Le poids des mots
TW : Suicide ! / Dessin de couverture et de chapitre par @SINo_oa sur Twitter.
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Il les sentait.
Il les sentait, ces regards perçants ne le lâchant pas d'une semelle.
Il les entendait.
Il les entendait, ces murmures incessants, courant les couloirs et les salles de classe.
Il voulait hurler.
Il voulait hurler au monde entier que ce n'était pas sa faute.
Mais il le savait.
Et il le saurait toujours.
Que c'était bien SA faute.
•
"Si tu tiens tant à devenir un héros, j'ai une solution pour toi. Saute du toit et prie pour avoir un Alter dans ta prochaine vie !"
Il voyait encore le regard terrifié de Deku quand il prononça ces mots.
"Quoi, t'as un problème ?", avait-il renchéri, ses explosions prêtes à remballer le faiblard devant lui.
Devant le silence de son camarade, il était alors sorti de la salle de classe avec ses deux amis de l'époque, laissant son souffre-douleur seul avec ses pensées.
Pourquoi avait-il fait ça ?
Pourquoi avait-il dit ça ?
"Regarde ! C'est lui, Katsuki Bakugo. Il est en troisième C, c'est lui qui..."
"Tu crois que c'est vrai ? Je pense pas, personne peut faire une chose pareille..."
"Tu penses qu'il va être renvoyé ?"
"Taisez-vous, taisez-vous, taisez-vous TOUS !", pensait-il chaque jour, à chaque fois qu'il traversait ce couloir bondé d'élèves pour sortir prendre l'air.
Même s'il le pensait très fort, il n'oserait néanmoins jamais laissez ces mots traverser ses lèvres. Après tout, il n'était pas légitime de dire quoi que ce soit, après ce qu'il avait fait.
Enfin sorti de ce bâtiment infernal, il vérifia que le distributeur de boissons et ses alentours étaient déserts, avant de s'y aventurer.
"Hé, Bakugo !"
Son jus de pomme dans la main, il se figea, restant face à la machine.
"Alors comme ça on tue des gens ?"
Impossible de bouger. Même s'il ne voulait pour rien au monde voir le visage de celui qui lui adressait la parole, cette paralysie l'angoissa subitement.
"J'espère que ces images te hanteront toute ta vie, monsieur le prétentieux !"
Son jus de pomme explosa sous sa poigne brute.
Les larmes lui étaient montées aux yeux, des larmes de colère, des larmes de tristesse, des larmes d'agacement.
Il se tourna brusquement vers ses deux interlocuteurs, et s'étonna lui-même d'être sorti de cette peur le paralysant.
Mais cela ne dura que quelques secondes, avant qu'il ne reconnaisse les deux en face de lui. Ses deux anciens camarades, qui avaient été là à ce moment, ce jour-ci. Qui l'avaient soutenu dans sa bêtise, qui n'avaient rien dit.
Sa rage montait. Il savait pourtant qu'il devait faire profil bas...
Mais le caractère de quelqu'un ne changeait pas d'une minute à l'autre.
"- Et c'est vous qui dites ça, bande de connards ?, susurra-t-il entre ses dents serrées par la hargne.
- ... Pardon, j'ai pas bien entendu ce que t'as dit ?, lâcha le premier des enquiquineurs, s'avançant dangereusement vers lui.
- Vous étiez là vous aussi. Pourquoi ce serait pas de votre faute aussi, hein ?"
Son ton montait dangereusement, sa voix était clairement audible maintenant. Il avait peur des répercussions, mais il devait se lâcher. Il ne pouvait rester passif, il le sentait dans son cœur, dans ses tripes.
"- Mais c'est pas nous qui avons sorti la phrase de trop, Bakugo. C'est toi qui a voulu sa mort, pas nous -
- VOUS ÉTIEZ LÀ !! POURQUOI VOUS NE M'AVEZ PAS ARRÊTÉ !"
Les larmes coulaient sur ses joues. Ses mains pleines de jus avaient violemment agrippé la veste de son ennemi, rapprochant le visage de son bourreau à quelques centimètres du sien. Son regard était planté dans celui de son agresseur, mais il n'y voyait que de la moquerie.
Pourquoi s'acharnait-il ? Son ancien ami avait raison.
Sa faute... C'était de sa faute.
Bakugo le relâcha aussi vite qu'il l'avait attrapé, sachant qu'il n'était pas en position de force.
"T'as vraiment bien fait de me lâcher. Parce que si t'avais posé un seul doigt de plus sur moi..."
Son ancien ami s'approcha de lui, posant une main sur l'épaule tremblante de Bakugo.
"C'est toi le prochain qui serait mort."
Poussant un Bakugo impuissant, l'ennemi s'en alla, suivi de son acolyte qui cracha aux pieds du blond.
Abattu, il s'adossa contre le distributeur, s'assit par terre, et pleura.
Il n'avait pas pleuré depuis ce jour-là.
•
Sortant de l'école, il avait laissé ses deux amis - maintenant bourreaux - pour rentrer chez lui.
À aucun moment il n'avait pensé que ses mots auraient eu une quelconque importance. Une quelconque conséquence.
Il n'y avait même pas réfléchi quand il les avait prononcés.
À aucun moment il n'aurait pensé que...
Il tourna le coin et passa à l'arrière du bâtiment de l'école pour rejoindre le chemin de terre vers sa maison ; mais il se sentait mal à l'aise.
Comme si... Comme si quelqu'un l'observait.
Ce n'était pas les regards des autres qui aujourd'hui le pesaient.
C'était la similitude de son ressenti du regard des autres avec celui de cet instant-ci.
Comme si sa victime continuait de l'épier, encore aujourd'hui.
"Kacchan..."
Un frisson parcourut son échine, tandis qu'il s'était élancé sur le chemin de terre. Il ne se sentait pas bien.
"Kacchan."
Ses oreilles devaient lui jouer des tours. Il releva la tête, personne en face de lui sur le petit chemin.
"Kacchan !"
Il ne pouvait l'ignorer. Il avait clairement entendu l'appel, au loin.
Une seule personne pouvait l'appeler ainsi.
Il se retourna et découvrit avec effroi la scène devant lui.
Son souffre-douleur se tenait sur le toit du grand bâtiment.
Ses bras étaient levés, tels des ailes qui l'aideraient à planer.
Tout se passa trop vite.
Son cœur s'accéléra subitement dans sa poitrine.
Il n'arriva pas à courir.
"Tu penses que j'aurais un Alter comme le tien ?"
La phrase était limpide. Comme si son adversaire de toujours l'avait murmurée dans son oreille. Pourtant, il était à des mètres de lui.
La seule chose qu'il put faire en tant qu'observateur était de tendre le bras, comme pour rattraper le minuscule Deku qu'il voyait au loin.
Sa bouche s'ouvrit grand, mais aucun son n'en sorti.
Il vit les cheveux verts briller au soleil couchant, tandis qu'ils couraient vers le sol.
Et, leur chute achevée, une mare rouge vint rapidement les tâcher.
Bakugo avait cru rêver. Ce n'était tout simplement pas possible.
Il parvint enfin à sortir de sa torpeur.
Ce n'était pas possible.
Il courut de toutes ses forces vers Deku.
Ce n'était pas...
Pourquoi n'avait-il pas couru plus tôt ? Enfin, peut-être que Deku n'était pas...
Possible.
Cinq mètres les séparaient.
Il n'eut besoin de rien de plus que l'odeur âcre et la couleur rouge pourpre sur le corps immobile pour comprendre.
•
Le corps sans vie qu'il avait scruté à ses pieds hantait ses rêves, chaque instant où il fermait les yeux - clignait même des yeux.
Recroquevillé sur lui-même, contre le distributeur, il se haïssait.
Les larmes lui manquant progressivement, il se calma.
Non, il ne pourrait pas continuer à vivre.
... À vivre comme ça en tout cas. Par respect envers sa victime, il ne pourrait pas vivre ainsi. Par fierté aussi, il ne pourrait pas se morfondre continuellement dans ce drame et se placer en victime. Il fallait qu'il aille de l'avant tout en se souvenant.
Serait-ce seulement possible ?
Il ne voulait pas oublier sous prétexte d'avancer.
... Il ne serait capable d'oublier, transportant chaque jour le poids de ses actes et du cadavre sur ses épaules.
•
Des murmures, des on-dits... accompagnés d'images gravées à jamais dans sa mémoire.
Il vécut ainsi les derniers mois de son année de troisième.
Cette indifférence des professeurs et du proviseur le rongeait chaque jour. Il aurait préféré être renvoyé. Peut-être le directeur savait-il que vivre dans la tension serait plus difficile pour lui qu'un renvoi ? Ou avait-il simplement fermé les yeux par manque de preuve, ou pour protéger la notoriété de son école ?
Dans tous les cas, Bakugo avait hâte de s'en aller.
Il avait gardé son souhait d'aller à UA, espérant que des échos de son acte ne se soient pas répandus là-bas, ou bien que l'on lui offre pénitence.
Il ne devait pas abandonner ses ambitions, pour lui... et pour Deku.
Reçu à UA, il ne saurait jamais si quelqu'un avait été au courant de son passé sombre. Il fut traité comme un quelconque élève.
Tête de classe, ambitieux, prétentieux, mais étrangement distant, ainsi le décriraient ses camarades de classe.
Comme s'il ne voulait s'attacher à quiconque, et se centrait uniquement sur son objectif de carrière.
Il avait peur. Encore peur aujourd'hui de dire le mot de trop, alors il préférait s'abstenir.
Et encore aujourd'hui, en première, il revoyait le corps s'envoler dans les airs d'automne, les cheveux verdoyants brillant une dernière fois à la lumière du jour. Un souvenir clair, dont les détails le foudroyaient d'effroi.
Bakugo soupira et alluma sa lampe de chevet. Cela faisait quatre nuits de suite que ces souvenirs d'il y a deux ans revenaient à la charge. Bien qu'il tentait de se coucher plus tôt pour arriver à s'endormir à une heure raisonnable, rien n'y faisait.
S'asseyant au bord de son lit, il jeta un coup d'œil à son horloge : 23h15. Cela faisait une heure et demie qu'il tentait de trouver le sommeil, tourmenté par ces images. Il s'étira.
C'était le prix à payer de ses actes.
Il profita du silence un instant. C'était rare pour un samedi soir d'entendre les couloirs de l'internat aussi calmes.
Il savait cependant qu'il n'arriverait pas à dormir, ou difficilement en tout cas, malgré la journée éreintante qu'il avait eue.
Il se sentit soudainement et profondément seul, bien que dix-neuf autres élèves dormaient dans le même bâtiment.
Mais, alors qu'il était baigné par ce silence petit à petit pesant, du bruit clinquant dans la chambre à côté l'extirpa de sa panique grandissante. Kirishima venait certainement de terminer un devoir, car il entendit les roulettes de sa chaise de bureau glisser sur le parquet.
Bakugo soupira une nouvelle fois et se leva, se dirigeant vers la porte. Les larmes lui montaient aux yeux.
Il était idiot.
Dans le couloir plongé dans l'obscurité, un frisson le traversa. Ce sentiment d'être examiné et dévisagé revint le déranger, comme à chaque fois. Il s'y était malheureusement habitué, mais il n'osa tout de même pas regarder le bout du couloir sombre derrière lui.
Qui sait si deux yeux verts l'observaient dans la nuit.
Bakugo toqua à la porte, qui s'ouvrit presque immédiatement.
Cette impression d'être épié disparut dès que le premier rayon de la chaude lumière de la chambre de Kirishima vint le baigner.
"Bakugo ?"
L'interpellé ne répondit pas et baissa les yeux. Merde, il allait vraiment pleurer. Il serra les poings pour tenter de se contenir.
Devant les poings serrés de Bakugo, Kirishima s'inquiéta.
"Bakugo, ça va ?"
Il entendit l'inquiétude dans la voix de son camarade.
C'était pour cette raison précise qu'il ne voulait pas s'attacher à qui que ce soit. Il ne voulait pas que quelqu'un se préoccupe trop de lui ; il ne voulait plus jamais que quelqu'un puisse, par sa faute, se sentir mal.
Son cœur se serra, il devait retourner dans sa chambre.
"Je..."
La première larme roula sur sa joue.
Il était pathétique.
"Putain..."
Des bras chauds l'entourèrent, délicatement, avec précaution. Il fut incapable de dire ou faire quoi que ce soit, à part continuer à laisser sa peine sortir.
Kirishima ne dit rien, et Bakugo lui en était reconnaissant. Il laissa sa tête tomber sur l'épaule de son ami, tentant de se focaliser sur l'odeur de lessive de son pull pour se calmer.
Mais ce qu'il ne vit pas, c'était le visage triste de Kirishima qui, le prenant dans ses bras, sentit le poids qui le crispait.
Le poids d'un tracas lourd, qu'il portait certainement seul depuis si longtemps.
Le poids de ses actes.
Et du cadavre sur ses épaules.
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