10 - Souvenir
« Je ne pensais pas retourner ici... Avant longtemps !
Charlie déposa sa valise au pied d'un lit.
— Fait comme chez toi, dit Alpha en posant son sac par terre.
Charlie s'affala sur le matelas.
— J'ai oublié ma montre chez moi. Je suis sûr que Léopard a essayé de me joindre. On aurait du essayer de les appeler, au moins pour leur dire où on allait. Tu ne crois pas ?
Alpha s'assit à ses côtés.
— Tu es encore le président, Charlie. Imagine si tu avais appelé Léopard, et que la Milice avait intercepté ton appel. Ils sauraient où tu te trouves, et tu serais peut-être en danger.
— Mais d'après la Milice, le danger, c'était les irradiés, non ?
— On n'est jamais sûr de rien avec eux, tu sais ?
— Il faut qu'on trouve le moyen de joindre Léopard. Tu crois qu'il est resté dans la Capitale ?
Alpha resta songeur.
— Léopard est intelligent. S'il avait sentit un danger arriver, ce qui est probablement le cas, il aurait fait un sorte de mettre Alexandre à l'abri. Et le connaissant, c'est sûrement le cas. S'il est hors de la Capitale, Alexandre est avec lui. Par extension, j'imagine que la famille de Fleur, ainsi qu'Archange et sa sœur sont ensemble.
— Il n'y a que nous deux qui sommes sortis des sentiers battus ?
— On dirait. Charlie... Est-ce que tu te souviens de ce qu'il s'est passé hier soir ?
Le teint de Charlie devint légèrement rosé.
— Euh, non ?
Les épaules d'Alpha s'affaissèrent.
— Tu es un piètre menteur, tu le sais, ça ?
— Oui... Pardon.
— Pourquoi tu t'excuses ?
— Parce que je t'ai vexé, et que malgré tout, tu m'as amené là où tu vivais avant.
— Vexé ? demanda Alpha, abasourdi.
— Je sais que tu n'aimes pas aborder le sujet de ton ancienne épouse, et je l'ai quand même fait.
Alpha soupira.
— Tu vois, c'est exactement ce que je veux dire, constata Charlie.
— Pourquoi tu tiens tant que ça à savoir ce qu'il m'est arrivé avant l'Apocalypse ?! s'énerva-t-il.
— Parce que j'ai envie de te connaitre !
Il se rendit compte qu'il venait d'élever la voix et il s'empressa de faire les cents pas dans la pièce. Alpha le suivit du regard.
— Écoute Alpha. Je suis presque sûr d'avoir au moins quarante ans. Je n'accorde plus aussi facilement ma confiance à quelqu'un qu'avant.
Il se mit à triturer ses doigts.
— Et pour ce qui s'est passé hier... Peut-être que tu avais raison, pour le liquide du courage. Peut-être que j'aurai du te repousser, et faire un sorte que tout ça ne se produise pas. Mais... Alpha, je n'avais pas envie que ça s'arrête, et je ne comprend pas pourquoi... continua-t-il d'une petite voix.
Alpha se contenta de le regarder, interdit. Il posa ses coudes sur ses cuisses pour venir joindre ses mains.
— Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? finit-il par dire, le visage fermé.
— Je ne sais pas... Où est-ce que tu vivais avant ? Qu'est-ce que tu faisais, avant l'Apocalypse ? Je te promet de répondre à ces questions aussi, si tu veux.
Alpha se pinça l'arrête du nez. Il avait oublié à quel point ces questions pouvaient être douloureuses. Il releva la tête, croisant le regard de Charlie, qui n'avait pas vraiment l'air rassuré. Il finit par soupirer.
— Je suis né en 1985. Je ne me souviens plus de la date exacte. C'était en plein été, c'est tout ce dont je me souviens.
Alpha marqua une pause, regardant Charlie. Il lui indiqua d'un coup de tête de venir se rassoir. Le président s'exécuta.
— Étonnamment, j'étais un élève brillant, lorsque j'étais à l'école. Mes parents, quoique sévères, m'ont toujours poussé à aller plus loin. Lorsque j'ai décroché mon diplôme, j'avais le sentiment d'avoir réussi une étape cruciale. Malheureusement, ce n'était pas vraiment ce que mes parents voulaient. Ils voulaient toujours plus. J'aurai pu avoir un doctorat, ça n'aurait pas été suffisant pour eux. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à me dire que tout ce que j'avais fait jusqu'à présent, c'était pour mes parents, et non pour moi.
Alpha soupira. Charlie était suspendue à sa voix, grave et calme.
— J'ai ensuite prétexté vouloir étudier plus loin, à l'écart d'eux. J'avais passé dix-sept ans de ma vie à être dicté par des adultes, et il était temps d'en devenir un à mon tour. Je me suis installé plus au nord du pays, et j'ai suivit avec application des études dans le commerces. Et j'étais sacrément doué. J'ai monté ma propre boite à vingt-trois ans environ. Et puis...
Il arrêta de parler et il passa sa main dans sa nuque.
— Un an plus tard, le recruteur régional a engagé une stagiaire pour ma boite. Elle avait un an de moins que moi, elle était rousse et elle avait un accent irlandais particulièrement prenant. C'était comme si elle chantait lorsqu'elle écartait ses lèvres. On a commencé à se fréquenter quelques semaines plus tard. Et l'année suivante, elle était enceinte. Qu'est-ce qu'on aurait pu faire de plus idiot que de garder la vie qui grandissait en elle ? On était jeunes, mais on voulait tous les deux fonder une famille. Elle parce qu'elle n'en avait jamais eu une, et moi pour ne pas faire les erreurs de mes parents. On aurait du avorter, on aurait prendre plus de précautions, mais... J'aimais cette femme, Charlie. Je l'aimais tellement, et c'était la première fois que je ressentais quelque chose comme ça pour quelqu'un d'autre.
Alpha se retourna vers Charlie, et il le contempla quelques instants.
— On a ensuite décidé de se marier pour faire un sorte que cet enfant de soit pas hors-mariage, car c'était contraire à sa religion. Les années suivantes ont été les plus heureuses de toute ma vie.
Il déglutit, et Charlie remarqua des larmes perler au coin de ses yeux, qu'Alpha chassa d'un bref coup de main. Il porta cette dernière sur sa poitrine.
— J'ai eu une fille, Charlie. J'ai eu un enfant avec cette femme. J'ai été père. Et j'aimais ma fille de tout mon cœur. Nous étions si heureux... Si tu l'avais vu Charlie, si tu avais vu ma fille... Elle était rousse comme sa mère, et aussi intelligente et belle qu'elle. Et elle avait le même tempérament que moi. Elle était si joyeuse et pleine de vie...
Le regard d'Alpha, noyé de larmes, se perdit dans le vide. Charlie n'osa pas prononcer le moindre mot.
— Le jour de l'Apocalypse... C'était si effrayant. Ma femme et moi étions ensemble, et nous avons courut chercher notre fille à son collège. Elle était aussi paniquée que nous. Nous sommes tous les trois arrivés à temps dans un abri de la ville, conçu pour abriter les habitants en cas d'incident majeur. Nous y avons passé quelques mois. Au fur et à mesure, des personnes partaient, et le plus souvent, elles ne revenaient jamais. Mais une d'entre elle est revenue, et ça a été le pire jour de ma vie. Une personne est revenue, et elle était infectée. Lorsqu'on s'est rendu compte qu'elle était devenue un irradié, on s'est empressé de vouloir sortir de l'abri. Mais... La Milice a refusé. La Milice ne voulait pas faire sortir les autres personnes, de peur qu'elles soient aussi contaminées. Tu comprends, ça aurait été une catastrophe. Ils ont préféré nous laisser crever un à un. Tout ce que je cherchais à faire, c'était protéger ma famille. J'aurai tout fait pour ma femme et ma fille. Alors lorsque l'irradié a attaqué une personne du bunker, ça a été la panique générale. Tout le monde se marchait dessus, et ma famille et moi avons été séparé.
Alpha soupira. Charlie s'en voulut d'avoir été trop insistant et il se pinça les lèvres.
— J'ai forcé la porte de l'abri et j'ai réussi à neutralisé les Miliciens qui se trouvaient sur mon passage. Les personnes de l'abri m'ont remercié, mais tout ce que je cherchais, c'était ma famille. Mon cœur a bondit lorsque ma femme est sortie de l'abri, et il arrêté de battre lorsque j'ai vu le sang qui la recouvrait. Malgré le danger, je me suis précipité vers elle. Mais c'était trop tard. L'irradié l'avait mordu au cou, et je voyais le virus se répandre dans ses veines et son sang à vue d'œil. Je refusais d'y croire. Ma femme est morte dans mes bras. Son cadavre est revenu à la vie et j'ai du la voir mourir en la tuant une seconde fois.
Alpha n'essayait même plus de cacher ses larmes. C'était la première fois depuis des années qu'il repensait à ce moment, pourtant gravé à tout jamais dans sa mémoire. Charlie crocheta timidement ses doigts à ceux du plus âgé. Ce dernier se laissa faire, fixant un point dans le vide.
— Comme ma fille ne sortait pas de l'abri, j'ai prit mon courage à deux mains et je suis retourné dedans. Ça puait la mort, le sang, les tripes, la chair en décomposition. J'ai tué l'irradié sans réfléchir. Et j'ai vu ma fille adossée contre un mur. Elle essayait de faire compression sur une plaie béante à sa jambe. Elle pleurait et elle avait peur. Je l'ai serré dans mes bras, je lui ai dit que tout irait bien. Elle savait parfaitement que c'était loin d'être la vérité. Elle m'a regardé dans les yeux, et elle m'a dit qu'elle ne voulait pas finir comme les irradiés. Elle tremblait, et je voyais que le virus gagnais du terrain rapidement, comme pour ma femme. Alors je l'ai... J'ai...
Alpha déglutit.
— J'ai prit l'arme du Milicien, et je l'ai posé sur son cœur. Elle m'a dit non, et elle a prit l'arme pour la placer sur son front, entre ses deux yeux. Je n'arrivais pas. Je ne voulais pas tirer. Je ne voulais pas appuyer sur la gâchette. Elle a posé sa main sur la mienne, et elle a pressé la détente. »
Alpha lâcha la main de Charlie pour soutenir sa tête avec ses mains. Sa respiration était saccadée et Charlie se contenta de poser sa tête sur son épaule, en silence. Lui aussi, sa vue se brouillait par des larmes.
———————
Je suis terriblement désolé de faire un chapitre qui plombe autant l'ambiance, mais il était indispensable...
♥︎
— Nano.
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