( Josef )

J’entends ses mots mais mon esprit s’ oppose à la conclusion. Cet homme est-il vraiment le fameux Aslan ou est-ce un piège ?

— Je pense que j'aperçois chacun des rouages de votre cerveau, Josef. Puis-je vous conseiller de le laisser prendre du repos ? Il n’y a aucun piège. Nous espérions le retrouver. Je refusais d’admettre qu'il était mort dans la montagne comme tout le laissait  croire.

— Je ne possède pas toutes les infos non plus. Avez-vous l'intention de venir le voir ? 

— Ce n’était pas forcément dans mes projets. J’étais persuadé, cette fois encore, que sa trace était perdue. Je ne veux en aucun cas provoquer sa fuite. 

— Je ne crois pas qu'il vous fuit. Il ne supporterait pas qu’à cause de lui, il vous arrive quelque chose. Il en est de même concernant toutes les personnes qui comptent pour lui. 

— Que penseriez-vous d’en discuter avec lui ? De préparer en quelque sorte notre rencontre ? 

— Je ne crois pas que cela lui pose problème. Encore une fois, il ne craint rien de vous, il craint pour vous. 

— Du Mikail tout craché ! J’aurais tant voulu qu'ils se retrouvent, libres, le frère et la soeur.

—Je pense que lui en parler en amont risque de l’angoisser. Y-a-t-il des risques pour vous si vous venez le rencontrer ?

— Piotr est, en quelque sorte, mon garde du corps. Lui seul peut donc répondre à votre question.

— C’est plus complexe de protéger dans des lieux inconnus. Mais, sans vouloir minimiser la situation, je doute que cela soit une visite à risques. Connaissez-vous un lieu, non loin de l’endroit où réside Mikail afin d'éviter des aller-retours qui, eux, risqueraient d’attirer l’attention ?

La maison de Misha, pour ce que j’avais vu au cours de mes quelques visites, était grande mais ne possédait pas beaucoup de chambres. La mienne n’était guère mieux.

— Il me faut y réfléchir. Peut- être entrer en contact avec Misha, il aura sûrement des idées. 

— Nous vous laissons faire. Nous ne voyagerons pas ensemble. Piotr va prendre et vous donner les informations nécessaires pour rester en contact. 

(Misha )

Josef est rentré de Tchétchénie hier soir. Il aimerait me voir mais sans Ivan. Mon problème c’est que je n’ai jamais su mentir. Et Ivan, tendu depuis le départ de Josef, sait repérer toutes mes émotions d'un simple coup d'œil. Je sors mon portable de ma poche et j’envoie un message.

— Josef est rentré et veut me parler. Peux-tu passer à la maison pendant mon absence ?

—Sans soucis, je suis en congé. 

Rolf a toujours été présent pour moi. L’arrivée de Ivan n’a rien changé, bien au contraire. La relation qu'ils ont créé tous les deux est étonnante. Un mélange entre amitié et complicité. 

—Joachim vient de me laisser un message, dis-je à Ivan qui est en train de finir sa cigarette. L’absence de Josef se fait sentir, des mains supplémentaires ne seraient pas de trop. Cela t’embête si j’y passe quelques heures ?

— Tu n’as pas à me demander une sorte d’autorisation, Misha. Je ne vais pas disparaître. 

—Je ne te le conseille pas, en effet, répliqué-je. Surtout que Rolf doit passer ce matin, il te tiendra compagnie.

Dix minutes après, le bruit caractéristique de la moto de Rolf précède son entrée dans la maison. Il salue Ivan d'une accolade, et moi d'un bisou comme à chaque fois. Il me regarde enfiler mes baskets.

—Je me suis trompé de jour ?

—Pas du tout. Joachim a besoin de bras. Tu tiendras compagnie à Ivan. Je ne devrais pas rentrer tard. 

(Ivan )

Misha ne sait pas mentir, cela ne doit pas être dans ses gènes. Il est évident qu’il me cache quelque chose. Et la demande d’aide bidon de Joachim me le confirme.  Depuis que je suis revenu, ni l'un ni l’autre n’avons voulu continuer de dormir séparés. J’aime lorsqu'il vient se coller à moi dans son sommeil. La moiteur de son corps, ses petits gémissements provoquent des réactions que je découvre. Il est le seul corps masculin que j’ai caressé, léché,  embrassé. Tous mes autres partenaires se contentaient de s’offrir ou de me prendre la plupart du temps debout contre un mur ou une porte. Un acte sexuel, point. J’ai compris qu'il ne m’en veut pas d’avoir fui mais il ne cherche ni à m’embrasser, ni à me caresser. Il ne semble même pas en avoir envie.

— Tu en es silencieux ! 

— Et toi peu doué pour l’improvisation. Je n’ai pas besoin d'une nounou. A-t-il si peur que je disparaisse ?

— Je ne suis pas ici pour te surveiller. Et en effet, ce n’était pas prévu. 

— Ni ce que je vais faire dans cinq minutes. Je ne suis pas idiot, Joachim n’a aucunement besoin de lui. J’en déduis que Josef doit être rentré et que ce qu'il a à m’annoncer n’est pas génial. 

— Et donc, ton projet est de le suivre ? As-tu réellement envie de perdre sa confiance ? 

— C’est lui qui me ment. 

— Je crois que tu sais exactement ce qu'il fait. Tu as fui pour la même raison. Vous vous protégez de la même manière. Laisse lui prendre ce rôle. 

— J’ai une seule question et je suis presque certain que tu peux y répondre. Josef est rentré ?

Son soupir me suffit.

—Pourquoi me le cacher ? Je lui ai promis de ne plus fuir. C’était stupide comme beaucoup de mes décisions. 

—Partir de ton pays ne me semble pas avoir été un acte stupide. Je le classerais plutôt dans la case courage.

— Si j’avais refusé, ma sœur serait vivante. 

— Et mariée de force à un homme pour lequel elle n’éprouve rien ? Elle aussi avait fait son choix. Te le reproche-t-elle dans ses cahiers ? 

— Notre lecture est loin d’être finie. Misha me lit des passages et nous en discutons. 

— Ce n’est pas un peu frustrant ? 

— Non. Je ne  pense pas que j’aurais survécu à une lecture classique. Misha me parle d’elle. Il l’a connue plus longtemps que moi.