Le Plus Grand Mystère De Ta Vie.
Le Plus Grand Mystère De Ta Vie.
Min Yoongi était un ami de longue date. Je l'avais rencontré par l'intermédiaire de nos deux femmes. C'était une connaissance dont le calme était apaisant. Sa vie semblait être un long fil plat, dont il contemplait l'invariance avec philosophie. C'était aussi le genre d'ami à vous écouter parler longuement. Si j'appréciais étrangement sa compagnie austère, je devais avouer que lui et moi ne partagions pas une grande affinité. Il m'avait toujours semblé qu'il était difficile d'être complice avec quelqu'un d'aussi silencieux. J'aimais sans doute parler avec lui de sujets pointus, car il était très érudit et ses paroles étaient toujours réfléchies et sages.
Si sa femme avait fait de grandes études et occupait un haut poste dans une firme d'import-exports, Min Yoongi se contentait simplement de la surveillance dans un musée de botanique. Il passait ses journées, les mains dans le dos, à déambuler mollement dans les serres pour vérifier que les gosses ne posaient pas leurs mains curieuses sur un cactus. Je trouvais secrètement ce poste si vide de sens que je ne comprenais pas qu'il s'y complaise si facilement. Jamais il ne s'était plaint de la fadeur de son travail. Il n'en parlait, pour ainsi dire, jamais. Je l'imaginais, dans ses habits de sécurité noirs, déambuler tantôt dans des grandes salles au parquet grinçant, tantôt dans la serre tropicale, où glougloutait des bassins artificiels. C'était d'un ennui profond. Un peu comme Min Yoongi.
Pour autant, c'était un homme de grand culture. Il était incollable en beaucoup de domaines. Il en connaissait un rayon sur les mythologies, la géographie, le jazz, le cinéma italien, les mathématiques... Sa femme, Yoona, se plaignait souvent à ma femme – qui me le rapportait ensuite - qu'il préférait bouquiner plutôt que de faire l'amour avec elle. Ca ne m'étonnait d'ailleurs guère de lui. Il ne dégageait pas une grande sensualité. Son corps était petit et grêle. Sa silhouette évoquait étrangement celle d'un vieillard. A le dire sincèrement, il faisait presque maladif, pour son âge.
Pour ne rien arranger, il s'habillait étrangement. Contrairement aux hommes qui adoptaient joyeusement la "chemise-cravate" en abordant, comme lui, les 32 ans, son style vestimentaire semblait s'être arrêté au lycée. En dehors de ses heures de travail, il portait toujours la même chose: un jean, un sweat-shirt, un manteau de feutre crème et des bottines sombres qu'il ne semblaient pas avoir changé depuis quelques temps. Sa seule coquetterie était sans doute sa belle collection de bonnets, qu'il enfonçait sur ses cheveux sombres pour supporter l'hiver.
Je me demandais souvent comment Yoona et lui avaient pu se marier. Ils nous avaient souvent raconté leur rencontre. Quelque chose d'ennuyeux, à l'image de la vie de cet homme. Durant une randonnée organisée... Ils étaient dans le même club de marche. Je n'aimais pas la marche à pied. Mais après tout, il pouvait sans doute s'y passer des choses intéressantes, à ce genre d'événements. J'avais cependant du mal à me figurer Min Yoongi amoureux.
Il semblait faire un mari agréable, en outre. Il respectait beaucoup son épouse, cela se lisait dans son regard. Il avait même des gestes de grande tendresse envers elle, son bras mince s'enroulant autour de sa taille quand elle commençait à fatiguer et qu'il disait "Nous allons rentrer, tu as besoin de repos...". Et puis, Yoona travaillait beaucoup alors Yoongi s'occupait de tout le reste et il cuisinait de très bons plats de spaghettis. Il fallait lui accorder cela.
La vie de Min Yoongi me fascinait par son vide sidéral, son absence de sens, de signification et de reliefs. En fait, je ne comprenais pas que quelqu'un d'aussi intelligent, d'aussi philosophe, puisse se passer de toutes fantaisies. Il contemplait le long serpent du temps qui ondulait mollement sous son nez, comme un vieillard déjà, comme s'il n'attendait que la mort. Pourtant, ce n'était pas quelqu'un de triste. Il avait simplement peu de goût pour les plaisirs de la vie. Je me disais souvent que peut-être Min Yoongi serait plus heureux s'il était venu dans un autre monde, dans un monde avec des lois complétement différentes. Les lois de notre Univers ne semblaient tout simplement pas lui convenir. Il était un terrible étranger de l'espèce humaine.
Ce soir-là fut donc surprenant. Ce soir-là, Min Yoongi décida de me livrer l'histoire la plus mystérieuse qui puisse sortir de sa bouche. J'aimerais vous raconter cette histoire, car, encore aujourd'hui, je ne comprends pas comme une telle péripétie puisse arriver à un homme comme Min Yoongi. Pourtant voilà, je ne pense pas qu'il ne m'ait jamais menti. Il avait parlé avec le même calme froid et inébranlable tout au long de son récit.
Nous avions un dîner chez les Min. J'étais venu chez eux directement en sortant du travail alors que ma femme et Yoona étaient déjà parties à leur cours de yoga, ensemble. Elles étaient certainement bien plus amies que moi et Yoongi ne l'étions mais, comme je vous l'ai dit, j'appréciais beaucoup sa compagnie. C'était lui qui m'avait accueillis, les horaires du musée étant plutôt légers. Nous nous étions assis dans le salon. L'appartement était très sombre, dehors, l'orage faisant rage sur les trottoirs. La vue sur Séoul était imprenable. Yoongi vivait dans un luxe dont il ne semblait même pas avoir conscience grâce au travail de sa femme. Il m'avait servi l'apéro, la radio chantonnait depuis la cuisine. La modernité donnait un côté austère au lieu. Les surfaces, lustrées, renvoyaient le faible éclairage. Min Yoongi n'était pas quelqu'un de maniaque, cela se lisait sur son visage mais il voulait faire les choses pour Yoona: absolument tout sentait le propre. De toute façon, Min Yoongi n'avait pas d'envies de lui-même et il vivait donc à travers celles de sa femme. Le lieu était à l'image de Yoongi pourtant: calme et un peu maussade. Je décidais de briser le silence:
- Je dors peu en ce moment. Il y a quelque chose qui tourne en boucle dans mon esprit mais, quand je sors de ma somnolence, je ne sais pas exactement de quoi il s'agit. Ca ne t'arrive jamais?
Je me tournais vers lui. Je ne savais pour quelle raison, la lumière grisâtre de cette fin de journée lui donnait un air maladif. Des ombres s'insinuaient dans ses joues creuses. Il me sembla pour la première fois que le regard de mon ami était empli d'une grande tristesse. Il fixait la vue, ne semblant pas remarquer que je l'étudiais avec attention:
- Si. C'est la sensation que j'ai, tous les jours, en allant travailler. L'atmosphère du musée me pèse...
J'étais sidéré. C'était la première fois qu'il se plaignait de son travail. Était-ce l'absence de sa femme qui lui déliait ainsi la langue? Je crois que oui car il poursuivit:
- Quand j'arrive, le matin, je me gare et je fume, dans la voiture. J'essaie de réfléchir à quelque chose de concret, comme les paroles d'une chanson. Je chantonne même, quand ça me revient bien. Chaque matin, j'espère que ce sentiment change. Mais chaque fois que je passe la porte... Chaque fois, Seokjin, c'est imparable. Le même brouillard illisible me remplit la cervelle.
- Chaque matin? Demandais-je surpris.
- Oui, chaque matin.
- Depuis toutes ces années?
J'étais vraiment surpris par la nouvelle. Min Yoongi n'avait jamais eu l'air d'avoir une vie trépidante mais il avait toujours un fin sourire aux lèvres quand il nous écoutait parler. Jamais je n'aurais cru qu'il dissimulait un tel calvaire:
- Non, avoua-t-il aussitôt. Ca a commencé il y a deux ans, seulement.
Il ne semblait pas démordre de cette fenêtre, où se découpait un carré de ville sous la pluie. Je sentais que, contrairement à d'habitude, il allait prendre la parole, et longuement car son ton avait été ferme. Il se leva pour aller fouiller dans son manteau crème et attraper ses cigarettes. Il semblait toujours calme, conscient que j'avais besoin d'une suite à ce début d'aveu. Il revient nonchalamment s'installer en face de moi et allumer le bâtonnet qu'il tenait entre ses lèvres:
- Excuse-moi, Seokjin, je fume toujours à l'intérieur quand Yoona n'est pas là. C'est mon petit plaisir.
Je lui souris. Ce n'était pas le genre de chose qui me dérangeait beaucoup. Il m'arrivait de fumer de temps à autre, avec les collègues. J'étais cependant impatient qu'il poursuive notre petite discussion. Il le remarquait à mon silence. Contrairement à lui, je monopolisais souvent la parole. J'étais très bavard. Cela sembla l'amuser car il lâcha, en sortant du tiroir de la table basse un cendrier propre:
- Tu sais, ce que je vais te raconter, tu ne l'oublieras pas. Une fois que tu seras au courant, je crois que, toi aussi, tu seras un peu ailleurs.
Il me mettait en garde, mais cela ne fit qu'aiguiser ma curiosité. J'étais plutôt frondeur et le mystère me plaisait énormément. Et puis, connaissant Yoongi, l'histoire en question ne devait pas être si extraordinaire. J'étais amusé qu'il puisse penser me choquer. Je m'asseyais confortablement au fond du fauteuil pour lui signifier que j'étais prêt. Il sourit, mélancolique et accepta de se livrer. J'avais vraiment hâte... J'allais suivre Min yoongi dans ce brouillard qui le tourmentait depuis déjà deux ans.
Yoongi était marié depuis déjà quelques belles années avec Yoona quand tout ceci débuta. Ils venaient tout deux de franchir les 28 ans et fêtaient leur cinquième anniversaire de mariage. Mais finalement, ceci n'avait pas tant d'importance pour ce qui suivit. Etrangement, le récit qu'il me fit m'apprit une chose: Min Yoongi avait eu deux vies. Moi, mon épouse et Yoona, nous ne savions que la moitié de ce que cet homme était réellement.
Et lui-même, ce jour-là, ne l'avait pas encore compris.
Il n'avait pas eu une grosse journée de travail. Pour être honnête, Yoongi n'avait jamais de grosse journée de travail de toute sa vie. Sauf peut-être quand il y avait des groupes scolaires. Et encore que, la plupart, les enfants ne mettaient pas leur doigts sur les épines des cactus. Les gens qui venaient visiter des musées botaniques étaient, globalement, des visiteurs sages.
Fin d'après-midi, la serre tropicale, sa préférée, était quasiment vide et il en profita pour en pousser la porte. Il pleuvait sur la verrière et cela faisait un vacarme tonitruant, que Yoongi, bizarrement, apprécié. Il reprit son pas traînant au milieu de cette touffeur humide tout en observant que tout le monde se tenait à carreaux. Et tout le monde, évidemment, se tenait à carreaux.
Puis, tout à coup, il aperçut une touffe rose au milieu de la verdure. Et ce n'était pas une fleur. Quelqu'un venait d'enjamber la barrière de sécurité et, en trois ans de carrière, ça ne lui était jamais arrivé. Il accéléra, le coeur battant, vers la silhouette. Elle était penchée sur le sol et Yoongi devait vérifier qu'il ne s'agissait pas d'un membre de l'équipe, en maintenance, qui avait subitement changé de couleur de cheveux. Ce n'était pas le cas. Il se racla la gorge, mal à l'aise. Un visiteur avait défié sa loi. C'était bien la première fois qu'il allait jouer un rôle aussi important et il se sentait un peu démuni, sous l'effet de la surprise:
- Excusez-moi! Jeune homme!
L'interpellé se redressa aussitôt pour lui faire face. Ils semblaient tous les deux étonnés de la situation. Yoongi observa quelques secondes son vis-à-vis, ne sachant pas trop ce qu'il était censé dire de plus. Généralement, les enfants savaient parfaitement qu'ils avaient fait une bêtise et dès que le gardien haussait le ton, ils revenaient sur le droit chemin. Et puis, il fallait dire aussi que la profondeur des yeux dans lesquels il était tombé ne l'aider pas à avoir l'esprit clair:
- Vous n'avez pas lu la pancarte? Demanda Yoongi, plus timidement qu'il n'aurait fallu.
- La pancarte? Reprit l'autre
Le jeune homme en question dévisageait Yoongi avec un drôle d'air. Un petit sourire ravi, en coin, s'était dessiné sur sa jolie bouche que le gardien évitait de trop regarder. Yoongi avait naturellement très peu d'autorité. Il se cramponna à son texte pour avoir un peu l'air menaçant:
- Oui, il ne faut pas passer les barrières de sécurité. C'est écrit juste ici.
Le sourire de l'effronté s'agrandit de plus belle devant le ton faussement sévère de Min Yoongi. Il devait avouer qu'il n'avait pas une carrure très impressionnante et ses vêtements de travail tombaient mal sur son corps:
- Oh... C'est juste ça? Fit le jeune homme, jouant les innocents.
Un éclat malicieux brillait dans ses yeux en amandes. Yoongi avait l'étrange impression que le ton irritant que prenait le jeune homme qui se tenait au milieu de la végétation, donnait un tout autre sens aux mots qu'ils échangeaient. Et les regards qu'ils se lançaient aussi. Dire qu'il était perturbé était faible mais il conserva son sens du devoir. Il bredouilla, tant bien que mal:
- Euh... Oui, il me semble.
Quelques minutes plus tard, après la fermeture des serres, effectivement, il eut confirmation qu'il y avait bien eu quelque chose, dans leurs échanges passés. Car, à présent, ils s'embrassaient à pleine bouche sur la banquette arrière de sa voiture. Il se fit la réflexion que son sens du devoir s'était envolé bien vite et qu'il faisait un gardien pitoyable. Peut-être qu'au fond, il n'avait jamais été quelqu'un de très responsable.
Etrangement, les questions fusèrent uniquement quand il se retrouva de nouveau seul dans la voiture. Il faisait nuit, les voyants du tableau de bord affichaient une heure tardive, les appels manqués se bousculaient sur son téléphone. Yoongi fumait, interdit. Il pleuvait toujours sur le parking désert et ça dégoulinait sur les vitres. Les lampadaires dessinaient d'énorme pissenlits liquides contre le verre flouté. Personne n'avait jamais vu Min Yoongi avec une telle expression au visage. Il était dans une sorte d'ébahissement général, transporté. Les éclats de lumière tournoyaient dans ses yeux autrefois si calmes: oui, maintenant, les questions fusaient.
Quelques dizaines de minutes plus tôt, il était là, à regarder le jeune homme aux cheveux roses se tortiller pour faire rentrer son arrière-train généreux dans un jean noir trop étroit, sur la banquette arrière. Jimin - car c'est ainsi que s'appelait le jeune effronté de la serre tropical – riait. En fait, depuis qu'il avait fait face à Yoongi, ses pommettes n'étaient pas redescendues une seule fois. Il boutonna son jean, recoiffa ses mèches décolorées en tirant sur le rétroviseur, d'un air très concerné puis se rassit lourdement, contre la portière opposée à Yoongi, qui le fixait toujours:
- Tu sais que ça me fait presque peur...
- Quoi? Demanda Yoongi en fronçant les sourcils.
- T'as façon de me regarder comme ça, depuis dix minutes, sans cligner des yeux.
- Je... J'ai cligné des yeux, tenta-t-il.
Jimin gloussa, satisfait de la maladresse de l'homme:
- C'est exactement ce qu'un psychopathe aurait dit pour me berner... Intéressant.
Le jeune posa sa semelle trempée sur la banquette pour s'affairer sur ses lacets. Yoona aurait hurlé, pensa Yoongi. Mais Dieu merci, elle n'était pas là... Dieu merci oui. Son cœur se serra à cette pensée mais il ne donna aucun sens à ce léger pincement. Il réfléchirait plus tard:
- A quoi tu penses? Voulut savoir Jimin en s'attaquant à la deuxième chaussure.
Le silence de Yoongi ne semblait pas vraiment l'impressionner. Habituellement, les gens le laissaient tranquille, avaient une certaine rétissence à bouleverser le cours de ses pensées. Par politesse, ils faisaient la conversation, seuls. Yoongi passa sa main sous son crâne contre le dossier avant de répondre à la question:
- Je me faisais la réflexion que c'est la première fois que je suis assis à l'arrière de ma propre voiture. D'habitude, je suis devant, pour conduire.
Jimin releva les yeux sur lui, légèrement étonné. Il le fixa un peu, oubliant où il en était dans le nœud. Yoongi ne put s'empêcher d'admirer les traits fins de son visage en retour. Finalement, Jimin courut à quatre pattes jusqu'à ses lèvres. Ce fut très bref. Il se recula rapidement pour laisser échapper un doux rire. Yoongi remarqua à quel point son cœur palpitait fort quand il était le centre d'intérêt de Jimin. Ils s'observèrent. Son air joueur plaisait autant à Yoongi qu'il le mettait mal à l'aise. Il y avait quelque chose, dans le regard de Jimin, qui voulait dire qu'il avait déjà une longueur d'avance sur son aîné. Contrairement à Yoongi, la situation ne le perturbait pas le moins du monde. Il finit son lacet, attrapa sa veste en cuir, déjà prêt à déguerpir:
- Attends, tu as vu comme il pleut? Je vais te redéposer chez toi.
- Tu parles encore comme un psychopathe, tu sais? Plaisanta le jeune homme aux cheveux roses. C'est mignon mais je vais vraiment finir par croire que tu vas me découper en morceaux.
Yoongi n'eut pas le temps d'insister que Jimin avait déjà ouvert la portière, sa veste en cuir sur sa tête. Il lui fit un petit signe de la main avant de claquer la portière et partir en courant sous les trombes d'eau.
Et c'est comme ça que débuta leur relation. En apparence, Yoongi n'avait pas beaucoup changé. Il traînait déjà des pieds, dans ses habits de gardien noirs, tous les jours de la semaine, de 10h30 à 17h... Il sortait toujours avec les amis de sa femme, il parlait toujours uniquement pour dire des choses réfléchies, il accompagnait toujours Yoona pour faire des randonnées le week-end, en la tenant par la main.
Mais il y avait Jimin, à présent. Dès le lendemain de leur première rencontre, Yoongi l'avait trouvé appuyé contre la carrosserie de sa voiture. Ils s'étaient dévisagé, avec soulagement, comme s'ils n'avaient songé qu'à ça, se retrouver de nouveau. Bien sûr, ça avait été une évidence dès le premier regard. Pour Yoongi, cet inconnu était magnétique. Peut-être parce qu'au fond, il ne se passait jamais rien dans sa vie, peut-être parce qu'il avait envie d'être quelqu'un d'autre, parfois, peut-être parce qu'il aimait la façon dont il se sentait désiré...
Jimin était un étudiant en biologie végétale, ce qui expliquait sans doute sa venue dans le musée. Et il dansait. Il était sans doute l'opposé de Yoongi: gracieux, sportif, resplendissant, à l'aise en toutes circonstances, enthousiaste de vivre. Mais il prenait Yoongi par la main et le tira partout, en dehors des clous.
Ils étaient souvent là, entièrement nus, sur le petit lit de sa chambre d'étudiant, à regarder le plafond. Tombés sur les draps comme deux assassinés sur le champs de bataille: n'importe comment. Ils se parlaient, comme de bons amis mais ils se faisaient l'amour sans pitié. Ils s'étaient raconté toutes leurs vies, comme ça, de but en blanc. Ils ne s'étaient rien caché, absolument rien. Jamais Yoongi n'avait vécu une telle connexion, avec quelqu'un. Mais il se sentait aussi en harmonie avec lui-même et avec l'Univers tout entier. Tout était décuplé depuis qu'il avait rappelé à l'ordre cet étrange petit bonhomme. En fait, Yoongi n'avait jamais rien vécu et, pour la première fois, la vie était vraiment goûtue.
Il était facile d'être, dans le monde de Jimin. C'était facile parce que c'était une évidence.
- Pourquoi, "une évidence"? Demandais-je, curieux
- Parce que nous ressentions une évidence. Quelque chose qui s'imposait en nous. Peut-être est-ce quelque chose d'écrit, de prévu dans les lois de l'Univers, du divin. Ou peut-être que c'était juste que nos hormones qui s'appréciaient bien. En soit, nous n'étions pas un choix l'un pour l'autre. Je n'étais pas le genre de Jimin, de toute évidence. Je ne suis d'ailleurs le genre de personne, ajouta-t-il avec beaucoup de sérieux. Mais il ne pouvait pas me résister, comme je ne le pouvais pas non plus.
Je trouvais ses paroles excessives. C'était facile de justifier l'adultère ainsi, presque lâche. Pourtant, son discours avait quelque chose de saisissant, de touchant presque:
- Et toi? Tu crois en quelle théorie? Divine ou hormonale?
Yoongi en était à sa deuxième cigarette mais il fixait toujours le lointain, par la fenêtre. Il sourit, comme si cette histoire d'adultère n'était rien de plus qu'un souvenir d'enfance attendrissant. De toute évidence, une part de lui considérait les choses de cette manière et n'avait jamais eu de remords d'avoir agi ainsi. Comme il disait, Jimin s'était imposé à lui. Et, étrangement, je le croyais. Yoongi n'était pas du genre à embellir la réalité. Mais sa réponse me surprit:
- Les réponses sont inaccessibles, Seokjin. Mais elles me hantent comme elles te hanteront.
J'aurais pu rire face à cette menace mais son ton était si sincère que je sentis une pointe d'anxiété montait à ma gorge. Je ne comprenais pas encore ses mots mais, je savais une chose: Min Yoongi disait toujours des choses réfléchies. Je demandais:
- Combien de temps toute cette histoire a duré?
- Longtemps, m'assura-t-il sans hésitation. En fait, le temps n'avait aucun effet sur nous. J'ai vécu des centaines d'années avec Jimin. Mais vous ne vous en êtes pas rendu compte parce que, pour vous, le temps n'était pas malléable. Pourtant il l'est.
J'avais de plus en plus l'impression que ses paroles étaient délirantes et je n'aimais guère cela. J'étais mal à l'aise de découvrir Yoongi sous un nouveau jour. Quelqu'un qui contenait, silencieusement et sagement en lui, une grande folie. Il m'avait trompé. Il avait berné tout le monde depuis le début. Min Yoongi avait plein de secrets et d'aventures. Sans doute avait-il vécu même des choses bien plus intenses et fabuleuses que toutes mes expériences de vie réunies. C'était troublant.
Cependant, l'histoire n'était pas terminée. Et j'attendais la suite de ce bonheur étrange et inquiétant que les deux amants avaient dessiné du bout des doigts:
- Et Yoona, dans tout ça? Elle n'a rien remarqué?
Yoongi sembla triste, tout à coup. Sincèrement triste. Il prit le temps de reprendre une bouffée de nicotine. Il avait laissé la cigarette se consommait lentement depuis déjà un long moment:
- Si, bien-sûr. Comment aurais-je pu le lui cacher? Tu sais que nous avons toujours tout partagé. Elle voyait bien, tout à coup, qu'une nouvelle part de moi avait éclos dans ma poitrine et qu'elle ne pouvait pas la comprendre. Elle en crevait de chagrin. Mais tout était si irréversible, si irraisonnable... Qu'est-ce qu'elle y pouvait? Yoona et moi, on s'aime, c'est tout. On est une équipe. Rien ne change cela, si on ne choisit pas de le changer nous-même.
Ce n'était plus si étrange d'entendre ses mots dans la bouche de Yoongi après tout ce qu'il m'avait confié. Mais c'était difficile d'accepter cette réalité sans ressentir une profonde tristesse pour Yoona et un peu de colère contre Yoongi, qui avait sauté dans le péché sans une once d'hésitation. De toute évidence, il aimait sa femme, tendrement. Et c'était réciproque. Ils avaient construit quelque chose ensemble qui les reliait indéniable. Yoongi ne lui avait probablement pas donné accès à cette nouvelle extension de son coeur, qui était réservé au jeune étudiant. Mais elle avait compris d'elle-même que cela n'entachait en rien l'amour que son mari avait pour elle. Yoongi avait toujours été un peu bizarre. Ca ne m'aurait presque pas étonné qu'à l'hôpital, ils lui découvrent la présence d'un deuxième cœur, dans le torse. Mais, je me trompais sur cet homme. Tout aurait été plus simple s'il avait eu des capacités surnaturelles. Ce n'était pas le cas, et cela lui causa sa perte. Je voulais comprendre comment cette situation à dormir debout avait pu terminer:
- Alors qu'est-ce qu'il s'est passé ensuite?
- Ensuite, c'est la fin.
- Tu m'expliques?
Le chat de Yoongi et Yoona accourut et sauta sur l'accoudoir du fauteuil de Yoongi. Ce dernier sourit en regardant ses grands yeux verts et gratta affectueusement son cou, déclenchant des ronrons monstrueux. Poursuivant ses caresses de ses longs doigts blancs, il accepta ma requête:
- Je crois que je n'avais pas la force, de vivre cette dualité. Tout ça m'a rendu fou. Au départ, j'étais rarement le Yoongi léger et libéré de Jimin. J'étais le mari calme de Yoona, qui se permettait des folies, de temps en temps. Mais bientôt, ça a conquis d'autre espace de moi. Au travail, le silence et le vide se sont remplis Ce que je vivais avec Jimin me gangrénait. Je suis quelqu'un de vide, Seokjin, toi-même le dirait. Il est facile de s'emplir, quand on est vide. Il y avait trop de d'espace en moi, je l'ai comblé avec la joie débordante que j'avais d'être au près de Jimin. J'ai commencé à me perdre, me voir dépérir dans le bonheur.
Il me raconta les heures dans cette jungle artificielle à songer à sa vie avec ce jeune étudiant. L'exceptionnel que c'était que d'être ensemble.
3 : 00 s'affichait sur le réveil, dans une lumière rouge. Yoongi dessinait lentement des signes dans le dos chaud et épais de Jimin, qui somnolait contre lui. Les volets roulants de la chambre étudiante ne fonctionnaient plus depuis déjà quelques années et Jimin diminuait la lumière agressive de la ruelle en coinçant une vieille nappe colorée, qu'il avait chiné pour pas grand chose. Mais ça ressemblait à Jimin, ce tissus aux motifs africains. Joyeux et extravagant. Rien que cette pensée anima de nouveau son organe vital et retomba sous le charme de Jimin, encore. En fait, Yoongi ne cessa de tomber, depuis qu'ils se connaissaient. La chute était sans fin, Jimin était un gouffre pour lui. Et, aussi bizarre que ça puisse paraître, Yoongi était aussi attirant pour Jimin. Emu, à cette pensée, il ébouriffa ses mèches roses et chuchota:
- Jimin? Tu dors?
Il sentit l'autre soupirer contre sa peau nue, dans un bruit attendrissant. Une voix rauque et ensommeillée s'éleva:
- Qu'est-ce qui te fait penser que je ne dors pas, merde?
Yoongi rigola, les yeux toujours tournés vers le plafond. C'était sombre et plein d'auréoles d'humidité mais ils avaient l'impression que c'était un ciel plein d'étoiles parfois. Ils avaient inventé une nouvelle astronomie. Yoongi voyait ce plafond, les fois où Jimin lui faisait l'amour et qu'ils avaient tout deux leur visage enfouis dans le cou de l'autre:
- D'habitude, si tu dors, tu ronfles comme un ours.
Jimin ne répondit pas mais il devina qu'il souriait, amusé par la pique que Yoongi lui avait envoyé. Quelques minutes s'écoulèrent avant que Yoongi ne se défasse de l'étreinte du jeune homme qu'il allongea sur le matelas. Il avait envie de le voir, de le sentir proche de son âme. Jimin le savait mais il refusa cependant d'ouvrir les paupières, se retenant de rire en se mordant les joues. Ils jouaient. Ils jouaient constamment.
Yoongi déposa brièvement ses lèvres contre les siennes et monsieur daigna enfin lui accorder son attention, lui lançant un regard amusé et interrogatif. Le tissu africain imprimait ses nuances vives sur sa peau et Yoongi n'y résista pas, disparaissant entre ses cuisses. Jimin fourra rapidement sa main dans sa tignasse sombre en glapissant, sous l'effet de la surprise, à présent bien réveillé. Yoongi maintient ses hanches comme il put contre le matelas pendant qu'il lui faisait du bien. Yoongi n'avait jamais fait trembler quelqu'un comme ça. Leurs deux corps semblaient formés un ensemble cohérent. Un équilibre entre le chaud et le froid, le bruit et le silence, le courbe et le rectiligne...
Yoongi posa une main tendre sur son ventre pour reposer le dos arqué à Jimin sur le matelas et dégagea ses mèches folles de son front en souriant. Il avait l'air complétement étourdi et ça attendri Yoongi. Remarquant une présence au dessus de lui, Jimin défronça ses traits tirés par l'orgasme pour ouvrir un œil. Il rencontra l'air moqueur de son amant et, vexé, il se tourna sur le côté en maugréant:
- Putain, Yoongi, tu fais vraiment chier.
Yoongi continua à rire et s'asseyant à ses côtés dans les draps chauds. Il se pencha sur la table basse pour choper une cigarette et son briquet. Fumer à l'intérieur, son petit plaisir. Il n'avait jamais pu faire ça dans la chambre qu'il partageait avec Yoona. Mais dans le joyeux bordel de Jimin, fumer faisait parti du décor. Il sentait le regard du jeune étudiant sur son profil:
- Vraiment? Je te fais chier parce que je te fais jouir?
- Non, ça c'était pas mal. Mais tu fais vraiment chier parce que maintenant je suis réveillé, qu'il est 3 heures du matin passées et qu'on va galérer à trouver un restaurant qui sert des fruits de mer à cette heure-ci. Allume la lumière, faut que je retrouve mon caleçon. Et dépêches de finir ta clope, j'ai très faim.
Jimin s'était déjà levé quand Yoongi saisit le sens de son petit monologue renfrogné. Il alluma machinalement la vieille lampe de chevet mais il tiqua:
- Comment ça "c'était pas mal"?
Le jeune étudiant déjà presque habillé s'arrêta sur Yoongi, toujours dans son lit, qui fumait tranquillement, ne semblant pas comprendre qu'il y avait urgence. Il roula les yeux au ciel :
- Yoongi, pour l'amour de Dieu, dépêche-toi d'enfiler quelque chose sur tes fesses, je meurs de faim.
L'aîné ne bougea pas d'un millimètre. Il adorait l'impulsivité de Jimin. C'était divertissant pour quelqu'un comme Yoongi, qui n'avait jamais osé imposer quoique ce soit, à personne :
- Qui te dit que j'ai envie de partager un plateau de fruits de mer avec toi, à cette heure-ci? Surtout après ce que tu viens de me dire.
- Quoi? Qu'est-ce que j'ai dit pour que tu me refuses ça? Fit semblant de s'agacer son amant.
Yoongi le défit du regard, les jambes pliées contre son torse sous les draps gris, portant la cigarette entre ses lèvres. Il n'y avait toujours aucune promesse entre eux et, malgré tout ce qu'ils s'offraient au quotidien, ils en étaient encore à se draguer salement:
- Tu simules, avec moi? Demanda l'aîné, amusé par le jeu.
Il n'y avait rien à se prouver. Ils étaient l'évidence l'un de l'autre. Ils auraient pu rester totalement muets, ça n'aurait pas changé ce fait.
Jimin sentit l'énergie sexuelle entre eux l'étrangler violemment. Sa bouche se fendit en un large sourire. L'esprit de Yoongi cherchait, encore aujourd'hui, un terme pour cette expression qu'il avait: carnassier et angélique à la fois.
Quelques minutes plus tard, c'était Yoongi qui avait eu le droit au même traitement et qui peinait à s'en remettre, avec ses poumons bousillés au tabac. Jimin s'appuya contre la chambranle de la porte de salle de bain, se brossant énergétiquement les dents. Ils échangèrent un regard tendre et complice. Jimin et son haleine fraîche tombèrent sur sa bouche quelques instants plus tard, avec rapidité avant qu'il ne se glisse à ses côtés. Jimin attrapa sa main et se mit à jouer avec son alliance. C'est à peine si Yoongi s'en rendit compte. Il ne voulait pas. Il ne voulait plus que ça existe, Yoona et le reste de son existence qu'il ne comprenait plus. Ce sentiment d'amertume montait en lui, ces derniers jours. Il savait que c'était dangereux. Il se tourna vers son jeune amant et demanda:
- Tu as toujours envie de fruits de mer?
Jimin lui rendit son regard et hocha de la tête, presque timidement:
- Ouais, pourquoi?
- Je commence à me dire que j'ai un petit creux aussi.
J'écoutais Min Yoongi se replonger dans ses souvenirs fabuleux. Il y avait plus d'enthousiasme que jamais dans sa voix que je n'en avais jamais entendu. Il s'emportait même à faire quelques gestes avec ses mains pour donner du relief. Les prières que Yoongi étaient obligés de prodiguer contre l'os de son genou douloureux de danseur. Jimin lui avait dit qu'il prévoyait de vivre jusqu'à 100 ans et qu'il fallait que ça tienne pour les 80 prochaines années. Il avait fallu que Yoongi redouble de magie. Les séances photos délirantes de nu, dans le studio étudiant. Eux deux, figés en monochrome, pour l'éternité, une passoire sur la tête, une casserole sur l'entrejambe. Les statues de dieux grecques pouvaient bien aller se rhabiller face à leur grimace de bonheur. Les fois où Jimin oubliait ses limites et s'affalait sur Yoongi pour lui murmurer des cochonneries à l'oreille. Les fois où Jimin glissait sa main chaude dans celle de Yoongi en murmurant "Danse avec moi". Yoongi ne savait pas danser alors il faisait semblant et Jimin, secrètement, le savait. C'est comme ça que Yoongi lui plaisait.
Etrangement, rentrer dans leur intimité me toucha énormément car leur histoire était magnifique. Alors que j'aurais du ressentir de la peine pour la pauvre Yoona, je me mis à rire, parfois, de leur effronterie, de tout le charme de cette tendre indécence... En fait, ils étaient les meilleurs amis du monde, avant même d'avoir été amant. Amis comme on n'osait plus l'être, quand on devenait adulte. La complicité qu'ils avaient eu ferait rêver n'importe qui.
- Le sexe entre nous était un moment complexe, tu sais. C'était le seul moment où on était sur le fil.
- Sur le fil? Repris-je sans comprendre.
- Avec Jimin, oui. C'était le moment où il fallait faire attention à ne pas être trop sincère. Tu sais, tout le reste du temps, on aurait pu dire que c'était sans importance. Juste une bonne alchimie. Rien de bien lourd. Même s'embrasser, ça pouvait passer pour une blague, après tout. C'était ça, la magie. C'était pour ça que c'était facile, entre lui et moi. Parce qu'aucun de nous ne vivait à travers de l'autre.
Ses paroles étaient surprenantes. Il me semblait que la situation était pourtant très claire. Yoongi n'était pas "sur le fil", il était tombé amoureux d'un étudiant et avait trompé sa femme avec, pendant plusieurs mois, voire années. Ce n'était pas "sur le fil", les faits étaient bien réels. Je fis remarquer:
- Je ne suis pas sûr de comprendre.
- Pourtant Seokjin, c'est exactement ça. Yoona et moi, nous vivons l'un à travers l'autre. Nos destins sont croisés, entremêlés. Jimin n'attendait rien de moi. Il prenait qui j'étais, entièrement, parce qu'au fond, ce n'était pas son problème, mes défauts ou mes névroses. Ce sentiment d'être libre que Jimin m'a insufflé, il se devait d'être immaculé de toute gravité pour subsister. C'est pour ça qu'il était facile d'être ensemble. Nous n'avions pas besoin de faire des efforts ou des concessions. On avait juste à retourner à nos vies, pour tout ce qui était pesant.
- Il y avait de la gravité dans vos ébats?
- Je crois, parfois, oui. Quelque chose que les corps exprimaient. Et avec Jimin, le corps et l'esprit ne formaient qu'un. On était libres mais il y avait des limites à ne pas franchir, tu comprends?
Je lui fis signe que "non". Il sourit, mystérieux. Il écrasa son mégot et alla ouvrir légèrement une fenêtre. Il précisa:
- Yoona n'aime pas trop l'odeur et ça commence à cocoter.
Je trouvais drôle qu'il prenne soin de petits détails insignifiants pour sa femme alors qu'il avait bafoué le principal, sa confiance. Il revient s'asseoir face à moi, il semblait plus nerveux au fur et à mesure que l'issue de l'histoire approchait. Il tapota un peu le cuir de son fauteuil, prenant le temps de réfléchir à ses mots:
- Jimin est la personne que j'ai le mieux connu et compris de toute mon existence. Pourtant, même pour moi, il avait des secrets. Pas qu'il me cache des choses: il voyait d'autres hommes, en même temps que moi et me le disait. Il me confiait tout, à leur propos. Son intimité était la mienne. Simplement, il échappait à ma logique parfois...
Il marqua une pause. Il n'arrivait pas à exprimer clairement sa pensée et sembla décider qu'il valait mieux avancer dans le récit avant d'apporter son analyse de l'expérience:
- Tu sais, si ma vie n'était pas si vide, je ne me serai pas perdu ainsi. Mais, de plus en plus, la vie avec Jimin n'était plus un échappatoire. C'était devenu ma vie. C'est comme ça, que j'ai tout perdu. J'ai mélangé l'idylle et le réel.
- Il t'a quitté?
- Il a eu raison. Je nous avais fait perdre le sens de ce que nous représentions. Nous aurions été malheureux. Et la dernière chose qu'il voulait, c'est que je sois malheureux. J'ai cherché à le retenir mais, jamais je ne l'ai revu. Il s'est volatilisé, comme ça, sans un adieu. L'appartement étudiant était encore à son nom mais il n'y vivait plus. Park Jimin avait totalement disparu et j'étais dans l'incapacité de le revoir.
Il s'arrêta, comme pour prendre le temps de réaliser à nouveau ce que ça signifier, un monde sans le jeune étudiant. Son regard se promena sur la ville grisâtre et humide. Finalement, il hocha la tête. Oui. Ca ressemblait à ça, un monde sans lui... Brusquement, sa douleur me saisit également. Toutt ce qu'ils représentaient, même si c'était de l'ordre de la trahison et de l'interdit, était d'une force et d'une sensibilité sans nom. Ce fut un sentiment profond qui s'insinuait en moi, la sensation d'avoir regardé un train passer sans même me rendre compte que j'avais oublié de le prendre. Comme si, tout à coup, être assis-là, en attendant ma femme et sa meilleure rentrée pour sortir les cacahouètes n'était qu'une petite mise en bouche de toutes les saveurs de la vie. Yoongi les connaissait. S'il roulait la langue contre l'intérieur de ses joues, il pouvait encore en tester la sensation. Je compris sa peine. Je l'enviais autant que je le plaignais. Cela devait être dur, le retour à la normalité.
Curieux, je demandais:
- C'était de l'amour, Yoongi? Entre Jimin et toi, c'était de l'amour, n'est-ce-pas?
Il me toisa longuement, comme s'il hésitait à répondre. Il tripota son paquet de cigarettes mais ne s'avisa pas de se resservir, même si évoquer tout ça le bouleversait sans doute. Yoona allait rentrer et il lui devait bien ça. Le fait qu'il se stoppe dans son besoin de fumer. C'était ça, la différence entre sa relation à Jimin et sa relation avec sa femme:
- Non. Pas comme tu l'entends. Ca allait bien au delà de ça, Seokjin. L'amour ne change pas les lois de l'Univers. Nous, si, plaisanta-t-il. Je crois qu'on était d'accord sur ce point: nous ne nous aimerions jamais. C'était la règle ultime même, la seule condition pour que tout ça ne se casse pas royalement la gueule.
Sa réponse m'étonna beaucoup. Je me dis qu'il se mentait sans doute à lui-même. Ce qu'il décrivait était la définition de la passion amoureuse. Cependant, il y avait une part de lui qui semblait y croire. Il reprit d'une voix basse:
- Jimin n'est rien d'autre que le plus grand mystère de ma vie.
Finalement, il ne me dit jamais vraiment ce qu'il ressentait pour Jimin, qui le rendait si vivant. Mais il l'avait bien été, vivant. Même visiblement au delà du vivant. Ils avaient poussé la vie dans ses derniers retranchements, ils avaient exacerbé la réalité, sans doute extrapolé au delà de la mort physique. Je ne pus empêcher de frissonner à cette idée. Ils avaient touché à des sensations qui dépassaient l'entendement, ensemble. Mais je ne comprenais pas. J'avais besoin d'un sens, de trouver une moral à tout ça. Je ne pus m'empêcher:
- Et alors? Ca s'arrête là?
- Pendant plusieurs semaines, j'ai cru que oui. Mais, un détail me fit comprendre que non...
Yoongi reprit difficilement sa vie maussade à plein temps. Un sevrage d'une extrême violence, me confia-t-il. Mais bien entendu, les souvenirs de Jimin emplissaient encore son esprit, le ravageaient de l'intérieur. Et puis, un jour, Yoongi prit conscience d'une chose, qui le frappa tout à coup: il n'avait jamais su, ce jour-là, pourquoi Jimin avait franchi la barrière de sécurité, dans la serre. Il le revoyait, penché sur le terreux humide, grattant la terre. Que faisait-il, ce jour-là?
La question tourna longuement dans son esprit. Il était persuadé que ça avait de l'importance. Même les enfants ne sautaient pas la barrière de sécurité. Personne ne sautait jamais la barrière de sécurité...
Et ils s'étaient regardé, pour la première fois, à travers ce petit muret. Yoongi avait essayé de lui dire que ce n'était pas bien, de braver les règles. Mais, à vrai dire, tout ça n'importait plus Yoongi dès l'instant où ils s'étaient fait face. Et tout à coup, il s'en souvenait, Jimin avait eu ce sourire satisfait. Qu'est-ce que c'était, déjà, dans ses yeux? Oui. C'était ça: "Il y avait quelque chose, dans le regard de Jimin, qui voulait dire qu'il avait déjà une longueur d'avance sur son aîné.".
Une angoisse le saisit et il se précipita vers la serre tropicale. Ces collègues ne l'avaient jamais vu marcher si vite, sur les parquets grinçants. Ils se demandèrent ce qui pouvait bien presser autant. Tout était toujours très lent, parmi les plantes.
Finalement, Yoongi remarqua à peine qu'il franchissait la barrière de sécurité, pour la première fois de sa vie. Il se mit à gratter avec frénésie la terre. Et il le trouva.
- Qu'est-ce que c'était? Demandais-je, abasourdi
Yoongi sourit un peu. Il n'était pas le genre d'homme à se donner en spectacle mais c'était sans doute la première fois qu'il racontait de vive voix ce grand secret et voir la tête que je tirais devait l'amuser:
- Le plus grand mystère de ma vie, Seokjin...
Yoongi avait eu raison. Son histoire avait bouleversé la mienne. J'en avais été pris de fascination. Je cherchais à la comprendre sans cesse, à en saisir un brin de sens au vol. Il y avait beaucoup d'interprétation possible ou, peut-être, trop peu, finalement. J'aurais aimé remonter le temps, à l'époque où ils n'avaient rien brisé et pouvoir me glisser dans le petit appartement étudiant.
Ce jour-là, dans la serre, Yoongi déterra une petite clé d'où pendait un petit médaillon gravé. On pouvait y lire "Pour Min Yoongi". Une symbolique qui jaillissait de terre, le plus grand mystère de sa vie...
Vraisemblablement, Jimin connaissait visiblement Yoongi bien avant de franchir cette barrière de sécurité, dans la serre tropicale. Mais comment avait-il su, avant même qu'ils s'adressent le moindre mot, qu'ils seraient une évidence, l'un pour l'autre? Et surtout, comment avait-il pu deviner toute l'histoire, à l'avance, au point de savoir exactement où dissimuler la clé et le message? A la place de Yoongi, une angoisse terrible m'aurait pris à l'idée que Jimin l'ait espionné durant une bonne partie de sa vie, pour le connaître par cœur et pouvoir le manipuler de la sorte. Après tout, Yoongi avait une vie si vide et Jimin semblait quelqu'un de tellement révolté qu'il lui aurait été facile de le fasciner et le forcer à commettre l'adultère. Il n'y avait aucune autre explication rationnelle à cette histoire, si ce n'était la triste réalité: Jimin n'était rien d'autre qu'un adolescent dérangé qui avait entraîné cet homme à se perdre.
A cette théorie, plus que plausible, je crus pendant quelques semaines. Mais quelque chose me dérangeait. Yoongi était un homme extrêmement rationnel et réfléchi. Jamais pourtant il n'avait parlé de Jimin pour évoquer une quelconque instabilité psychologique. Il n'y avait pas d'autre explication à ce mystère mais, je n'arrive pas à en être pleinement satisfait. Je retourne, encore et encore, cette histoire, dans tous les sens, comme si sa chronologie n'avait plus d'importance. Je redécoupais les scènes et interchangeais leur place, comme un casse-tête chinois. Cela me prenait énormément d'énergie. Je travaillais de plus en plus mal, mes cernes se creusaient car il m'arrivait de me réveiller la nuit, agité par ma réflexion. Mon cerveau, mon cœur, ils travaillaient sans cesse pour comprendre. En fait, je n'arrivais pas à les laisser partir, Yoongi et Jimin. Je devais l'avouer: leur histoire était magnifique et elle rebouchait une blessure que j'avais en moi et dont je comprenais seulement l'existence.
En fumant, avec mes collègues, ils me firent remarquer que j'étais devenu très silencieux. J'étais pourtant quelqu'un de bavard.
Quelque chose avait été réveillé en moi. Je voulais comprendre et j'avais besoin de Yoongi, qui avait vécu la même chose que moi. Je voulais comprendre comme il vivait. Heureusement, nos femmes étant très amies, je le retrouvais quelques semaines plus tard. Quand je lui soumis ma théorie du stalkeur, il me sourit calmement:
- Je vois... Tu as raison, Seokjin, cette explication est sans doute la bonne, pour toi. Mais je te l'ai dit, les réponses sont inaccessibles...
- Mais qu'est-ce tu comprends de cette histoire? Et pourquoi cette clé? Ca n'a ni queue ni tête! M'emportais-je un peu, agacé de ne rien saisir.
Yoongi rit un peu, essuyant la vaisselle pendant que nos femmes discutaient dans la pièce voisine. Il me livra ses dernières paroles sur cette histoire, les plus importantes sans doute :
- Si un jour, un brouillard s'insinue sous ton crâne et n'en part plus... Ou si, tu retrouves une petite clé, sous ton lit, Seokjin... C'est peut-être que, comme moi, tu commenceras à croire que l'on peut changer les règles de l'Univers.
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