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( Sam )
Avant de croiser la route de Romain, les larmes représentaient pour moi un acte de faiblesse. Sans être bagarreur, j’étais plutôt du genre à foncer dans le tas. Ma soif de modèles, ce besoin de capturer des morceaux de corps m’a obligé, en quelque sorte, à être moins sur la défensive. À aucun moment, mon regard sur Ivan n'a été intéressé. Je ne l’ai jamais ressenti comme un possible partenaire.
Face à ces sanglots, je suis démuni. Il nous est arrivé bien des fois de nous rassurer réciproquement. Nos manques cruels de confiance en nous, en nos œuvres, nous mettaient à mal. Les encouragements enthousiastes de Stefan et Romain étaient agréables mais l’un comme l’autre pouvaient difficilement se mettre à notre place.
Mais là ce ne sont pas les mêmes larmes. Quelle relation entretenait-il avec ce Bachir pour réagir si fortement ?
— Plus personne n’avait de nouvelles de lui, reprend-il. Et un matin, son père l’a découvert au pied de la porte. Son corps était couvert d’hématomes plus ou moins récents. Et sur le mur, deux grandes lettres noires. Impossible de ne pas les voir : PD.
—A-t-il expliqué qui l’avait tabassé de la sorte ?
—Non. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. Une coquille vide, tremblant au moindre bruit. Les langues allaient bon train, tu t’en doutes. Et la peur... c’est ainsi que cela fonctionne là-bas. Petit à petit, de moins en moins de clients dans la petite boutique familiale. Les regards suspicieux ne s’arrêtaient pas qu’aux parents. En tant que cousin proche, Aslan se sentait épié.
—Et toi, en tant qu’ami, tu courais un risque ?
—Aslan en était persuadé. Moi, j’étais sceptique. Mes rendez-vous étaient si rares que je ne pensais même pas que quiconque puisse se douter de mes préférences sexuelles.
—Puisque tu es parti, je suppose que tu as changé d’avis !
—Sur une période très courte, beaucoup de jeunes hommes ont été arrêtés, plus ou moins arbitrairement.
—Pas toi ?
—Non. Grâce à Aslan ou plus précisément à sa psychose. Son objectif était de m’assurer une sorte de protection. Il partageait son poste de veilleur de nuit avec un collègue qui a dû stopper pour des raisons familiales. Le patron était pressé, mon allure propre sur moi de l’époque et les recommandations d'un de ses meilleurs employés a fini par le convaincre.
—Ton look propre sur toi ? Fais- moi rêver !
Je ne blague pas. L’idée d'un Ivan sans un seul tatouage, sans ses jeans noirs et ses bottes au cuir tout usé m’interpelle. Et puis, il est évident que la suite de ses aventures risquent de le mettre à mal. Tenter de lui redonner le sourire me semble être une bonne idée.
—Mon père, en tant que chef de famille, décidait de tout, continue-t-il sans même réagir à ma remarque. Mes bras lui étaient nécessaires. Mes souhaits de me rapprocher de la ville, de ne plus travailler la terre ne lui convenaient pas. Aslan y a mis toute son énergie.
—Monsieur Provakov, ne croyez pas que je panique pour rien. Même en ville, les gens s’inquiètent. Dix jeunes hommes ont été arrêtés ces deux dernières semaines.
—Il y avait sûrement des raisons à cela !
—Douze jeunes depuis le retour de Bachir ? Vous ne trouvez pas cela surprenant ? Combien sont revenus ? Deux et en incapacité de travailler. Mon patron cherche de façon urgente un employé. Laissez-moi tenter de proposer Mikail. Le temps que cette période se calme.
—Mon fils travaille la terre, il n'intéressa pas ton patron.
—C’est pour un poste de veilleur de nuit. Mikail devrait y arriver. Le jeune Aman, qui travaillait aux champs pas loin de vos terres, a été arrêté il y a huit jours maintenant.
—J’ai besoin des bras et de la vigueur de mon fils, Aslan.
—Je sais. C’est juste pour le mettre à l’abri. Si les soldats l’emmènent vous n’aurez pas plus ses bras.
—Ton cousin est responsable de tout cela. Avec ses pensées impures.
—Et s'il n’était pas plus coupable que tous les autres ? Qui vous aidera s'ils vous prennent votre fils ?
Ivan n’a pas dit un mot depuis quelques minutes, le regard ailleurs, les yeux brillants. Je suppose que tout lui revient en mémoire. Mon bras s’enroule autour de son torse pour le serrer contre moi, lui donnant la possibilité de lâcher ses émotions. J’ai si souvent vécu à ses côtés la situation inverse.
— Cette sorte de chasse à l’homme a duré plus de trois mois. Beaucoup d’arrestations suivies d'interrogatoires plus ou moins musclés. Par précaution, et selon les conseils avisés d’Aslan, mes quelques rencontres ne se trouvaient pas du tout dans un périmètre proche de notre ville. Toujours curieux de toutes les informations, Aslan n’était guère rassurant sur l’avenir. Mon père, de plus en plus fatigué, souhaitait, à mon grand désarroi que je reprenne ma place à ses côtés.
—Dis moi que c'est à ce moment là que tu es parti .
—Il ne suffisait pas de vouloir. Sans papiers, passer les frontières revenaient à attirer l’attention sur moi et ma famille. Aslan, en toute discrétion, croisait des personnes concernées par cette chasse contre les homosexuels. Il m’avait montré des témoignages sur les moyens employés afin de faire pression sur les familles. Partir était possible. Mais y parvenir sans papiers était utopique. Pendant plus d'une année, chaque sou gagné, a été, en cachette de mon père, dissimulé. Pour payer des papiers, se nourrir tout le long du voyage.
—Une année ?
—Oui. Et tout a failli s’arrêter. Irina, ma jeune sœur, voulait, elle aussi partir.
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