~24~
(Sam)
Ses mots me font mal. Pour sa soeur et pour Ivan qui doit en souffrir. Je regrette qu'il n'ait jamais abordé ce sujet, nous qui passions des nuits entières à discuter. Deux bras qui m’enlacent tendrement, Romain ne supporte pas ma tristesse.
— Si tu penses que ta présence peut l’aider, je trouverais un moyen, marmonne-t-il.
— Je crois que Misha est très efficace. Ivan sait mettre en place ses propres mesures de protection. L’alcool n’est plus son premier choix, j’en suis soulagé. Elle était vendue, tu as entendu ? Parce qu'elle était femme et jeune.
— Les passeurs ne sont pas tous comme cela mais tu es bien placé pour savoir que l'être humain est parfois le diable en personne.
(Ivan)
Romain a agit et il a eu raison. Enseveli sous mes pensées, j’ai ruminé sans pouvoir fermer l'œil. Les messages de Sam se sont accumulés sans que je trouve le courage d’y répondre.
Au petit matin, le son de l’arrivée d'un message m’a décidé à réagir. Je connais suffisamment Sam pour imaginer son état de stress. Mais je ne suis en rien certain de contrôler mes réactions. M’entendre pleurer lui donnerait l’impulsion pour me rejoindre. Et je n’y suis pas prêt. Misha est quasi un étranger pour moi, percevoir ce qu'il pense de moi ne me terrorise pas. Les ressentis de Sam sur ma façon d’agir, les décisions de Mikail, sa façon de les percevoir me déstabiliserait. La remontrance qui vient de se produire est le résultat de mon angoisse que je n’ai pas su gérer.
Du bruit dans la cuisine me décide à bouger. Malgré la douche dont je suis sortie, il y a peu, mon cerveau a besoin d'un remontant caféiné. Dos à moi, en débardeur et vieux jogging, Misha s'affaire. Le look décontracté lui va très bien. Le débardeur ne dissimule pas grand-chose.
— Bonjour.
— J’ai essayé de ne pas faire trop de bruits mais une tasse m’a échappé des mains.
— J’étais réveillé mais au téléphone. Sam n’arrivait plus à contrôler son inquiétude.
— Je me sens un peu coupable à ce sujet. Il m’a laissé un message auquel j'ai préféré ne pas répondre. Laisse-moi m’expliquer s’il te plait, me coupe-t-il alors que j’allais intervenir. S’il m’avait posé des questions, et c’est évident que cela serait le cas, j’aurai été très ennuyé d'y répondre. Je préférerais , si cela ne te dérange pas, que tu choisisses ce que tu veux lui dire. Il n’est pas question que mes mots puissent vous blesser l’un ou l’autre.
— Merci. Cela n’arrivera plus. Je ne le laisserai plus sans nouvelles.
— Voilà ce que je te propose. Nous déjeunons puis si tu le souhaites...nous continuons.
— Ma nuit a été quasiment blanche. Tant d'images se bousculaient dans ma tête. Je ne suis pas certain de souhaiter me replonger dans un carnet ce matin.
— J’ai une idée. Et si je te donnais la possibilité de visualiser le lieu ou je l’ai rencontré.
— C’est possible ?
— Bien entendu sinon je ne te le proposerais pas. Tu ne pourras pas parler aux malades, cela va de soi. Mais cela va peut-être t’aider.
Après un petit déjeuner consistant par rapport à mon seul café habituel, nous nous rejoignons dans la salle. Son vieux jogging a laissé la place à un jean noir et à un pull. J’ai fait sensiblement le même choix.
— Parfait, tu n'es pas trop couvert. Même s’il ne s’agit pas d'un hôpital, les personnes qui s’ y trouvent ont besoin d'un lieu chaud. Mon statut de bénévole me donne la possibilité de poser mon blouson. Ma première expérience entre stress et excès de transpiration à cause de la chaleur n'était franchement pas une réussite. En route !
Il me désarçonne. Disparu, le jeune homme aux allures guindées de notre première rencontre. L'homme en face de moi est un mélange de fermeté et d'une certaine tendresse amicale à mon égard. Pas forcément le genre de situation habituelle pour moi mais, je dois bien l'admettre, très loin d'être désagréable. Tout le long du chemin, il me décrit des lieux avec enthousiasme.
— Ne me fais pas une interrogation sur tous ces lieux en rentrant. J’ai plus entendu qu’enregistré, me moqué-je.
— Tu as pu constater que je suis un peu bavard.
— Nan. Un bavard parle à tout bout de champ. Insupportable. Toi, c’est différent. Tu possèdes la même capacité que Sam. De transcrire avec des mots ce que vous voyez, percevez. Mon côté taiseux ne m’offre pas cette possibilité.
— De ce que j’ai vu de tes sculptures en cuir, tu le fais à ta façon ! Mettre des mots sur elles me serait difficile car elles te sont propres. Sam est celui qui semble être le plus favorisé de nous trois puisqu'il allie mots et images.
— Tu connais nos oeuvres ?
— Je n’avais regardé que ton poing mais lorsque j’ai compris qui tu étais, il m’est devenu impossible de ne pas découvrir le reste. Même démarche pour Sam. Mes capacités littéraires ne sont dues qu’à une facilité intellectuelle et à une immersion dès le plus jeune âge.
—Parce que tu crois que je suis né avec cette capacité à modeler du cuir ? Je n’étais qu'un fils de paysan. En me proposant d’entrer dans une de ses couveuses, Stefan m’a sans doute évité de finir dans un fossé. Mes journées se résumaient à reproduire une image de plus en plus floue du poing d’Irina. J’aurai sûrement fini par être embarqué dans une de ces bandes pour des basses besognes ou vers de la prostitution.
— Peut-être comme tu dis. Mais le travail du cuir, il est sorti d'où ?
— Une matière plus facile à travailler, me demandant force et concentration. L’idéal pour oublier l’attrait de la bouteille.
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