68. Le miracle
La promesse d'un retour, ce n'est jamais qu'une demi-promesse ; on n'en est jamais certain.
Puis-je dire avec certitude que je ne reviendrai jamais à Kitonia ?
Peut-on dire avec certitude qu'Avalon ne retournera jamais sur Terre ?
Et Aelys, quand elle sera partie... reviendra-t-elle ?
Clodomir d'Embert, Journal
Le jour était près de se lever, et Lor ronflait déjà à même sol lorsque Maïa réapparut.
« Suis-moi » demanda-t-elle.
La Nattvas n'était plus qu'une ombre, une silhouette cheminant devant elle, dans ce domaine déserté par les Changeants.
« Au fond, nous avons toutes les deux respecté le pacte de Cheshire, remarqua-t-elle. Mais d'une manière un peu différente de ses attentes. Tu devais rencontrer Mû ; mais nous n'avons trouvé que son fantôme. Je devais t'aider à tuer Eldritch, mais je n'ai fait que t'apprendre à te battre. J'étais venue des ombres et je voulais devenir humaine – tu es venue des hommes et tu es devenue une ombre. Tu es celle qui renversera les Hauts Paladins. »
Elle s'assit contre une stèle des Précurseurs, aux inscriptions effacées ; son corps semblait intact, mais c'était un mensonge – son tout dernier.
« Nous savons maintenant ce qu'a fait ton père, Aelys. Il t'a immunisée contre la peste.
— Tout ce qu'il voulait, c'était me protéger. Sa seule erreur a été de ne pas m'en parler.
— Il avait peur de ton jugement. »
Le jour s'approchant, la forêt fit silence, et tous ses regards invisibles semblèrent se détourner d'elles.
« Viens, dit Maïa. Approche-toi.
— Qu'est-ce qui ne va pas ?
— L'argent, murmura-t-elle. Le changement d'état d'une ombre de la nuit, le passage du solide au gazeux, remet en place sa forme physique... mais pour une raison ou pour une autre, l'argent perturbe ce processus chez les Changeants. C'est bien connu.
— Mais tu n'es pas une Changeante, rétorqua Aelys. Tu es une humaine. »
Elle s'assit à côté d'elle ; la jeune femme de l'ombre plongea ses yeux azur dans les siens, avec un sourire affaibli.
« Tu as vraiment cru à cette histoire ? Je vais... je vais t'en raconter une autre. »
Une brume rosâtre se leva au-dessus des arbres ; l'aube progressait vers elles comme une procession solennelle.
« Il y avait, dans la Forêt du Nord, une vieille femme excentrique que les Nattväsen avaient appris à tolérer. Depuis des années, elle attendait le retour de sa fille Maïa ; mais Maïa s'était brisée le cou dans une ravine, et elle ne lui reviendrait jamais. Et puis, il y avait une Changeante, une ombre sans nom qui devenait chaque nuit une dryade, une fleur, une louve, un papillon. Et à force de rôder autour de cette masure isolée, d'année en année, l'ombre finit par prendre conscience de ce qu'était un rêve. Et elle découvrit qu'elle avait un rêve, elle aussi. Un rêve aussi inaccessible que le retour de Maïa. »
La Nattvas saisit sa main.
« Voir le soleil. Voir le soleil, comme une vraie humaine. Et bientôt, la Changeante commença à se changer en humaine, et lorsqu'elle vint rôder aux abords de la petite maison, la vieille femme qui vivait là l'appela Maïa. Elle avait donc un nom. Et un rêve, que seul pouvait accomplir le miracle d'une Super-Administratrice. »
Aelys leva la tête, inquiète face à la progression du jour ; tous les autres Nattväsen avaient déjà regagné leurs trous. Maïa ne lui avait jamais paru aussi sombre, par contraste avec les autres ombres devenues grisâtres, ni aussi nette.
« Tu dois partir, remarqua-t-elle.
— C'est inutile. Quoi qu'il advienne, je vais disparaître. »
Ses mains se mirent à trembler, et Aelys les serra plus fort. Sa nature de Nattvas et son rêve d'humaine s'affrontaient derrière ses yeux vagues ; elle redoutait autant la brûlure du soleil qu'elle désirait de voir enfin son miracle se réaliser.
« Est-ce que tu veux bien... l'attendre... avec moi ? »
Elle acquiesça doucement. Une goutte de lumière tomba sur l'épaule de son amie, d'où s'éleva une minuscule langue de fumée blanche. Aelys ferma les yeux et l'enlaça, comme pour l'empêcher de s'envoler. Des rayons dorés traversaient maintenant les arbres ; elle sentait leur chaleur sur son dos.
« Eh, Aelys ? Aelys ? »
Elle ouvrit brusquement les yeux. Ses bras s'étaient refermés sur du vide ; il fallut quelques instants pour ouvrir ses poings crispés.
« Tu avais l'air de bien dormir, nota Lor, mais nous avons un petit bout de chemin à faire. Plus vite on aura quitté cette forêt, plus vite on aura renversé le Second Empire. »
Il remit en place le col de sa chemise, ce qui revenait à donner un coup de chiffon sur une vitre après le passage d'une tornade, et grommela quelque chose sur la perte de ses cristaux et le traitement que l'on allait encore infliger à ses pieds délicats.
« Au fait, pas de nouvelles de Maïa ? Elle nous a faussé compagnie hier soir... Je me suis demandé si les Changeants ne l'avaient pas emmenée. Pourquoi, me dirais-tu ? Et pourquoi pas ? Tout ce qu'ils peuvent faire pour nous ennuyer, ils le font. »
Il lui semblait que Maïa flottait encore autour d'elle comme une fée invisible ; mais cette impression ne durerait pas. Au sommet des arbres, sur ces mêmes branches que les noctureuils et les chiens-volants avaient occupé quelques heures plus tôt, les hirondelles accordaient leurs chants. Le Soleil brillait de mille feux ; cette longue nuit avait pris fin.
« Tiens, on dirait que tu as quelque chose dans l'œil.
— Quoi donc ? »
Lor approcha son nez en fronçant des sourcils.
« On dirait un bout de cristal. Si c'est un bout de cristal, il est pour moi. »
Il tapota sa joue.
« Fausse alerte, c'est juste bleu. Je te laisse tes deux yeux. »
C'est à ce moment qu'Aelys comprit que Maïa ne reviendrait pas. Dorénavant, son regard se partagerait entre deux rêves inachevés.
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