➥ Acte I
Camille laissa un bâillement lui échapper une énième fois. Cela ne faisait qu'une vingtaine de minutes qu'elle avait pris le volant, mais l'idée de rouler une bonne partie de la nuit la fatiguait déjà. Et puis, elle avait passé une journée plutôt chargée au travail. Entre les articles à relire en express et les reportages à boucler, elle n'avait pas su où donner de la tête. La journaliste monta légèrement le son de la radio et cligna des yeux deux ou trois pour se concentrer sur la route.
La nuit était éclairée par la pleine lune et les lampadaires qui se relayaient toutes les centaines de mètres. De temps en temps, elle apercevait un oiseau nocturne qui passait dans son champ de vision, à la recherche d'un repas de minuit.
Sabine l'attendait, et elle avait hâte de la voir. Depuis le départ de cette dernière en Bretagne plusieurs semaines auparavant, elles n'avaient pu trouver d'occasion de se voir ; alors ces cinq jours de congé proposés par son patron au journal avaient été accueillis avec le plus grand bonheur. Elle avait même décidé de faire le trajet de nuit, si cela leur permettait de passer plus de temps ensemble.
La jeune rousse se mit à fredonner les paroles de Queen qui remplissaient l'habitacle. C'était sur ce CD qu'elles s'étaient rencontrées. Dans un pauvre bar de campagne, perdu dans les champs, avec un juxbox millénaire qui fonctionnait encore miraculeusement. Sabine s'était approchée d'elle avec son débardeur rouge sang et ses ongles parfaitement manucurés. Mais ce que Camille avait remarqué en premier, c'était la fine rose délicatement posée au-dessus de sa main.
La tige ornée d'épines entourait son poignet sans trop le charger ; le tatouage était à la fois élégant et... Piquant. Sans mauvais jeu de mots. L'encre noire lui avait rappelé les antiques machines à écrire, qui prennent la poussière dans les greniers ou sont vendues des centaines d'euros dans les brocantes. Sabine, qui avait remarqué l'observation silencieuse de la rousse, avait alors tapoté deux doigts sur le dessin, pour la faire réagir. Les deux femmes s'étaient regardées, et un sourire s'était formé sur leurs lèvres.
Elles avaient échangé des mots jusqu'à ce que le soleil pointe le bout de son nez, la voix de Freddie Mercury leur offrant un fond musical absolument sublime. De belles phrases, qui s'enchaînaient sans pauses, sans accroches. Le matin, quand elles étaient reparties sur les routes de campagne où de rares voitures passaient et où le bord des routes était recouvert de rosée, elles avaient avancé la main dans la main. Les paroles du groupe de rock dans la tête.
Elles avaient eu l'impression de se connaitre depuis toujours. D'avoir retrouvé une partie d'elles-mêmes.
La chanson se termina et l'habitacle perdit son côté nostalgique. Camille baissa légèrement le son en entendant les premières notes de la chanson suivante : si elle commençait à partir ainsi dans ses souvenirs, le chemin qui la conduisait à Sabine allait lui paraitre encore plus long. Il valait mieux qu'elle se focalise de nouveau sur la route.
En passant devant un panneau, la rousse soupira. Il lui indiquait la distance restante jusqu'à la prochaine ville, et ce n'était pas la porte d'à côté. Finalement, elle aurait peut-être dû prendre le train. Au moins, elle aurait passé le trajet à bouquiner. Ou à dormir enroulée dans sa veste militaire beaucoup trop grande.
Mais Sabine adorait la Jeep, alors Camille avait voulu lui faire plaisir. Une vraie fille de la campagne, celle-là, qui aimait foncer sur les chemins accidentés et avoir l'impression de s'envoler à chaque bosse. Puis qui riait aux éclats lorsque les pneumatiques retombaient lourdement sur le sol. Et Camille aurait tout fait pour entendre ce rire à nouveau. Quitte à dire au revoir à une nuit de sommeil.
Même si le soleil s'était couché depuis un bon moment, les phares puissants du véhicule donnaient à la jeune femme une bonne visibilité, et lui permirent de distinguer, à une centaine de mètres, une silhouette humaine. La journaliste ralentit instinctivement. À cette heure de la nuit, tomber sur quelqu'un était assez rare. Particulièrement si l'on se trouvait en pleine campagne. Toutes les histoires sordides qu'elle avait entendues au travail sur les rencontres nocturnes lui revinrent en tête, mais la rousse secoua la tête pour les chasser.
En s'approchant, Camille remarqua qu'il s'agissait d'une jeune femme. Un de ses bras en visière pour se cacher de l'éblouissement des phares, l'autre tendu, se terminant en un pouce levé. Un sourire se forma sur les lèvres de la rousse. Elle avait l'impression de se voir plus jeune.
La jeune femme commença à ralentir et arrêta la Jeep juste à côté de l'auto-stoppeuse. Celle-ci entra rapidement et se frotta les bras pour se réchauffer, avant de se tourner vers la conductrice avec un grand sourire.
— Merci beaucoup !
Camille répondit immédiatement à son sourire. Elle se dit qu'elle avait en face d'elle la représentation typique d'une fille joyeuse et pleine de vie, le genre qui profite de chaque moment qui lui est donné. Son visage était encadré de cheveux bruns, et ses joues accueillant quelques taches de rousseurs étaient un peu rougies.
— Je m'appelle Louise ! continua-t-elle. Et vous ?
La journaliste sourit. Maintenant qu'elle la voyait de près, Camille supposa qu'elles ne devaient avoir que quelques années d'écart. Elle nota que son sac à bandoulière avait l'air d'avoir vécu un peu plus qu'elle, de même que pour sa veste en cuir, élimée aux extrémités.
— Tu peux me tutoyer, tu sais, répondit-elle en riant, je ne suis pas si vieille que ça ! Et moi, c'est Camille.
Louise laissa échapper un petit rire, gênée, sa main cachant sa bouche. Elle avait un petit côté innocent, enfantin, que Camille n'avait jamais vu chez Sabine. Cette dernière était plutôt quelqu'un de direct, une adulte fonceuse qui ne se préoccupait pas des avis négatifs que l'on pouvait avoir contre elle.
— Excuse-moi !
La rousse sourit avant de redémarrer. Le petit zèbre métallique accroché à ses clés tinta lorsque sa main l'effleura. En jetant un coup d'œil sur sa droite, elle remarqua que sa nouvelle passagère avait les ongles vernis d'un noir sombre. La même couleur que portait Sabine lors de leur rencontre.
— Où veux-tu que je te dépose ? demanda la journaliste, pensant soudainement qu'elles allaient peut-être dans des directions opposées.
Un silence lui répondit. Intriguée, Camille observa la brune discrètement. Celle-ci était comme agrippée à son sac, et les jointures de ses doigts commençaient à devenir blanches. Elle soupira, mais finit par lui répondre.
— Je ne sais pas vraiment...
Avant de rencontrer Sabine, Camille avait fait tout un périple avec seulement son sac sur le dos et sa veste militaire. Elle avait appris que son père avec quitté la maison familiale de cette manière, à l'âge qu'elle venait d'atteindre. Comme lui, elle était partie où les conducteurs qui la prenaient en stop voulaient bien la mener. Elle avait vu du pays. Elle avait rencontré des personnes différentes à chaque nouveau véhicule. Mais elle s'était surtout sentie libre. Elle avait respiré, absorbé, elle s'était droguée à la liberté. Alors elle comprenait totalement ce que ressentait sa passagère.
— Je passe par Rennes, tu veux que je te laisse là-bas ?
La journaliste sentit le regard reconnaissant de la jeune fille.
— Pourquoi pas ?
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