~19~
(Ivan)
Je n’ai rien vu venir. L’émotion m’a cueilli comme un gamin. M’effondrer devant lui, les jambes coupées d'une émotion trop forte ne me laissait que l’option fuite. J’aurais été incapable de m’exprimer.
—Ta réaction n’a rien d’extraordinaire, Ivan, intervient-il au bord de l’entrée. Ne t’en sent surtout pas gêné. Je suis resté trois jours à les regarder sans pouvoir me décider. Tu seras celui qui choisit du moment où tu te sentiras prêt.
Ses mots m’offrent ce dont j’ai besoin. Un peu de répit.
— J’ai besoin d’un café. Je t’en offre un pour accompagner une cigarette ?
Avant même que mon cerveau soit capable de formuler une phrase, il est déjà parti. Où trouve-t-il son empathie ? Aurais-je été aimable à sa place ? J’en doute. Ah il est beau le branleur prêt à découvrir les mots d’Irina seul comme un grand ! Je m’efforce de mettre en pratique certains exercices de respiration appris par Sam mais sans succès.
( Misha)
Sous cette apparence sombre et fermée se dissimule une sensibilité à fleur de peau. Toutefois, je ne m’attendais pas à cette première réaction. Sa demande, chuchotée dans un souffle, était émouvante. Au final, la peur de l’effet des mots avait provoqué la panique que j’avais moi-même ressentie la première fois.
Ai-je été présomptueux ? Allais-je regretter l’absence de Sam ? Peut-être lui demander conseil le cas échéant histoire de ne pas blesser Ivan. Pourtant mon intuition penchait vers un autre scénario. A travers les mots de sa sœur, j’avais découvert Mikail. Il était impossible que celui-ci ait cédé toute sa place à Ivan. Mon rôle, celui que j’avais négocié afin qu'il me suive ici, était de l’épauler. Le témoignage d’Irina parlait de Mikail. Du Mikail qu’elle percevait, elle. Est-ce que Ivan se reconnaîtrait dans celui-ci ou préférerait-il l’ignorer ? Il me semblait que son choix de me rencontrer impliquait une envie d’en savoir plus.
Les cafés étaient prêts, j’ajoutais une bouteille d’eau, des verres et quelques viennoiseries. A l’approche du patio, je toussais afin de prévenir de mon retour. Précaution bien inutile, malgré la taille de la pièce, il a dû percevoir tous les bruits. Son visage semble plus apaisé. Deux minutes à peine après, les deux cafés servis, j’attends. Pas question de forcer quoique ce soit !
— Je crois que je suis prêt, chuchote-t-il sans me regarder.
— Veux-tu que je lise ? Je crois que l'impact sera un peu moins fort…
— On peut essayer…
— Préfères-tu ici pour pouvoir disposer, si besoin, du soutien d'une cigarette ?
— Si cela ne te dérange pas..
Cinq minutes à peine et dans un silence total, je commence la lecture du premier cahier.
Si tu savais comme je t’ai détesté Mikail ! Enfin pas toi en particulier mais le fait que tu sois un homme. Je t’imaginais au travail avec notre père. Je vous voyais discuter, rire. Nous ne connaissons pas cela, nous, les femmes. Enfin les personnes du sexe féminin qu'importe leur âge. Notre mère comme toutes les autres travaillent du lever au coucher du jour. Peu de place à la parole surtout qu'il faut constamment faire attention à nos mots, nos gestes. Mes premiers regards d’hommes sur mon corps m’ont effrayés. Dans ma tête, je me ressentais encore une petite fille. Notre mère m’avait sermonné, assurant que bientôt la femme en moi serait là et qu'ils commenceraient à me tourner autour. Elle disait vrai, Mikail. Dès que mon corps est devenu celui d'une femme, comme s'ils recevaient un signal, le comportement des hommes de mon entourage était différent. Mère et père étaient fiers. J’aurais voulu que tu fasses cesser tout cela, Mikail mais tu semblais ne rien voir.
— C’était le cas. Contrairement à ce qu’ Irina pensait, ma vie n’était pas si merveilleuse que cela. Les journées à travailler la terre étaient longues et harassantes. Aucune discussion, encore moins de rire ou de complicité. Uniquement le travail. Irina était pour moi, ma petite sœur. Nous ne vivions pas ensemble, nous nous croisions seulement. Crois-tu que le fait que je ne sois pas le moins du monde attiré par les femmes ait plus altérer ma façon de voir la vie ?
— Laisse-moi lire la suite, je crois que ta sœur répond exactement à ta question.
— Lorsque j’ai découvert ce que tu dissimulais, j’ai compris que je t’avais mal jugé. Ce n’était pas de l’indifférence que tu ressentais envers moi. Tes codes n’étaient pas les mêmes que les autres. Mon seul objectif était de tout mettre en œuvre pour que tu m’aides, tout comme toi, à fuir. Ma peur m’empêchait de réfléchir sereinement, craignant jusqu’au dernier moment une trahison de ta part. Mon souhait le plus cher était de discuter de tout cela lorsque nous serions l’un comme l’autre à l’abri.
Ce premier passage est redoutable. Les mots d’ Irina, la terrible réalité de ces deux enfants prisonniers d'un monde qu'ils rejettent. L’un comme l’autre ont le même objectif : être libres de leurs choix.
— Il était impossible de parler de cela pendant notre fuite. Tant d’oreilles pouvaient nous entendre, et potentiellement nous dénoncer. Organiser mon départ m’a demandé du temps. Chaque sous glissé dans ma cachette était un pas supplémentaire vers la liberté. Le froid et la neige empêchaient le passage par la montagne durant quelques mois, les options n’étaient pas nombreuses. Je suppose qu’elle en parle à un moment ou à un autre. Former l’image d'un jeune couple en fuite était crédible. Cela nous permettaient de rester le plus souvent ensemble. Évitaient, je l’espérais, certains des regards que, justement elles fuyaient. Est-ce que c’est cela qui est arrivé ? Quelqu'un a compris et nous a vendu pour obtenir un traitement de faveur ?
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