~58~
(Aslan )
Il m’est difficile d’imaginer Mikail dans ce lieu. Pourtant, les photos montrées par Stefan me permettent de découvrir Ivan. Certes, il est différent du Mikail qui est parti du pays mais je retrouve, néanmoins, dans Ivan, le jeune homme solitaire bourré de complexes. Lorsqu'il m’a avoué, tremblant, que l’alcool et la drogue l'ont aidé à tenir le coup, j’étais très en colère. Sam est vigilant sans pour autant le materner. J’étais persuadé qu'ils avaient eu une aventure tous les deux mais Romain m’a expliqué leur rencontre et la façon dont ils s’ étaient, en quelque sorte, mutuellement sauvés. J’ai découvert le fameux poing, et la photo de celui d’Irina. L'émotion de Piotr en le découvrant était, elle aussi puissante. Au fil des discussions et des visites, je découvre Stefan. Il existe peu d'hommes capables d'une telle générosité offerte sans conditions. Piotr, pourtant si rétif à tout contact avec des étrangers, prend visiblement du plaisir à discuter avec lui et avec quelques-uns des habitants des alcôves. Je n’ai aucune difficulté à imaginer Mikail acharné à modeler le poing d’Irina.
— Pouvons-nous discuter tranquillement dans mon bureau, nous demande Stefan.
Nous acceptons l’un comme l’autre. Peut-être que ce dont nous discutons depuis quelques nuits pourrait être évoqué.
— Installez-vous, dit-il en nous montrant les confortables fauteuils. Vous avez eu le temps de voir comment fonctionnent mes pouponnières. Vous avez sans doute remarqué la grande diversité de ses habitants. Depuis bientôt huit années qu’elles existent, jamais un policier n’a eu la nécessité d'y venir.
Nous restons silencieux, attentifs.
— Ivan n’avait rien d'un clochard et j’ai compris très vite qu'il était en fuite sans en savoir plus, reprend-il. Ses cauchemars, les premières semaines, le mettaient à terre. Le questionner aurait provoqué, j’en étais certain, sa fuite. Lui donner la possibilité de créer l’a libéré. J’ai passé des heures à le regarder s’acharner sur ce morceau de cuir sans en comprendre la raison. Je réalise qu'il ne m’en aurait rien dit de toute manière. L’arrivée de Sam a modifié la donne. Les deux étaient torturés pour des raisons différentes. Vous ont-ils montrés leur exposition ? La mise en valeur de chaque sculpture est époustouflante au point qu'il est difficile de réaliser qu'ils ne communiquaient pas entre eux. Quand l’idée de mélanger leurs travaux a germé dans l’esprit de Romain, l’émotion a été violente.
— Et Mikail n’a jamais, à ce moment-là, parlé d’ Irina.
— Non. Sam ne savait rien de son passé. Il l’a découvert quand Misha a posé des questions sur ce poing en cuir.
— Vous connaissiez sa nationalité ?
– Oui. Il n’est pas le seul à se cacher ici.
— Il est peut-être temps d’aller à l’essentiel, Stefan, laché-je.
— Au milieu des artistes qui créent dans mes pouponnières, quelques-uns profitent, avec mon accord, de ma protection. La durée de celle-ci est variable selon la situation. Qui viendrait y rechercher des fugitifs comme l’ont été Mikail et Irina ? Je suppose que pour éviter que Mikail soit un jour découvert, la filière par l’association où travaille Josef n’est plus envisageable. Je vous propose une nouvelle option. Prenez le temps d'y réfléchir. Posez-moi toutes les questions qui vous viennent à l’esprit, je tâcherai d'y répondre au mieux.
Toute la nuit, nous avons décortiqué cette nouvelle information, essayant de vérifier s'il nous était possible de profiter de cette incroyable opportunité. Elle ne conviendrait pas à tous les publics, c'était une évidence. Mais pour ceux qui n’avaient ni argent ni possibilité de se former, les pouponnières leur permettraient de se dissimuler sans grands risques. Une question restait en suspens que ni l’un ni l’autre ne voulait aborder. Devait-on en parler à Mikail ?
Piotr n’y voyait pas d’opposition. J’étais plus réticent. Il n’ était pas question de méfiance envers lui mais de pure logique protectrice. Sous la torture, on parle. Sauf lorsque l’on ne sait rien.
( Rolf)
Le séjour se termine et je sais d'ors et déjà que ce bref passage m’a permis de rencontrer des personnes que j’aimerai revoir plus régulièrement. Sam, bien sûr, dont la bonne humeur pétillante me plait. Son talent photographique est incroyable mais il ne ressent aucunement l’envie de l'étaler . L’exposition qu'ils ont faite l’un et l’autre avec l’aide de Romain et Stefan est belle. Leurs univers se mêlent en beauté.
— Il va sans dire que tu peux venir nous voir quand tu le veux, Rolf. La France est, tu verras, un très beau pays.
—Merci pour l’invitation.
Savent- ils que Ivan ne semble pas avoir envie d'y retourner ? J’ai été surpris de l’apprendre par Misha. Pour Ivan, il est sa priorité. Sa famille, ses relations, ses activités y sont. Pour quelle raison devrait-il se déraciner. Je souris poliment et rejoint Ivan et Misha dans la suite que nous occupons.
— Nous avions envie d’aller manger dehors avant de rentrer, cela te tente de venir avec nous, me propose Misha ?
— Ce n’est pas mieux que vous y alliez en amoureux ? Je ne suis pas trop à l’aise dans le rôle du mec qui tient la chandelle.
— Tu abuses.
—Ah c’est donc pire que je ne le pensais. Vous êtes l’un comme l’autre conscient que vous ne faites rien comme un couple !
—N’exagère pas, Rolf ! J’admets que nous ne sommes pas démonstratifs mais réalise à quel point tout ceci est nouveau pour nous.
—Je sais et je m’excuse de me moquer. Le retour est toujours programmé pour dans deux jours ?
—Joachim n'arrive plus à assurer l’essentiel. Les deux bénévoles qu'il a embauché sont, d’après lui, inefficaces. Il lui tarde que l’on revienne.
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