L'ange tombé du ciel - 52
Le bruit franc du verre percutant le bois me sort de mes pensées. Je lance un regard au barman puis lui rends furtivement son sourire.
— Merci. laché-je.
Le shot miroitant dans les pupilles, je le fais tourner entre mes doigts avant de n'en faire qu'une gorgée. L'œsophage encore brûlant de Vodka, j'en demande un autre. Puis un autre et encore un autre.
La danse de l'alcool dans mes pensées laisse de moins en moins de place au tumulte théâtrale du procès. Ajourné sans durée déterminée, je me suis laissée porter par mon anxiété jusqu'ici, au Dahlia noir. L'oubli pour ambition, les verres s'alignent en une dangereuse procession sans que je ne m'en rende compte.
Les pulsations du spiritueux dans mes veines répondent à celles de la musique et me guident vers la piste de danse. Je n'ai pas le temps de l'atteindre qu'un groupe vient à ma rencontre m'assaillant de question sur mon affaire en cours. Je les repousse gentiment mais c'est sans compter leur insistance qui se transforme vite en agressivité. Non content de ma résistance, le groupe devient un barrage que je laisse derrière moi en faisant demi-tour. L'un d'entre eux me retient par la main. J'essaie de me libérer mais il resserre sa poigne si bien qu'elle en devient douloureuse. N'arrivant ni à le faire lâcher ni à le raisonner, je lui donne un coup de genou aux couilles. De douleur il lâche son emprise et le groupe se fend en un passage étroit dans lequel je m'engouffre.
— Sale conne tu vas me le payer ! s'élève sa voix étouffée par la musique et la douleur.
Je continue ma route jusqu'à me retrouver face contre terre. Je me retourne. La silhouette droite et menaçante de mon agresseur se dessine à travers la lumière tamisée du bar. En un saut, je me relève et me plante devant lui.
— Vas-y.
Il tente de me donner un coup de poing que j'esquive aisément. Déséquilibré et ivre, son élan l'emmène tout droit sur les danseurs qui profitent de leur soirée. Bousculés, ils envoient l'épave valser sur le sol. Sol que je rejoins également dans la seconde qui suit. Trop concentrée sur l'action, je n'avais pas remarqué cette fille qui est maintenant au-dessus de moi, me foncer dessus.
— Mon pote t'as peut-être pas touché mais moi j'vais pas m'gêner !
Je pare son poing qu'elle s'apprête à m'écraser dans le visage et la fais tomber sur le côté. L'ivresse devenant mon ennemie, je suis contrainte de rester assise, la tête en plein manège. Je bascule sur le côté alors que je sens ma joue chauffer et devenir douloureuse à mesure qu'un goût ferreux se répand dans ma bouche. De nouveau, la fille qui vient de me donner un coup de poing, me chevauche et m'en assène un nouveau. La douleur dissipe un instant l'effluve d'alcool me permettant de riposter et de la faire tomber à son tour.
Debout face à face, les yeux sont maintenant tous braqués sur nous tels des projecteurs. Nous nous engageons de nouveau dans une bagarre jusqu'à ce que des voix puis des mains nous séparent. Otage de l'action je me débats tout comme mon adversaire jusqu'à arriver à nous libérer et se battre de nouveau.
La poigne médiatrice m'emprisonne une nouvelle fois. Je me débats, me libère et me retourne avant de donner un coup de poing au visage de celui qui me retenait. J'écarquille les yeux et apporte mes mains à ma bouche quand je reconnais ce visage.
— Enoro ? balbutié-je.
Le visage fermé et crispé, la fureur de ses yeux parle pour lui. Il n'a pas le temps d'ouvrir la bouche que je sens une main sur mon épaule.
— May Madini, veuillez-me suivre s'il-vous-plaît.
Je décroche difficilement mon regard de celui d'Enoro avant de le poser sur l'agent de police qui n'est autre que Callegrio en train de m'escorter jusqu'à sa voiture.
— Je peux savoir ce qu'il s'est passé ? demande Eustasio, le regard sévère à travers le rétroviseur central.
— T'avais pas autre chose à faire que de venir me chercher ? questionné-je de manière désinvolte en alternant mon regard du rétro à sa tenue de civil.
— Vous devriez vous estimer heureuse que ce soit moi qui ai pris l'appel.
Je soupire avant de poser mes yeux sur le paysage que la nuit rend mystérieux.
— C'est trop vous demander de ne pas faire de vague le temps du procès ?
— A quoi bon ? Je vais le perdre de toute manière.
— Pourquoi vous dites ça ?
— Maglione va me faire plonger, je ne sais pas de quelle manière mais il va y arriver. Il est certainement de mèche avec Isabella et tout ça fait partie de leur plan. Je suis foutue.
Mes mots alourdissent l'atmosphère déjà pesante. Le silence accentue la tension qui électrise mon cœur de stress. L'anarchie de ses battements invoque mes larmes qui coulent sans retenue. Telle une souris dans la gueule d'un chat, je me sens prise au piège avec pour seule perspective l'obscurité de la prison. Malgré la bonne volonté de mon avocate, je sens la main d'Isabella effilocher le fil de mon destin pour le tisser selon ses désirs.
— Pourquoi serait-elle mêlée à ça ? Elle était également avec vous au moment des crimes.
— Vous étiez au même procès que moi ? Le meurtrier est un mec ! Il peut très bien faire partie de ses sbires ! Et puis tuer tout le monde juste après que Yolanda se soit confiée à moi, la coïncidence est quand même douteuse.
— Rien ne la met en haut de la liste.
— Si, mon instinct.
Après de longues minutes passées dans un mutisme de plomb, Callegrio se gare enfin.
— Ce n'est pas chez moi. déclaré-je en balayant mon regard sur le paysage.
— Non en effet. Vous pouvez sortir.
Je m'enfonce dans le siège les bras croisés et la mine fermée.
— Amenez-moi chez moi.
— May s'il-vous-plaît, suivez-moi vous allez comprendre.
Après un long soupir, je me résigne à laisser ma curiosité gagner la partie.
Nous sortons de la voiture et accédons au commissariat qui a accueilli notre premier échange avec Eustasio. En silence, je le suis à travers les bureaux vides jusqu'à une pièce éclairée.
Je ferme la porte derrière moi puis me fige. Ma mâchoire se crispe et mes poings se forment comme s'ils avaient reconnus ce visage qu'ils avaient récemment martelé.
— Oh tu peux t'détendre j'suis venue en amie c'te fois.
Malgré ses mots, je reste sur mes gardes et maintiens une distance de sécurité.
— La Spina, jamais je n'aurai pensé te revoir.
— Ca t'en bouche un coin hein ? Mais attends la suite. annonce t-elle en arborant son sourire décoloré tout en adressant un signe de tête à Felicci.
Assise en face d'elle, mon avocate me sourit et m'invite à m'asseoir. Déstabilisée par son calme et méfiante, je demeure plantée sur mes jambes devant le miroir sans teint aux côtés de Callegrio.
— Elle est une alliée et un futur témoin clé dans ton affaire. finit-elle par dire.
Le froncement de mes sourcils à l'air de parler pour moi puisque la prisonnière prend la parole.
— J'vais sauver ton p'tit cul ironique nan ?
— Et par quel miracle ?
— Ca j'laisse volontiers le baveux t'en dire plus. J'dois retourner à ma cellule. déclare t-elle en levant ses poignets réunis par les menottes.
Un coup à la porte suivi de son ouverture sur l'air grave d'un gardien appuie ses propos. Dans un bruit de chaines et de froissement de tissus, La Spina me dépasse et me fait un clin d'œil avant de disparaître derrière la porte qui se ferme lourdement.
Je me tourne vers mon avocate les sourcils toujours froncés.
— Depuis ton arrestation sur les lieux du crime, je travaille en étroite collaboration avec Callegrio. Votre bagarre en garde à vue était orchestrée. On n'était pas sûre que tu uses de tes poings mais on a tenté le coup. Tout ça dans le but d'envoyer La Spina en isolement sans craindre des représailles des autres détenues.
— Mais dans quel but ?
— La Spina est tombée pour trafic d'arme. C'est elle qui a vendu le revolver calibre .38 qui s'est retrouvé à la place de ton Glock. Seulement l'échange s'est fait anonymement à l'aide d'une poubelle. L'un déposait l'argent quand l'autre récupérait l'arme. Bref elle est connue des services de police. Callegrio a eu le nez creux et l'a donc interrogé. Contre une réduction de peine, elle devait être honnête et nous aider. C'est ce qu'elle a fait. Avec cette inconnue dans notre équation, nous avons du improviser. C'est là qu'entre en jeu l'isolement. Le gardien qui en assure la surveillance est connu pour être peu intègre.
— Je ne comprends pas ce qu'il a à voir là-dedans.
— En échange de quelques avantages, il a accepté de s'assurer que La Spina reste en isolement strict. Il falsifie les rapports d'incidents pour justifier son maintien en isolement et empêche toute communication avec les autres détenus. Ainsi, nous pouvons la protéger des représailles et la contrôler sans interférence. Il facilite également les interrogatoires de Callegrio, assurant que La Spina soit disponible quand nous en avons besoin sans attirer l'attention des autres gardiens.
— D'accord mais comment avec ça vous assurez mon innocence ?
— Pas avec ça mais avec les informations qu'on a pu récolter. La Spina en isolement, son trafic est menacé. Plus de contact avec les autres prisonnières donc plus d'intermédiaires pour assurer son business à l'extérieur. Ce qui veut dire qu'en dehors de la prison les esprits s'échauffent. Les tensions ont commencé à monter, les associés à se méfier les uns des autres et de la fiabilité du réseau. Il ne manquait plus que la petite étincelle pour faire partir le feu. Etincelle que Callegrio a habilement orchestré.
Je détourne alors mon attention sur lui. Suite au départ de La Spina, il s'est installé à sa place à la table. Les doigts sur la moustache, il les joint ensuite en un poing avant de parler.
— Je suis certain d'avoir transmit ton arme aux scellés. La sécurité et surveillance sont telles qu'elles laissent très peu de place au hasard. Ce qui veut dire que le coupable est l'un des gestionnaires des scellés. Pour savoir lequel, j'ai laissé échapper quelques indices sur nos interrogatoires avec La Spina. Et fais des demandes d'accès aux archives concernant son affaire. Puis au fil du temps, je me suis aperçu qu'un agent en particulier, Maglione, devenait de plus en plus nerveux et curieux sur La Spina. Quand je ne l'évoquais pas, c'était lui qui demandait des nouvelles, il demandait la cause des ses interrogatoires ou de mes recherches dans les archives puis quand j'ai donné le coup de grâce en disant qu'elle était sur le point de lâcher des noms, il a fait le faux pas qu'on attendait.
— Lequel ?
— Maglione a été pris en train d'accéder aux archives sans autorisation, cherchant des informations spécifiques sur La Spina. Mais le pire, c'est qu'il a utilisé son téléphone personnel pour contacter des complices à l'extérieur. Il a laissé des messages compromettants, paniqué à l'idée que La Spina révèle son implication. Les enregistrements de sécurité et les communications interceptées ont révélé sa trahison. Il a même tenté de me convaincre d'arrêter les interrogatoires en prétextant des préoccupations de sécurité. C'était la preuve dont nous avions besoin pour le coincer.
— Vos preuves sont loin d'être récoltée de manière honnête. souligné-je.
— En effet, là est le risque. Nous encourrons certainement l'objection d'admissibilité mais nous avons d'autres recours. révèle Felicci.
— Comme ?
— Je ne peux rien te dire pour ne pas entraver la continuité de l'enquête mais nous assurons tes arrières sois en certaine. Essaie de me convaincre mon avocate.
— Fais nous confiance May, tu seras bientôt libre. affirme Eustasio, une lueur assassine dans le regard.
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