étirèrent en un sourire qui mêlait ironie et bienveillance.
— Bien sûr, pourquoi mentirais-je ?
— Tu le connais ? grogna Zoro, la voix pleine de jalousie.
— Qui ne le connaît pas ? sourit Robin. C'est un auteur qui a beaucoup de renommée. Il a notamment écrit plusieurs contes et légendes, mais aussi des choses plus fantaisistes, des poèmes... Il a beau avoir moins de trente ans, il a une belle carrière derrière lui.
Charlie haussa un menton pétri de fierté à l'entente de son palmarès.
— Ah. J'connais pas, bougonna le sabreur.
— Ce n'est pas bien grave, je ne me vexerai pas pour si peu, intervint Charlie en riant doucement. Tu dois peut-être me connaître sous mon surnom. La Plume Écarlate.
— Quoi ? Sérieux ?
— Oui.
— C'est toi, le mec bizarre qui est venu défier Mihawk ?
Charlie ferma les yeux et poussa un soupir. Les souvenirs affluaient et tirèrent ses traits en une grimace de dépit. Bien évidemment, il avait perdu face au meilleur escrimeur du monde, mais il n'avait pas démérité. Zoro se souvenait de ce combat. Il n'avait pas eu l'occasion de l'observer de ses propres yeux — il n'avait même pas rencontré Charlie —, mais l'enthousiasme de Mihawk avait marqué le jeune escrimeur. Lui qui se montrait si distant et silencieux, avait ce jour-là parlé et bu plus que de raison.
Enfin, pour quelqu'un comme Mihawk. C'est-à-dire qu'il s'était donné la peine de relancer la conversation deux fois.
— Oui. Mais je ne suis pas si bizarre que ça.
— Si tu le dis...
Zoro montra les dents, la main sur son sabre. Le vice-capitaine des Mugiwara avait cédé sa place à une panthère aux crocs acérés.
— Il faudra que tu me montres ce que tu vaux...
Une lueur cruelle brilla dans le regard de Charlie. La main sur le pommeau de son arme, il fit un pas en direction des deux pirates.
— Tu veux vérifier maintenant ?
— Pourquoi pas ?
Une tension palpable, violente, vibrait dans l'air de la librairie. Robin aurait presque pu sentir une légère brise se lever. Elle leva les bras, prête à intervenir. Se battre dans un tel endroit était de la folie pure à ses yeux. Ces deux idiots allaient détruire un temple du savoir.
Mais au moment où tout allait basculer, Charlie renversa sa tête en arrière et s'en alla dans un grand rire cristallin :
— Kasasasasasa ! Je plaisante, chasseur de pirates ! Je ne veux pas me battre contre toi. En tout cas, pas ici ni en tant qu'ennemi.
Zoro haussa un sourcil mais sembla se détendre un peu. Robin suivit le mouvement et reprit un air aimable, elle qui s'était abandonnée à un visage concentré. Charlie avança, passa dans le rayon où se trouvaient les deux pirates. Il caressa les livres au passage.
— Même si t'affronter m'intéresse beaucoup, je préfère que ça ne se fasse pas ici, répéta-t-il. Je ne vais tout de même pas détruire mon antre...
— C'est ton magasin ?
— Pas exactement. Il appartient à mon grand-père. Mais j'y passe beaucoup de temps. Il aimerait bien que je reprenne les rennes un jour... marmonna-t-il plus bas. Enfin bref, ce n'est pas le sujet. Vous comprendrez bien que je ne peux pas me permettre de dégrader ce lieu.
— C'est compréhensible. Tu peux nous dire quel est ce livre ? demanda Robin.
Charlie reporta son regard sur l'ouvrage. Un air grave peint sur le visage, il s'en approcha d'un pas prudent, calculé.
— Ah, oui, ce fameux livre... Le trésor de notre boutique.
Un éclat de curiosité pure s'empara du regard de la brune. Zoro se contenta d'un petit bâillement qui lui valut une œillade agacée de la part de l'écrivain.
— C'est un très vieux livre que l'on possède depuis plusieurs générations. C'est mon arrière-arrière-arrière-arrière grand-père, Wright D. Georges, qui l'a écrit, expliqua Charlie.
Sa voix grave résonnait dans toute la pièce. La structure du lieu donnait un écho particulier à ses explications.
— Et il raconte quoi, ce bouquin écrit par ton arrière-grand-père ? demanda Zoro, pressé de s'en aller.
— Mon arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père, le corrigea Charlie d'une voix monocorde. C'est un antique ouvrage qui a plus de trois cents ans. Il a une histoire très particulière... Mais vous n'avez pas soif ?
Le changement de sujet sidéra les deux compagnons. Si Robin se contenta d'un petit sourire aimable, Zoro, lui, poussa un grondement d'impatience.
— Parce qu'il fait putain de chaud, si vous voulez mon avis, et ça pète les couilles. Donc si vous voulez une boisson, je vous invite cordialement à vous sustenter dans mon petit appartement.
— C'est quoi ce bordel, ce mec change trop vite de façon de parler ! s'écria Zoro.
— Il faut bien manier toutes les formes de vocabulaire, mon cher. Tout le charme du poète ne réside-t-il pas dans sa capacité à dire aux gens d'aller se faire foutre en usant de belles métaphores ? Bon, vous avez soif ou pas ? L'épouvantable chaleur qui berce la ville somnolente...
— Tu vas pas nous écrire un roman ! l'interrompit le sabreur, hors de lui.
— Non, mais j'ai du bon saké, si ça te tente.
— Bah voilà ! Fallait commencer par ça, répondit Zoro, plus enthousiaste. Tu vois quand tu veux.
— Toi aussi, tu es changeant, remarqua Robin dans un petit rire.
— Ce... C'est pas pareil... grimaça-t-il.
Charlie esquissa un sourire. Il s'empara avec mille précautions du livre de son aïeul dans une main tandis qu'il faisait signe à ses invités de le suivre de l'autre.
— Tu ne fermes pas la boutique ? s'étonna Robin.
— Ah, ça...
Il claqua des doigts. Robin, intriguée, jeta un coup d'oeil à l'extérieur : l'encre sur la pancarte de bienvenue s'était transformée en un écrit indiquant la fermeture de l'établissement.
— Et voilà le travail.
— Un utilisateur de fruit du démon ?
Le jeune poète étouffa un petit grognement d'approbation et se dirigea vers le couloir duquel il avait surgi, quelques minutes auparavant. Au bout de ce couloir, un escalier de bois s'étendait en colimaçon, montant vers une pièce invisible de là où ils étaient. Sans se retourner, Charlie grimpa les marches une à une dans un grincement désagréable.
— Il ne m'inspire pas confiance, grommela Zoro.
— Oui, mais il n'a pas l'air belliqueux. Il nous invite, profitons-en pour nous reposer. J'ai hâte d'entendre cette histoire en tout cas, chantonna l'archéologue.
— Bon, eh bien allons-y...
L'ombre de l'escalier, grandissante, finit par les engloutir.
¤¤ To be continued... ¤¤
Bonjour, bonjour, chers lecteurs, chères lectrices !
Je suis heureux de vous retrouver pour ce quinzième chapitre ! On y découvre mon tout premier Original Character : Wright D. Charlie ! Que je suis heureux de vous le présenter, vous ne pouvez pas savoir. J'adore ce personnage.
C'est le premier d'une longue série...
Oh, et c'est aussi le premier où on commence à parler de l'intrigue. J'espère qu'elle va vous plaire !
La semaine prochaine, on se retrouve pour deux chapitres ! Mercredi est un jour assez spécial pour moi (mon anniversaire ^^), donc je me dois de le fêter comme il se doit avec un autre chapitre !
J'espère que vous avez passé un bon moment en lisant ce chapitre. Merci de l'avoir lu !
A la semaine prochaine ! Prenez soin de vous, je vous aime fort ! Bisous !
Umi
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