(Ivan)

 Accompagner Piotr et Aslan à la gare est un crève-cœur .

— Ne fait pas cette tête-là, Mikail. Même si parfois l’envie de tout planter est très forte, je n’y arrive pas. Nous sommes plus à la logistique que sur le terrain. 

— Ce n’ est pas pour cela que c’est moins dangereux.

— Je sais.

Ces mots résonnent dans ma tête,  pourtant ils datent de deux années déjà. Piotr et Aslan ont régulièrement fait des aller-retour puis, petit à petit, ont cédé leur place.

 J’ai encore cette image à l’esprit…

En dehors d'un travail purement nourricier, il n’était pas question que je ne gagne pas ma croûte, je m’étais très vite retrouvé bénévole à l’association en compagnie de Misha qui avait, lui, rapidement succédé à Joachim. 

Le nombre de réfugiés ne diminuait pas. Deux nouvelles ailes avaient été créées. Une concernant l'apprentissage de la langue afin de les aider à s’intégrer au plus vite. L’autre ouvrait des portes vers du travail et des formations qui les aideraient à en obtenir. 

Mes horaires ne me laissaient pas beaucoup d’opportunités mais j’avais découvert avec étonnement que mon calme rassurait. Qui aurait cru qu'il me serait possible de tenir compagnie, à une ou un inconnu, plusieurs heures à la suite ! 

Sous la pression de Misha, aidé du soutien de Rolf, j’avais ouvert un secteur créatif où les exilés intéressés venaient sculpter, peindre, construire. Régulièrement,  avec l'accord des artistes, nous faisions une sorte de petite exposition-vente afin de récupérer des fonds. C’est lors d'une d’elle qu’Aslan était apparu à l’entrée. Le sourire de Misha et la présence de Sam à  ses côtés étaient des signes flagrants de complicité. 

— Pourquoi ne m’as tu pas prévenu de ton arrivée ? lui reproché-je gentiment. 

— J’avais besoin de temps pour m’organiser afin d’être certain d'y parvenir. 

— Et c’est le cas ? 

— Oui. Ne te vexe pas pour avoir agit dans l’ombre. Aucun de nous ne souhaitait prendre de risques inutiles. Piotr et moi venons d'emménager dans nos alcôves. Tu pourras, dès que tu le désires, nous rendre visite. 

Et je l’avais fait plus d'une fois. Nous avions l’un et l’autre beaucoup de mots à échanger. Son amitié qu’il avait cru, quelque temps durant, être autre chose. Je parlais des mots surpris entre lui et Piotr qui m’avaient mis mal à l’aise. La présence de Misha à mes côtés, notre relation forte après plus de trois ans de vie commune dans des circonstances particulières attestait de sa solidité. 

Stefan petit à petit cédait sa place tout en s’assurant que les pouponnières perdurent. Sam avait compris, aidé par Romain, mon choix de résidence. Misha était ma boussole. Celui qui me permettait de ne pas me perdre. Piotr avait débarqué un jour à notre porte, prêt à entendre les mots d'Irina. Misha, soir après soir, nous les avait lus, nous aidant à progresser dans le cheminement du deuil.