(Ivan )

Que dire face à de telles informations !? Une part de mon esprit souhaite savoir ce qui c’est passé. L’autre redoute de l’entendre. 

— Nous avons peut-être avancé trop vite, s’alarme Misha. C’est moi qui ait commis l’erreur de ne pas continuer simplement de lire. 

— Ne te reproche rien ! Ma soif de savoir n’arrivait pas à patienter. Même si je sais qu’elle n’est pas morte lors de sa disparition, comprendre que nous aurions pu être ensemble me met hors de moi. 

— Laisse-moi lire un passage. Tu comprendras qu’Anzor n’avait guère la possibilité de faire autrement.

— Il me faut un remontant. 

(Misha )

Je me doutais qu'à un moment ou à un autre, ce besoin se ferait sentir. Le risque qu'il sorte de la maison pour boire ailleurs m'effrayait plus que l’idée de gérer un Ivan bourré. Pendant que je sortais la bouteille et les verres du placard, il ne détourna pas un instant son regard de moi.

— Je croyais qu'il n’y avait pas d'alcool sous ton toit ?  

— C’est la vérité, en effet. Sauf qu'il m’arrive rarement de me retrouver à lire ce genre de témoignages à mes potes. Mes parents avaient de quoi me dépanner.

— Ils vont avoir une magnifique image de moi ! 

— Ils n’en savent rien. Leur cave jouxte celle qui devrait être la mienne. Tu te doutes que notre différence de gabarit inquiétait Stefan…

— Je pense que Sam était tout autant inquiet. C’est eux qui t’ont parlé de ce moyen ? Me laisser m’abrutir avec un truc costaud ?

— Pas besoin de leurs conseils. Je ne suis pas stupide au point de penser gagner face à toi. Nos deux carrures sont trop différentes et très loin d’être à mon avantage. L’idée de te poursuivre, bourré et énervé,  en ville, très peu pour moi. Ici si tu sombres, tu n’iras pas loin. 

— Bonne réflexion. Toutefois, j’ai un truc à préciser. Mon besoin de remontant n’impliquait aucunement de vider cette merveilleuse bouteille. Un verre suffira. 

Je m’attendais qu'il agisse comme mes amis, l’avaler en une ou deux gorgées mais non. 

— N’étudie pas chacun de mes gestes, veux-tu ? Cet alcool demande à être savouré. Lis !

[Dans la journée, Anzor, très discrètement m’a dit qu'il devait me parler. Comment ? Quand ? Où ? À chacune de mes questions, son visage s'éclairait d'un sourire. Je décidais de lui faire confiance. Nous n’étions que deux femmes, nous avions très vite appris à dénicher des coins afin de nous isoler. J’en sortais lorsque Anzor m’a intercepté.

— Ma démarche n’est pas la plus facile mais je n’ai plus le choix. Je me doute que tu es choquée mais ton frère fait tout pour te protéger. 

— En quoi ce qu'il fait à Dalibor peut nous protéger ? 

— Notre passeur fait partie d'un réseau. 

-— Rien d’exceptionnel. Personne ne crie sur tous les toits qu’il aide les gens à quitter le pays. Tu penses qu'il a compris que nous n'étions pas un couple ?

— Il l’a repéré très vite. Un jeune couple de votre âge, c’est largement plus démonstratif. Ce que je vais te confier est un secret. Ce salopard gagne sur tous les tableaux. Il fait transiter beaucoup de personnes par la montagne mais sa motivation est essentiellement pécuniaire. Les femmes sont rarement représentées dans ces voyages épuisants et dangereux.  Quand elles sont jeunes et jolies, il les signale.

— À qui ? ]

Le bruit d'un verre qui s’éclate au sol interrompt brusquement ma lecture.

— C’est ce passage qui doit me rassurer, s'énerve-t-il  ?

— Oui. Un peu plus loin, chuchoté-je. Anzor savait que ta sœur était une cible.  Elle ne serait jamais arrivée au bout du chemin avec toi. Même si je n’ai pas les détails précis, il n’avait plus le choix. Il était urgent de l'éloigner de Dalibor. 

— Et j’aurais été de trop, dans cette option, s’insurge-t-il ? 

Je ne réponds pas. Il connaît la réponse, il lui faut juste un peu de temps pour le réaliser. 

— En voulant nous protéger de ce salopard, j’ai encore plus scellé notre destin. Avait-il prévu des réjouissances à mon égard ?

— Je n’en sais rien. Ce qu'il réclamait de ta part ou qu'il prenait de force, je doute qu'il allait le clamer sur tous les toits. Pour Irina, il avait déjà touché une avance. 

— Quoi ? 

— Les jeunes femmes sont des cibles très prisées. Je ne sais pas comment Anzor s’est débrouillé mais sans lui Irina aurait fini sa vie dans un bordel ou mariée de force. Pour tenter de te retrouver au milieu de tous les migrants illégaux, j’ai rencontré ou discuté avec beaucoup de personnes. Les femmes sont, avec les enfants, celles qui subissent le plus de violences en tout genre. Simuler une fuite de la jeune épouse, ou une chute accidentelle était la meilleure option. Veux-tu que je reprenne ma lecture ? En quelques nuits, sur des petits instants, Anzor a expliqué à  Irina ce qui allait se passer. Ta sœur a fait preuve d'un courage incroyable. Quand tu seras rassuré, tu pourras tout relire. Je te propose de passer directement au moment où  quelqu'un l’a sorti de sa cachette.

[J’ai essayé de comptabiliser le temps qui passe mais tous mes repères sont brouillés. La peur, la fatigue, les bruits n’aident en rien. Je grapille dans la nourriture pour être certaine de tenir. Et si personne ne venait me chercher ? Des voix aux alentours m’angoissent et si c’était Dalibor ? Je me terre au plus loin de la grotte.

— Ne vous affolez pas, je viens vous récupérer. Je suis un ami d’Anzor. Nous avons dû attendre un jour de plus. Votre “ mari” a failli tout faire capoter à fouiller tous les recoins. Dalibor pouvait difficilement refuser pour ne pas perdre sa couverture. Il y a de la soupe chaude dans cette gourde, buvez lentement cela va vous faire du bien. Dès le lever du jour, nous rejoindrons notre campement.  

Je n’avais, une fois encore, peu de choix à faire. L’idée de demeurer seule m’effrayait. Celui qui avait parlé, Piotr est resté à mes côtés dans la grotte. Son acolyte surveillait les extérieurs.

— Le campement est loin ? 

— Une bonne journée de marche mais avec la neige qui arrive, nous ne pourrons faire que peu d’haltes. J’ai un vêtement plus protecteur contre le froid,  vous l‘enfilerez tout à l’heure. Le mieux à faire pour le moment est de vous reposer.]