20 - Le monde sans toi
Il s'était écoulé quelques semaines depuis que Carine avait aménagé dans l'appartement protégé. Elle s'était faite à l'idée d'être épiée constamment pour sa sécurité. Dans un premier temps elle ne remarquait même pas les policiers en civil qui la suivait régulièrement dans les endroits où elle se rendait. Au bout d'un moment, elle en venait même à leur adresser un léger signe de la main, se voulant rassurante sur le fait qu'elle allait bien et qu'elle ne se sentait pas en danger.
Juliet venait la voir plus régulièrement, des fois pour lui demander quelques renseignements sur l'organisation, des fois juste pour passer un peu de temps avec elle. Malgré la grande socialisation qu'elle avait l'air d'avoir, Carine était, au fond d'elle, une personne très seule.
C'est pour ça qu'elle ne comprit pas vraiment la raison de la venue de Juliet, Owen et William, les trois à la fois. Elle les fit rentrer dans l'appartement et assoir dans les canapés et fauteuils qu'elle avait commandé en ligne. En toute sympathie, elle leur prépara même un thé et des biscuits.
« C'est... Rose, constata William en sirotant son thé.
Carine haussa les épaules.
— C'est rare que vous veniez me voir, dit-elle en se laissant tomber dans le canapé.
Même chez elle, Carine ne négligeait pas son apparence. Elle portait aujourd'hui un chemisier blanc, une jupe crayon et ses éternels talons aiguilles rouge.
— Surtout toi, dit-elle en désignant William d'un coup de tête.
— J'avais des questions à vous poser à propos du Parlement, c'est pour un article.
— Tu n'es pas un peu jeune pour être journaliste ?
— Je suis stagiaire.
— Hum, répondit-elle, peu convaincue.
— Nous aurons besoin de ton témoignage pour qu'il puisse faire un article sur le Parlement. Cela va peut-être les déstabiliser et nous devrions sauter sur l'occasion pour essayer de les démanteler.
— Ne t'inquiète pas, il n'y aura ni ton nom, ni ton visage. En somme, ça pourrait être n'importe qui du Parlement, la rassura Juliet. »
Carine hésita quelques secondes avant d'accepter. Juliet et Owen se levèrent pour leur laisser de l'intimité le temps qu'il l'interview. Ils sortirent dehors et s'installèrent dans la cours intérieure, à même le sol. Owen sortir une cigarette et il la consomma.
« Tu m'as l'air bien heureux depuis quelques temps, dit Juliet.
— Pas plus que d'habitude.
— Tu as rigolé à une blague nulle du Capitaine.
— Ça ne prouve rien, Juliet.
— Et tu as mit des emojis dans tes messages. Avant tu mettais des points et c'était ultra formel et relou. Qu'est-ce qu'il t'arrive ?
— Et bien tu sais Juliet, il y a une grande amie, qui un jour où elle décuvait, m'a dit quelque chose comme « utilise ton super sens de déduction et ferme-la » !
Juliet prit un air faussement indigné avant de la frapper sur l'épaule. Ils rigolèrent un instant avant que Juliet ne reprenne son air sérieux.
— Non, sérieusement Owen. Ça me fait plaisir de te voir sourire autant et rire à n'importe quoi. Tu as l'air heureux.
— Je suis heureux, Juliet. D'ailleurs, ça m'étonne qui tu n'aies pas encore deviné avec qui je suis.
Juliet prit un air pensif.
— William ? murmura-t-elle
Owen haussa les sourcils, sa cigarette dans la bouche. Il se contenta d'hocher brièvement la tête.
— Mais... Je... Je croyais que tu ne voulais pas ?
— Je lui ai dit que j'essaiera de faire des efforts. Tu sais, par rapport à mon ancien petit ami. Alors, on verra.
Juliet soupira, envoyant dans l'air une buée blanche.
— S'il te plait, ne le répète à personne. Même pas à Baes. C'est tout nouveau pour moi, alors...
Elle se contenta d'hocher la tête, ne sachant pas trop quoi penser.
— Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de te remettre avec quelqu'un ? osa demander Juliet.
— Je ne t'ai jamais raconté ? C'est ce pourquoi j'ai fait l'armée. C'était mon premier amour, et j'étais jeune, si jeune, et si naïf... On allait au lycée ensemble et on a décidé de se mettre ensemble peu de temps après nous être rencontré. Dès qu'on a eu la majorité, on est allés dans en boite. On est rentrés totalement déchirés à la maison, et on l'a fait presque toute la nuit, je dirais. Le matin, ses parents ont débarqués dans la chambre... Autant, avant on réussissait à faire semblant d'être amis, mais là, on était prit en flagrant délit.
Juliet eut un sourire en coin. Elle savait qu'Owen n'avait pas vraiment l'habitude d'étaler sa vie
— Cette crise que les parents on eut ! Et devine quoi, ses parents étaient homophobes. Ça a été horrible pour lui. Ils ont dit qu'on était malades et qu'il fallait nous soigner au plus vite. Mes parents n'étaient pas de cet avis, ils se sont engueulés pendant des heures avec ses parents et mon copain est parti à l'autre bout du monde pour se faire « soigner ». Je n'ai eu aucune nouvelles de sa part durant tout son séjour et à son retour, il était accompagné d'une jolie femme. Ils se tenaient la main et il m'a à peine reconnu. Bien entendu, ses parents étaient toujours méfiants à mon égard.
Owen écrasa sa cigarette avant d'en rallumer une autre, les mains tremblantes.
— Et puis, il m'a brisé le cœur. Enfin, je dis ça, j'avais vingt-et-un an. J'étais un gosse. Il a voulu me revoir, un jour. Je n'ai même pas besoin de te dire à quel point j'étais heureux. Mais quand je suis arrivé au café où on s'était donné rendez-vous, il était accompagné de sa... Meuf. Je me suis assit, et il a esquissé un sourire artificiel et il a commencé à me dire qu'on avait probablement faire une erreur de jeunesse. Et le pire, c'est qu'il en était persuadé. Il m'a ensuite présenté sa fiancée, affichant le même sourire artificiel que lui. Je n'ai pas prononcé un mot et je suis parti. Quand je suis rentré chez moi, je me suis effondré. Je ne sais plus combien de temps j'ai passé à pleurer dans ma chambre. Mes parents venaient me voir de temps en temps, pour savoir si j'avais besoin de quelque chose. Ils ont été vraiment adorable, en n'arrêtant pas de me répéter que ce n'était pas grave que j'aime les hommes, qu'ils étaient fiers de moi et qu'ils ne cautionnaient en aucun cas ce qu'avait fait ses parents. Tu sais ce que c'est le pire ? J'ai reçu un faire-part pour le mariage. Je l'ai jeté dans les flammes de la cheminée et j'ai décidé de quitter la maison pour faire l'armée. J'avais besoin de m'éloigner. Je n'ai plus jamais eu de nouvelles de lui. Et tant mieux.
Owen termina sa deuxième cigarette et fixa un point devant lui. Aucun d'entre eux ne parlaient depuis un moment, et quand Owen se retourna vers Juliet, il la trouva la tête posée sur ses genoux et entourée de ses bras.
— Ju' ?
Elle releva sa tête. Elle pleurait. Quand ses yeux rencontrèrent ceux d'Owen, ses pleurs doublèrent d'intensité et elle sanglota, incapable de formuler la moindre phrase sans hoqueter tant ses larmes étaient intenses. Owen réduit l'espace qui les séparait et il passa un bras autour de ses épaules.
— Pourquoi tu pleures ? Tu ne me connaissais même pas à l'époque.
— Parce que tu ne pleures jamais, alors il faut bien que quelqu'un le fasse à ta place... réussit-elle à dire entre deux sanglots.
— Oh, ma Juliet... soupira Owen.
Et il la serra dans ses bras, alors qu'elle pleurait, encore et encore, n'arrêtant pas de répéter à quel point elle était désolée pour lui, s'excusant sans fin de ne pas l'avoir su ou deviné plus tôt.
— Est-ce qu'il est au courant ? demanda Juliet
— William ? En partie... Mais je lui ai promit que je ferai des efforts. Je n'ai juste pas envie de lui briser le cœur en n'étant pas à la hauteur de ce qu'il attend. Et... Ça me fait un peu peur.
Juliet l'embrassa sur la joue.
— T'as pas à avoir peur, tu es quelqu'un de bien Owen. »
Elle se releva et attrapa un mouchoir dans ses poches, pour se nettoyer un peu le visage. Quelques secondes plus tard, William descendit dans la cours intérieur où se trouvaient Juliet et Owen. Juliet remonta voir Carine, tandis qu'Owen et William décidèrent de rentrer ou chez l'un, ou chez l'autre.
———————
Le Grand Duc serra le journal qu'il tenait dans ses mains tellement fort qu'il en déchira toutes les feuilles, créant des trous grossiers dans le papier. De rage, il lança l'édition du New-York Daily Crimes par terre avant de le pousser dans les braises de sa cheminée. En théorie, ça ne servait à rien, puisque l'édition du jour avait été tiré à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires, mais ça lui faisait du bien mentalement de détruire le pauvre journal qui n'avait rien demandé. Bien entendu, l'article n'était pas signé, ce qui n'était pas étonnant venant d'un journal de presse à scandales.
Inquiet, un autre hibou rentra dans la pièce, attiré par le bruit. Le Grand Duc réarrangea une mèche de cheveux qu'il coinça derrière son masque.
« Retrouve Jenny ! hurla-t-il à son subordonné, retrouve-là et fait-la taire une bonne fois pour toute !
Le pauvre homme ressortit de la pièce sans demander son reste. Le Grand Duc se rapprocha de la cheminée. Les braises avaient épargné une seule et unique photo en noir et blanc, de qualité un peu médiocre.
— L'inspecteur Owen Holman, hein ? murmura-t-il en attrapant la photo avant qu'elle ne soit emporté dans les braises. »
Il avait effectivement entendu parler de cet inspecteur, lors d'une conférence qui avait eu lieu quelques semaines avant. Il avait l'air de n'être au courant de rien. Il faut croire que ça avait changé. Cependant, il savait qu'aucun gramme de son stock n'avait disparu ; ce qui était un très bon point.
———————
Carine salua discrètement les gardes postés dans une voiture de l'autre côté de sa rue. Elle leur aurait bien donné une bouteille de soda, mais elle n'avait pas le droit d'entrer en contact avec eux. Elle monta rapidement dans son appartement et elle lâcha avec soulagement ses sacs de courses sur le plan de travail.
Elle marcha sur le parquet pour aller s'assoir sur le canapé, faisant claquer ses talons sur le sol dans un bruit sec. Elle ferma les yeux un instant. Quand elle les rouvrit, son œil s'attarda sur un élément du décors. Elle se releva en ajustant sa tenue, réflexe qu'elle avait acquis au fil du temps et marcha précipitamment vers le buffet qui se trouvait sur sa droite.
Avec frayeur, et sans qu'elle le sache, elle pâlit, son doigt effleura la douceur d'une plume de chouette posée sur son buffet.
En panique, elle se précipita vers la fenêtre. Le loquet n'était pas verrouillé. Elle souffla avant de le refermer, mais lorsqu'elle se fit dos à la fenêtre, un léger son si distinctif lui parvint à ses oreille.
« Psiouv ! »
Elle regarda sans émettre un son la tâche rouge qui s'agrandissait, telle une fleur écarlate, sur sa chemise blanche avant qu'elle ne s'effondre. Sa respiration se fit forte et irrégulière. Sa main se porta instinctivement sur sa blessure, et elle essaya de faire pression dessus. Derrière elle, la fenêtre était explosé et elle était sûr d'être tombée sur des éclats de verre.
Une larme roula sur sa peau et son regard se porta sur la plume qu'elle tenait dans la main.
Elle ferma les yeux, exténuée.
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